L’almanach du bon jardinier, un titre majeur de l’horticulture française (partie I)
Daniel Lejeune
Si l'on en croit les rédacteurs de l’édition de 1824, ce serait à un certain Pons-Augustin Alletz, de Montpellier, que l'on devrait la parution en 1755 du premier almanach du Bon Jardinier. Hormis 1815 et 1871[1],années où Paris fut assiégé, le titre a paru chaque année et sans interruption jusqu’en 1914. Depuis cette date, ne seront parues que quatre éditions, nommées Encyclopédie horticole, en raison de leur volume et de leur contenu à chaque fois entièrement révisé. La dernière parution, celle de 1992, est la 153 ème !
Les auteurs : quelques repères glanés dans des éditions successives[2]
1755 : Alletz, avocat et auteur de l”Agronome ou dictionnaire du cultivateurs[3]
1778 : De Grace, amateur et cultivateur
1790 : De Grace
1807 : Mordant de Launay
1821 : Pirolle, Vilmorin, Noisette
1827 : Poiteau et Vilmorin
1844 : Poiteau, Vilmorin, Louis Vilmorin, Neumann, Pépin
1847 : Poiteau, Vilmorin, Louis Vilmorin, Decaisne, Neumann, Pépin
1856 : Vilmorin, Louis Vilmorin, Decaisne, Neumann, Pépin, Naudin
1860 : Vilmorin, Poiteau, Louis Vilmorin, Bailly, Borie, Carrière, Naudin, Neumann, Pépin
1866 : Vilmorin, Louis Vilmorin, Decaisne, Naudin, Neumann, Pépin
1884 : Vilmorin, Louis Vilmorin, Henry Vilmorin, Decaisne, Naudin, Neumann, Pépin
1887 : Vilmorin, Louis Vilmorin, Henry Vilmorin, Decaisne, Naudin, Neumann, Pépin, Carière, Heuzé
1897 : Les mêmes auxquels s’ajoutent Mottet et Bellair
1902 : Poiteau, Vilmorin, Louis Vilmorin, Decaisne, Naudin Neumann, Pépin, Carrière, Heuzé, Philippe Vilmorin, Mottet, Dauthenay
Notons la collaboration ininterrompue des Vilmorin à la rédaction du BJ depuis les années 1820
Des dédicaces prestigieuses sous l’Empire et la Restauration
Sous le premier empire, le Bon Jardinier fut dédié et présenté par Mordant de Launay à sa Majesté l’Impératrice-Reine Marie-Louise. Sous la Restauration, c’est ensuite André Thouin, professeur au Muséum qui était honoré, puis le Bon Jardinier fut enfin dédié à SAR la Duchesse de Berri, férue de botanique.[4]
Un contenu en amélioration constante
Partant d'un simple calendrier suivi d'une description alphabétique des principales plantes cultivées, le Bon Jardinier a vu son contenu s'accroître d'année en année, non seulement en nombre de pages, mais aussi et surtout en matières traitées. Bientôt, la possibilité de relier l’ouvrage en deux volumes paginés globalement ou séparément selon les éditions fut proposé. Le second fut rapidement réservée aux plantes ornementales. Dès les années 1820, apparaissent des chapitres consacrés à quelques ennemis des cultures, à l'outillage, à la multiplication végétative et aussi à la physiologie. Viennent en 1824 la taille des arbres et la conservation des plantes, c'est à dire les abris divers. Le Bon Jardinier ouvre depuis 1825 sur une Revue Horticole faisant le bilan des nouveautés constatées depuis l'édition précédente et qui donnera naissance en 1829 à la revue du même nom par les rédacteurs du Bon Jardinier. Ce volet sera pérennisé durant toute la décennie1830. Il restera dans les éditions postérieures à 1850 une revue des nouveautés. Vers cette époque apparait un ensemble de tableaux de conversion des différentes unités de mesure encore pratiquées en France à côté du système métrique réglementaire. Des principes de chimie et de physique horticoles sont développés et les maladies des plantes justifient une considération à part entière. En 1854 est abordée la question de culture des terres. En 1858, le dictionnaire du second volume est précédé d'un chapitre dédié à l'utilisation des végétaux et constitué d'une succession de listes d'emploi thématiques.
