Le Cèdre de Jussieu et sa véridique histoire…
Daniel Lejeune
Bois d’œuvre mythique des réalisations égyptiennes ou de la construction du temple de Jérusalem, le Cèdre du mont Liban a toujours fasciné les esprits.
Cèdre de Jussieu au Jardin des Plantes
Rares sont les voyageurs en Orient de la période romantique qui ne soient allés contempler la forêt de Cèdres ou ce qu’il en restait au XIXe siècle. Cette grande forêt était alors déjà devenue relictuelle du fait des exploitations abusives et répétées. En 1885, alors qu’il ne restait qu’à peine 400 arbres, le gouverneur du Liban, Rustem Pacha, dût prendre des mesures de protection contre le pâturage[1]. Ces 400 arbres comprenaient sans doute de jeunes arbres, amorce d’une régénération espérée, car Lamartine, dans son « Voyage en Orient » relatant sa visite au mont Liban en avril 1833, écrit : « Ces arbres sont les monuments naturels les plus célèbres de l’univers… les Arabes de toutes les sectes ont une vénération traditionnelle pour ces arbres… Ce sont des êtres divins sous la forme d’arbres… Hélas ! Ces arbres diminuent chaque siècle. Les voyageurs en comptèrent jadis trente ou quarante, plus tard dix-sept ; plus tard encore, une douzaine. Il n’y en a plus que sept, que leur masse peut faire présumer contemporains des temps bibliques… »[2] En fait et contrairement à ce que l’on croit généralement, l’espèce existe aussi dans la région du Taurus où l’on trouve des formes parfois bleutées, que l’on croit souvent réservée aux seuls cèdres de l’Atlas. Il est vrai que les botanistes s’entendent aujourd’hui pour considérer que les trois anciennes espèces méditerranéennes, le cèdre du Liban, le cèdre de l’Atlas et le cèdre de Chypre, ne sont que des écotypes d’une espèce unique.
Deux pieds dans un pot
L’introduction en France du Cedrus libani remonterait à 1735, grâce à la générosité de Sloanne, alors directeur des jardins de Kew. Bernard de Jussieu arrivant de Londres, aurait laissé tomber la précieuse potée qui se serait brisée sur le sol parisien, contraignant notre botaniste national à sacrifier son chapeau pour finir son retour au jardin du roi. La légende magnifia bien vite l’anecdote et l’on alla jusqu’à prétendre que le Cèdre de Jussieu avait été rapporté de Syrie dans un chapeau, Bernard de Jussieu s’étant privé d’eau pour l’arroser ![3] On raconta aussi que le cèdre de Jussieu n’avait pas été donné par les anglais mais qu’il leur avait été (héroïquement ?) dérobé ! Nous étions à l’époque des corsaires… En fait, Bernard de Jussieu rapporta non pas un, mais deux petits cèdres. Voici ce qu’en dit le botaniste Mérat : « Bernard de Jussieu, revenant du premier voyage qu'il fît en Angleterre, en apporta deux pieds dans un pot que, pour plus de sûreté, il conserva dans son chapeau pendant tout le voyage de Londres à Paris. Ils provenaient de ceux plantés en 1683 à Chelsea, près de Londres »[4].
D'autre part, on trouve en note dans les Eloges Historiques de Flourens, le témoignage suivant de Laurent de Jussieu, botaniste célèbre, et neveu de l'introducteur du Cèdre : « Je me souviens de lui avoir entendu dire qu'il avait rapporté de Londres dans son chapeau, un pot qui contenait deux pieds de Cèdre du Liban qui n'avait pas encore paru en France »[5]
Le portrait d’un géant
L’un des deux sujets a été planté au Jardin du Roi, au pied de le la colline du Labyrinthe et l’on sait les belles dimensions qu’il y a atteint. Connaît-on ce qu’il est advenu du second ? Oui : « A son retour des eaux du Mont-d'Or, Mérat s'arrêta à Montereau pour y voir son frère, et celui-ci le conduisit à Montigny-Lencoup (Seine-et-Marne), afin de lui montrer un magnifique Cèdre du Liban, qui mesurait alors de 16 à 17 pieds (5,28 m à 5,60m) de tour »
Bernard de Jussieu l’avait donné à Trudaine, alors intendant général des Finances et directeur des Pépinières Royales, qui le planta en 1735 dans le parc du château qu'il avait fait construire à Montigny-Lencoup. La Revue Horticole a publié en 1907 le portrait de ce géant, et M. Rousseau a raconté comment il fut sauvé de l'exploitation forestière. En 1851, le domaine fut vendu à une société de spéculation, puis échut à M. de Haut, président du Comice agricole de Seine-et-Marne qui céda le tout à la commune de Montigny-Lencoup[6]. Il serait trop simple de s’arrêter là…En dépit de l’origine avérée du Cèdre de Montigny-Lencoup et des témoignages de Laurent de Jussieu, il se trouva en France plusieurs propriétaires pour revendiquer la communauté d’origine de leur Cèdre avec celui du jardin des Plantes.
La botanique est parfois un roman… chapeau bas, chers lecteurs !
Cèdre de Montigny Lencoup - Revue Horticole 1907
[1] Revue Horticole, 1882, p 325
[2] Lamartine, Voyage en Orient, 1876, volume 2 p 46 Paris, édition Pagnerre, Hachette et Cie, Furne, Jouvet… etc.
[3] Revue Horticole, 1902 p 104.
[4] Mérat, Anecdote sur le Cèdre du Liban, Ann. de la Soc. Royale d'Horticulture de Paris, p. 112, 1836.
[5] Flourens, 1857.
[6] Revue Horticole, 1921, p 350, étude de Félicien Lesourd sur les plus gros arbres de France.
Merci d’avoir partagé l’histoire de du cèdre ! Moi j’adore les arbres, et le cèdre est un de mes arbres préférés ! J’adore les potos que vous avez partagés ; elles sont toutes trop belles. Avez-vous des conseils pour quelqu’un qui veulent laisser pousser des cèdres dans leur jardin ?
lors d’une conférence, j’ai entendu que Jussieu avait donné un Cèdre à Duhamel du Monceau, celui qui a écrit un Triaté des rabres et arbustes qui se cultivent en pleine terre en France.
Qu’en pensez-vous ?
N’auriez-vous pas des informations sur le Cédre de Neuville sur Oise, dont il fut dit aussi qu’il avait été ramené par Jussieu dans son chapeau. Il était alors question de 3 cèdres dans le chapeau. Merci par avance.
A Caen en 1849, au sommet d’une butte de l’actuel parc Ornano, un cèdre du Liban fut planté par des religieuses, afin de commémorer les massacres des chrétiens maronites au Liban en 1845
Le cèdre de Montigny-Lencoup a été abattu par une tempête en décembre 1935