Le Centre régional de ressources génétiques Hauts-de-France retrouve et diffuse les variétés en danger
Sauvegarder et valoriser le patrimoine cultivé et domestique agricole, telle est la mission du Centre régional de ressources génétiques (CRRG) Hauts-de-France. Depuis sa création, en 1985, intégré au sein d’espaces naturels régionaux, cet établissement public a pour mission de se concentrer sur trois domaines : l’arboriculture fruitière, les races animales, les légumes. Au fil du temps, sont venus s’ajouter d’autres domaines tels que la vigne et les céréales. Pour faire face à toutes ces missions, le CRRG a créé de multiples partenariats régionaux ou nationaux.
Quel que soit le domaine d’activité du Centre régional de ressources génétiques (CRRG) Hauts-de-France, basé à Villeneuve-d’Ascq (Nord), les missions sont les mêmes et peuvent se résumer en trois étapes : conserver, évaluer, valoriser afin de sauvegarder et valoriser le patrimoine cultivé et domestique agricole.
La conservation : un enjeu crucial sur le long terme
La conservation est une responsabilité majeure pour le CRRG. Il a été reconnu officiellement par le ministère de l’Agriculture en 2022 comme gestionnaire de collections de ressources phytogénétiques pour les espèces fruitières (1 700 accessions en pomme, poire, prune et cerise) et légumières. La collection légumière comporte à ce jour 325 accessions sur une vingtaine d’espèces divisées en deux groupes : espèces à multiplication par graines et espèces à multiplication végétative (ail, artichaut, échalote). Pour ces dernières, la pression est plus forte, car il faut tous les ans replanter des bulbes ou caïeux sous peine de perdre des accessions.
Les graines sont conservées au froid (réfrigérateur et congélateur) grâce à un partenariat avec le Conservatoire botanique national de Bailleul. Pour les espèces à multiplication végétative, les activités sont réalisées sur le site du Pôle légumes Région Nord (PLRN), qui est une station d’expérimentation légumière de la Chambre d’agriculture. Sur le même site, sont réalisées les productions de graines dans des conditions contrôlées afin de préserver l’identité variétale.
Avant de conserver ce patrimoine légumier encore faut-il le retrouver. Pour cela, le CRRG utilise deux voies complémentaires. La première est une veille bibliographique poussée grâce à toutes formes de documents (par exemple les bulletins des sociétés d’horticulture). Ces documents servent de base pour identifier le lien entre les variétés régionales et leur territoire. Il n’est pas rare de trouver une variété avec la même dénomination sur plusieurs territoires ou régions. Pour exemple, le navet de Péronne (Somme) était également cultivé à Montesson (Yvelines). Nous partageons également du patrimoine transfrontalier avec la Belgique. On peut citer trois exemples : les choux-fleurs de Malines, le céleri vert d’Anvers ou le haricot Princesse à rames.
Malheureusement, les traces écrites pour le légume restent succinctes, contrairement à d’autres domaines (pomologie, ampélographie). De même, il est difficile d’avoir des descriptions précises pour nos variétés de légumes sauf celles présentes dans les éditions successives des Plantes potagères de Vilmorin et Andrieux, mais qui se limitent aux variétés que l’on pourrait qualifier de « bourgeoises » (terme emprunté à la pomologie). Il ne faut surtout pas oublier les variétés dites « paysannes », issues de bassins maraîchers importants (Saint-Omer, Dunkerque, Lille, Amiens, Laon…) perpétuées et améliorées par les maraîchers de génération en génération. À cela, on peut encore ajouter des zones de production légumière de plein champ réputées pour leur spécialité (exemple de la carotte de Tilques). Cette sélection dynamique a accru la diversité au sein de chaque région et au sein des exploitations. Chaque maraîcher a cherché à adapter ses sélections à ses natures de sol, à son climat et à ses débouchés économiques. Le résultat est un foisonnement de biodiversité cultivée qu’il faut absolument sauvegarder afin de poursuivre cette sélection paysanne qui peut servir de ressources génétiques pour la sélection moderne.
La deuxième voie d’exploration est l’étude sur le terrain que l’on peut qualifier « d’ethnobotanique » ou de collecte de mémoires. Il s’agit de collecter des témoignages dans les bassins de productions légumiers (actuels ou passés). Ces témoignages sont précieux et souvent uniques. Ils nous permettent bien sûr de retrouver des semences de variétés anciennes mais aussi de recueillir les savoir-faire liés, comme le séchage des haricots grâce à des siccateurs ou la production simultanée de laitue, radis et carotte sous châssis autour de Lille. Bien sûr, avec le temps qui passe, il est de plus en plus difficile de retrouver ces variétés régionales, mais il ne faut jamais désespérer ! Un bel exemple est l’oignon rouge d’Abbeville. Jusqu’au début des années 2010, on pensait qu’il n’existait que dans les ouvrages d’horticulture. Le hasard nous a mis sur sa trace en 2011, grâce au fils d’un ancien maraîcher d’Abbeville qui l’avait multiplié depuis 1941. Il était temps car ce monsieur avait 89 ans ! Cette anecdote est une manière de lui rendre hommage car, sans lui, l’oignon rouge d’Abbeville aurait rejoint la longue liste des variétés disparues.