[1] L'édition correspondante est groupée avec celle de 1872
[2] Les auteurs du Bon Jardinier annonçés en tête de l’ouvrage se sont nécessairement renouvelés au cours du temps. Pourtant, certains noms semblent avoir été suffisamment “vendeurs” pour être conservés longtemps après le décès des intéressés. Il en est ainsi de Poiteau, décédé en 1854, de Neumann, disparu en 1858, de Joseph Decaisne en 1882, d’Elie-Abel Carrière en 1896…
[3] introduction de la dernière édition du BJ
[4] A l’imitation de Joséphine de Beauharnais à la Malmaison, elle avait dès 1820, complètement replanté le parc de Rosny.
Le Bon Jardinier et la botanique
Très tôt apparaît dans le Bon Jardinier un lexique botanique, intitulé « vocabulaire » complété vers 1840 d’un tableau comparatif entre les systèmes de Linné et de Jussieu. En 1845, les auteurs précisent que Depuis 1700, l'école de botanique du jardin du roi était planté selon la méthode de Tournefort, qu'en 1776, elle fut plantée selon la méthode naturelle de Jussieu, que des plantations complémentaires furent réalisées en 1824 par Desfontaines et qu'enfin, en 1843, l'apport des plantes exotiques était tel qu'il fallu tout recomposer, ce que fit Brongniard, selon une méthode à lui. C'est cette classification qui est alors adoptée par les auteurs, qui préciseront toujours, au fil des éditions successives l’utilisation par le Bon Jardinier, du système en vigueur au Jardin des plantes. Les années 1850 verront un développement important de l'anatomie, de l'organographie et de la physiologie végétales, important chapitre à part entière du second volume.
Les Gravures du Bon Jardinier
En 1827, le BJ comporte quelques planches hors texte présentant des outils, des abris, etc. Vers 1841 apparaissent des illustrations dans le texte, dont le nombre ne fera que s'accroître, alors que sont parallèlement proposées les éditions successives des «Gravures du Bon Jardinier». Ces dernières constituent une œuvre éditoriale parallèle, mais indépendante. Leur parution n’a pas été régulière et il est difficile d’en dater les éditions successives qui ne sont facilement repérables que par leur rang. Il faut aller chercher les informations dans quelques éditions du Bon Jardinier lui-même, dans les pages de la Revue Horticole ou dans les catalogues de l’éditeur. C’est ainsi que, selon le Bon Jardinier 1887, la première parution des gravures daterait 1813. La 13e éd. des gravures serait parue en 1845[5] avec une version colorée. La 17e éd., réalisée par Decaisne et Hérincq, date à peu près de1850. L’éditeur Dusaq précise : «Il y a quarante planches supplémentaires par rapport à la 16e édition. Les planches en cuivre ont été réservées pour les détails délicats d'organographie[6] Nous les augmenterons par la suite... Les quatre dernières éditions et celle-ci, surtout, témoignent donc de notre volonté bien arrêtée de tenir le Bon Jardinier au niveau de la science». Cette édition comporte un chapitre d'art des jardins avec des plans anonymes pour la plupart, mais empruntés pour partie à Thouin et à Lenné[7]. La 20e éd. comporte 824 planches ou gravures. Elle est citée jusqu'en 1863 La 22e éd. date environ de 1866. Elle reproduit les plans des parcs Monceau et de Maisons[8]. La 23e éd.[9] Qui a paru en 1874 est épuisée en 1887. La 24e éd., alors “en préparation”, n’était toujours pas disponible en 1890... Au XXe siècle, les gravures et illustrations sont incorporées à l’ouvrage principal
Les importantes éditions du XXe siècle
