Le châtaignier : Un arbre salutaire !

Le châtaignier, arbre du passé ou arbre d’avenir ? La question mérite d’être posée. Au regard des multiples services qu’il rend à de nombreux écosystèmes en France, il reste, dans les périodes de crise, un arbre salutaire quelles que soient les régions !

On pourrait penser, au vu des nombreux ouvrages écrits sur le châtaignier, que le sujet est clos et qu’il suffit de se référer aux ouvrages déjà publiés, aux nombreux articles de revues spécialisées, pour être rassasié d’informations concernant sa culture et son avenir.

Certains châtaigniers indigènes, C. sativa, ont su se développer dans des conditions particulièrement difficiles. © J.-F. Lalfert

Le châtaignier, quatre règles pour demain

Cette essence qui fut, pendant des siècles, une production plutôt fruitière dans certaines régions, est devenue forestière dans d’autres, par manque de revenu ou par le manque de main-d’oeuvre du fait des guerres et/ou de l’exode rural dès la fin du XIXe siècle. Sans doute, l’image de pauvreté qui lui a souvent été associée n’a pas aidé le nécessaire transfert de connaissances de génération en génération concernant sa culture. L’abandon d’un grand nombre de châtaigneraies en France1 a conduit les pouvoirs publics à ne plus considérer cette essence comme prioritaire. Elle est toutefois la troisième essence forestière de France et sa valeur économique plus forte qu’elle n’y paraît si on veut bien y ajouter les services écosystémiques qu’elle favorise. Il est dommage de constater les dépérissements qui trompent le jugement car nous ne voyons pas ou plus les résistances et les résiliences. À force d’aller trop vite, on en oublie l’essentiel : observer, réfléchir et agir au rythme du vivant. Nous allons vous proposer dans cet article le regard de paysan naturaliste que je suis devenu. Ce regard s’est aiguisé avec le temps, et, avec le changement climatique, la remise en question des pratiques agronomiques a créé l’expérience.

Nous verrons pour cette raison que l’avenir de la châtaigneraie passe par le respect de quatre règles fondamentales :

  • L’importance d’un sol vivant. Le châtaignier est un arbre automorphe. Il se nourrit de sa propre production de biomasse. Il est donc important de ne plus brûler. Les amendements compensatoires de la récolte doivent être généralisés. Mais la dégradation des sols n’est pas d’aujourd’hui : Lucie Dupré2 cite Lavialle dans sa thèse « Du marron à la châtaigne d’Ardèche », qui laisse à penser que le châtaignier est surtout victime des pratiques agricoles3 ! C’est encore le cas, malheureusement.
  • La nécessité de baisser la taille des arbres et de réduire la surface foliaire. Ceci doit être en lien avec le sol. La taille en vert fut toujours pratiquée en cas de crise et en présence de troupeaux qui s’en nourrissaient4. L’arbre fruitier doit nourrir ses fruits et moins le bois. L’arbre à bois, lui, doit se nourrir de lui-même sur sol profond et être suffisamment en compétition pour générer une vraie dynamique. Pour contrer le cynips, la taille est une vraie solution afin de continuer la production en créant la vigueur.
  • Nous devons accorder plus d’importance aux porte-greffes ou aux francs de pied. Dans toutes les régions, nous voyons des arbres qui résistent à deux agressions souvent conjointes, l’encre (Phytophthora cambivora ou cinnamomi) et le stress hydrique. L’esprit de multiplication par le fruit doit être systématique et généralisé même s’il comporte une part d’incertitude quant au résultat. Il est nécessaire de comprendre l’écosystème dans lequel le châtaignier évolue et de faire de la biodiversité variétale une règle. Depuis plusieurs siècles, les paysans ont sélectionné et transmis un capital génétique avec des variétés aux multiples usages. À nous d’en faire autant pour les générations futures. L’importance d’un sol vivant prend tout son sens face à ces deux ravageurs.
  • Le renouvellement des arbres et des producteurs doit rester une préoccupation majeure pour les filières grâce à la formation des jeunes professionnels. Malheureusement, il n’existe pas de formation spécifique « châtaigneraie » fruit ou bois en France. C’est regrettable pour un arbre d’avenir.