L’évaluation : un travail de longue haleine
Évaluer les accessions de légumes est un travail long et fastidieux, mais nécessaire si l’on souhaite les valoriser. Cette évaluation s’effectue à deux niveaux. Tout d’abord, la caractérisation consiste à décrire les variétés pour leur donner une « carte d’identité » et confronter ces données à la bibliographie. Ensuite, l’évaluation agronomique vise à observer le comportement des variétés pour évaluer leur précocité, leur rusticité, leur potentiel de rendement et leur sensibilité aux pathogènes et ravageurs.
Depuis quelques années, nous avons ajouté d’autres critères plus difficiles à appréhender mais utiles : l’organoleptique et le nutritionnel. Ainsi, pour la carotte, nos variétés régionales, Tilques et Sant-Valéry, se sont distinguées en préparation cuite face aux (variétés) Nantaises hybrides (ce qui n’est pas le cas pour la préparation râpée). De même, le haricot Princesse à rames est « plus nourrissant » que les autres haricots verts, grâce à une matière sèche plus élevée, liée à sa gousse originale : aplatie avec son grain apparent.
La valorisation, une étape indispensable
Valoriser ce patrimoine légumier est une obsession pour l’équipe du CRRG, car sa finalité n’est pas d’être un musée, ni de conserver des graines éternellement au froid. Son ambition est que ce matériel végétal serve à l’agriculture d’aujourd’hui et aux jardiniers curieux de préserver la biodiversité. Pour cela il soutient deux voies complémentaires. En premier lieu, il soutient toutes les filières agricoles qui utilisent encore des variétés régionales et/ou des savoir-faire locaux. Durant les vingt dernières années, le CRRG s’est beaucoup investi dans la valorisation de ces filières en signes officiels de qualité et d’origine (dits « SIQO ») : principalement Indication géographique protégée (IGP) et Label rouge (LR), seuls moyens parfois de les pérenniser. Parmi ces filières en SIQO, on peut citer l’ail fumé d’Arleux et la valorisation de trois haricots secs : Lingot du Nord, Flageolet vert et haricot de Soissons. Ce dernier, qui est le plus gros haricot sec français, a obtenu en 2023 son IGP. Dans ces dossiers de labellisation, le CRRG apporte ses compétences en matière de semences et d’études historiques. Pour le haricot de Soissons, cette opportunité a permis de créer une collection de haricots d’Espagne (Phaseolus coccineus) à grain blanc grâce à nos travaux de prospection dans l’Aisne.
Le CRRG soutient également la valorisation vers les jardiniers amateurs en favorisant la diffusion de certaines variétés régionales. À l’heure actuelle, il est à l’origine de la diffusion de quinze variétés dont nous avons le statut de mainteneur officiel (1*). Parmi les plus connues on peut citer : la carotte Géante de Tilques à pétioles verts, la laitue Lilloise, la laitue Gotte de Loos, le navet de Péronne, le poireau Leblond ou l’échalote Ardente… La diffusion commerciale est réalisée par deux entreprises partenaires : les Graines Bocquet et Artois bulbes. La relance de ces variétés régionales connaît un succès grandissant auprès des jardiniers soucieux de préserver la biodiversité.
Pour revenir à l’oignon Rouge d’Abbeville, il était presque en voie de disparition en 2011. Désormais, grâce à une large diffusion, il est sauvé ! Depuis quelques années, on voit également des maraîchers de circuits courts s’intéresser à ces variétés originales. Le CRRG travaille avec le PLRN pour acquérir des données technico-économiques afin de répondre à leurs attentes.
Le CRRG s’investit également de plus en plus dans la création d’une filière de production de semences potagères régionale. Les filières de production de légumes en agriculture biologique constituent un enjeu important qui est mené dans un partenariat avec Bio en Hauts-de-France. Le CRRG n’est pas isolé sur le plan national. Des structures d’autres régions françaises ont investi le champ de la sauvegarde et de la valorisation de la biodiversité agricole végétale et animale. Une fédération nationale est née le 5 juillet 2023. Elle couvre une partie des régions françaises : Nouvelle Aquitaine, Centre-Val-de-Loire, Pays de la Loire, Bretagne, Normandie et Hauts-de-France. D’autres régions élargiront ce cercle. C’est une bonne nouvelle tant les enjeux de préservation sont primordiaux dans le contexte des changements climatiques, environnementaux et sociétaux que nous connaissons.
Richard Boucherie
Chargé de mission patrimoine légumier et céréalier, espaces naturels régionaux, Centre régional de ressources génétiques Hauts-de-France, www.enrx.fr
(1*) Voir Jardins de France n° 669 « Catalogue officiel des variétés »