A partir de 1914, la parution du Bon Jardinier, édité par La Maison Rustique, ne pourra plus être annuel. 1914 (150e édition) Rédigé sous la direction de Bois et Grignan[10]. Ce fort volume de 1036 pages, a fait l’objet de réimpressions en 1921 et en 1933. Il comporte 6 belles planches en couleurs spécialement réalisées en 1912 par A. Millot. Un chapitre détaillé sur l’Art des jardins est signé René-Edouard André (mais cette planche dépliante manque dans les réimpressions de 1921) Les collaborateurs sont Cochet-Cochet, Nomblot, Mottet, Pardé, Bruant, les Vilmorin, Baltet, Chenault, Hickel, Laumonnier... 1947 (151e édition) Rédigée sous la direction de Chouard et Laumonnier[11], cette édition, fortement augmentée, était originellement prévue pour 1938. Elle comporte un développement en génétique. Le dictionnaire des plantes renvoie aux articles de la Revue Horticole parus de 1914 à 1946. Une bibliographie est proposée pour complément. L'introduction comporte un historique des éditions successives et des auteurs du Bon Jardinier, de 1755 à 1947. La VIe partie, consacrée à l'Art des Jardins est rédigée par F. Duprat. Les huit planches en couleurs sont de Madeleine Huault. Les éditeurs déclarent qu'il s'agit probablement du plus gros effort de l'édition française d'après-guerre[12].1964 (152e édition) Publié sous la direction de Grisvard et Chaudun[13], avec la collaboration de Chouard et Guillaumin, l'ouvrage, comporte deux volumes cumulant 1667 pages est illustré de plus de 2500 figures et photographies en noir ou en couleurs La préface est de Pierre Schneiter, président de la SNHF. L'index des noms d'auteurs de la botanique passe de 500 à 1200. La phénologie est développée pour adapter l’ouvrage à chaque région de France. L'Art des jardins est encore traité par F. Duprat et comporte un développement particulier sur les jardins à thèmes. Les articles du second volume proposent des correspondances bibliographiques avec la Revue Horticole. Cette 152e édition a été couronnée par l'Académie d'agriculture de France et a reçu de la SNHF le prestigieux prix Joubert de l'Hiberderie. 1992 (153e édition) Encore accrue en contenu, cette édition préfacée par Michel Cointat, président de la SNHF, comporte trois forts volumes totalisant 2882 pages. Cette dernière édition du Bon Jardinier a été menée à bien par de nombreux auteurs dirigés et coordonnés par de Jean-Noël Burte, conservateur des jardins du Luxembourg. Le dictionnaire ne comporte plus de références à la Revue Horticole, qui a malheureusement cessé de paraître en 1974. La classification des plantes phanérogames est celle de Cronquist. Le coût atteint par cette édition et son peu de maniabilité ont convaincu les éditeurs d'en extraire un résumé en un seul volume de 1175 pages «seulement", publié en 1994 sous le titre « Encyclopédie du Bon Jardinier ».
Nous verrons dans un prochain article comment divers ouvrages ont pu, au cours de l'histoire de l'édition, se proposer des objectifs semblables au Bon jardinier, voire à le concurrencer.
[5] catalogue Dusaq relié à la suite de mon exemplaire personnel du BJ 1847
[6] 39 superbes petites planches d'organographie végétale sont en effet dûes à Mlle E. Taillant
[7] 1789-1866, paysagiste allemand aujourd’hui méconnu, auteur du parc de Charlottenburg et du Tiergarten de Berlin
[8] Plan commandé à Duvillers-Chasseloup après lotissement partiel opéré par le banquier Laffitte
[9] RH 1874 p 208
[10] respectivement rédacteur en chef et secrétaire de rédaction de la Revue Horticole
[11] enseignants à l’Ecole Nationale d’Horticulture de Versailles
[12] Revue Horticole 1947 p 281 et surtout p 274
[13] respectivement conservateur des jardins du Luxembourg et assistant au Museum
novembre-décembre 2012