Une filière bien vivante

Le constat de la relance de la filière fruit est évident depuis les années 19905. La créativité des recettes culinaires et l’intérêt des consommateurs pour les produits naturels et diététiques grâce à l’absence de gluten dans sa composition ont redynamisé toute la filière. Aujourd’hui, la reconnaissance en AOC puis AOP de certaines productions traditionnelles (Corse, Ardèche, Cévennes) contribue à une notoriété certaine et retrouvée. Du moins, c’est l’image qu’elles donnent. Aussi, les techniques de production et de ramassage évoluent et conduisent les producteurs vers plus de professionnalisation. Toutefois, face aux conséquences des aléas climatiques et à la persistance de nouveaux ravageurs venus de l’autre bout du monde, la technicité des producteurs doit être accompagnée par de multiples rencontres car il existe de nombreux modèles avec de multiples solutions.
À l’inverse, la filière bois de châtaignier s’est développée bien avant en Dordogne et en Limousin grâce au prix proposé sur le marché du bois par comparaison au prix du chêne, devenu rare et onéreux. La demande en bois est en augmentation constante particulièrement pour la rénovation du patrimoine bâti : parquets, voliges, solivage et charpentes. Cette production a une réelle carte à jouer6 car elle offre un bois de grande qualité, très adapté au climat du fait de la biodiversité génétique rencontrée en France7. De plus, elle peut être une ressource locale, très porteuse dans les politiques de territoire où les qualités intrinsèques du bois sont identitaires et correspondent aux nombreux usages techniques qu’on lui demande. Il existe des plants résistants aux dépérissements, nous ne les voyons pas.

« Il existe des plants résistants aux dépérissements, nous ne les voyons pas. »

Aspects botaniques

Le châtaignier est la troisième essence forestière de France. Il couvre environ 190 000 hectares (source IGN, 2017) et représente un total de 2 362 entreprises agricoles8. Son importance économique n’est pas égale suivant les régions car elle se divise en deux parts inégales : le fruit et le bois. Les régions du sud de la France ont développé plutôt le fruit (Sud-Est, Sud-Ouest et Corse), ce qui représente 10 % des arbres, et au nord d’une ligne courbe (Bordeaux, Limoges Lyon, Grenoble) plutôt le bois (Limousin, Isère, Bretagne) pour 90 % des surfaces avec, bien sûr, quelques exceptions : Dordogne pour le bois, Bretagne et Corrèze pour le fruit. Il est présent dans 67 départements de France sur des sols cristallins, métamorphiques ou alluvionnaires, mais il est calcifuge et n’aime pas un pH supérieur à 7. Il est monoïque mais il est autostérile. En effet, les hampes florales mâles fleurissent avant les hampes florales bisexuées dont la ou les fleurs femelles se trouvent à la base de la seconde floraison mâle. La complexité vient d’une grande différence de comportements suivant les variétés. Il est entomophile. La pollinisation s’effectue majoritairement par les insectes, principalement par le téléphore fauve (Rhagonycha fulva) et certains diptères9. Il est indispensable d’avoir plusieurs variétés dans le même verger avec des périodes de floraison mâles/femelles compatibles. En effet, de nombreuses variétés portent des fleurs mâles astaminées et doivent être en présence de variétés dont les fleurs longistaminées pourront apporter le pollen nécessaire. La présence d’autres essences, telles que le tilleul ou le chêne, favoriserait celle des nombreux insectes dans l’écosystème « châtaigneraie ».
Nous avons vu que le châtaignier a plus d’un tour du monde dans son sac… Il sert à tout et à tous ! Face au réchauffement climatique qui nous contraint à mieux réfléchir aux émissions de gaz à effet de serre et à la captation carbone, car cette essence forestière produit des fruits pour les hommes et les animaux, de la biomasse pour le sol et capte le carbone jusqu’à 4 tonnes par hectare10, voire plus.

Châtaignier indigène, C. sativa, toujours en vie malgré les attaques de bioagresseurs depuis de nombreuses années. Capacité de résilience indéniable © J.-F. Lalfert

Jean-François Lalfert

Producteur de châtaignes, Domaine du Bois de Belle domaineduboisdebelle@gmail.com

1 Jean-Robert Pitte. Terre de Castanide. Ed. Fayard 2008
2 Lucie Dupré. Du Marron à la châtaigne d’Ardèche. Ed CTHS 2002
3 Léna Faury. PNR. Monts d’Ardèche. http/youtu.be/ rxJHp7vTwfs?si=gM2cCYcM-3B3cBrS
4 Coline Limbardet, rapport de stage 82 pages PNR Ardèche/CA d’Ardèche. Doc sur demande
5 J.P. Chassany et al. Le Renouveau de la châtaigneraie cévenole. Ed. PNC Cévennes 2009
6 Catherine Bourgeois et al. Le Châtaignier, un arbre, un bois. Ed IDF 2004
7 Cathy Bouffartigue. Importance de la re-domestication pour la conservation de l’agrobiodiversité : le cas du châtaignier. 2020. En ligne : Thèse.fr
8 Fabrice Lheureux et al. La Châtaigne. Ed CTIFL 2023
9 Clément Larue. De la pollinisation à la formation des graines : le cas du châtaignier. https://theses.hal.science/
10 Louise Rouxel, rapport de stage CA d’Ardèche/PNR Monts d’Ardèche. Doc sur demande