Quand l’arbre inspire et mobilise les artistes
Le motif de l’arbre apparaît tardivement dans la peinture occidentale, mais il va profondément marquer l’histoire de l’art. On lui doit la naissance de nouveaux mouvements artistiques ainsi qu’une prise de conscience écologique chez les artistes bien antérieures à celle de la communauté scientifique.
L’arbre, source d’inspiration artistique
La scène se passe en 1888 devant un paysage automnal de Pont-Aven, petit village breton du Finistère. Une rivière, bordée d’un côté par une hêtraie et de l’autre par des chênes, conduit à un moulin. Paul Gauguin donne une leçon de peinture à Paul Sérusier (1864-1927), jeune artiste de 24 ans. L’exaltation de ce dernier est telle qu’il se permet audacieusement d’aller plus loin que le maître. Les détails sont éliminés et la couleur prend le pouvoir sur la réalité observée.
Les hêtres et leurs reflets deviennent de grandes taches jaunes éclatantes, les troncs sont bleus ciels, la lumière inondant le sous-bois est traitée en rouge vermillon, tandis que l’autre rive, assombrie par les chênes, se colore de verts foncés, presque noirs. De retour à Paris, Sérusier présente son tableau à ses amis peintres Maurice Denis, Pierre Bonnard, KerXavier Roussel, Édouard Vuillard et d’autres. C’est une telle révélation que l’œuvre insolite est baptisée : Le Talisman! Sérusier et ses amis adoptent alors le nom de « Nabi » (« prophète » en hébreu) pour désigner leur appartenance à une nouvelle vision de l’art se caractérisant par une schématisation extrême, l’utilisation d’aplats, c’est-à-dire de surfaces cloisonnées remplies de couleurs pures, et l’abandon presque total des contrastes d’ombre et de lumière, des effets de modelé ou de profondeur. Le mouvement De Stijl (néerlandais « le style ») s’est construit autour de l’art abstrait de Piet Mondrian (1872-1944). Connu pour ses œuvres entièrement composées de rectangles blancs, rouges, jaunes et bleus, Mondrian a été, et est toujours, une source d’inspiration pour les créateurs de mode, designers et architectes.
C’est l’arbre, en particulier l’arbre d’hiver, qui lui a servi de guide vers l’abstraction. Une fois défeuillée en effet, une architecture végétale dévoile les règles de construction sous-jacentes entre les lignes verticales, tel le tronc, et les branches horizontales insérées perpendiculairement. Placé au premier plan, le motif de l’arbre a donc pour effet de quadriller un paysage jusqu’à ce qu’il devienne une simple juxtaposition géométrique de rectangles. L’Arte povera (l’art pauvre), réunit des artistes italiens qui, vers 1966, s’opposent à la société de consommation et prônent un retour aux matériaux naturels tels que la terre, les végétaux et les minéraux. Le sculpteur Giuseppe Penone, né en 1947, ne représente pas les arbres, il ne fait que les présenter. Il ne recourt pas à l’imagination et n’ajoute rien à la nature, il ne fait qu’enlever. Le principe est le suivant : le bois est retiré, cerne après cerne, jusqu’à faire surgir la forme du jeune arbre tel qu’il était à l’origine. Qu’il s’agisse d’un cèdre séculaire ou d’une simple poutre en bois, Penone remonte le temps et retrouve la mémoire du végétal ligneux. Du matériau bois, il fait apparaître des troncs effilés portant de petites branches. En quelque sorte, il fait renaître l’arbre tombé au sol ou parti à la scierie pour devenir un objet manufacturé. La poutre redevient arbre !
Des artistes soutiennent la cause des arbres
Si les vieux arbres de Fontainebleau échappent, en 1853, à une coupe rase, c’est grâce aux peintres installés dans le village de Barbizon, en lisière de la forêt. Les vieux chênes et les rochers sont leurs motifs préférés et le public les suit. Forts de leur succès, ils s’opposent à la toute jeune École nationale des eaux et forêts de Nancy, créée en 1824, qui prévoit de rénover les vieilles futaies par des coupes rases et des plantations de résineux. Le 13 août 1861, la victoire est éclatante. Un décret prévoit de soustraire à tout aménagement 542 hectares de vieilles forêts et 555 hectares de rochers. Sur ces sites à destination artistique, aussi appelés « séries artistiques », il devient interdit d’abattre et de planter.
En 1891, Claude Monet (1840-1926) s’oppose à l’abattage d’arbres d’une façon peu banale : lorsqu’il apprend que les peupliers qu’il voulait peindre, récemment mis aux enchères, seront prochainement coupés, il propose sans hésiter à l’acheteur un montant supérieur à celui de la transaction, pourvu que les arbres restent debout le temps nécessaire à leur peinture.
Depuis des temps immémoriaux, les arbres, donc la beauté, sont maltraités par l’homme. Les artistes en ont pleine conscience. Pour l’artiste belge Léon Spilliaert (1881-1946) : « Il n’y a rien de plus beau sur la terre qu’un grand arbre. » Son encre de chine de 1900, cyniquement appelée Contemplation, montre l’indignation et la colère de l’artiste devant des arbres sauvagement étêtés à coups de tronçonneuse, réduits à l’état de poteaux, tels des ossements géants.
Les exemples précédents montrent que les peintres savent nous ouvrir les yeux sur la beauté des arbres et leur fragilité. Pour tous ceux qui passent devant les arbres sans les voir ou pour ceux qui ne les regardent plus, il reste l’art pour s’émouvoir.
Christophe Drénou
Ingénieur de recherches et développement à l’Institut pour le développement forestier, docteur ès Sciences, diplômé de l’INH d’Angers
À LIRE
Christophe Drénou, Arbres, un botaniste au musée, 2018, éditions Fage, 175 pages, 35 euros.