L'acclimatation des végétaux, limites et défis…

Daniel Lejeune

Les cultivateurs ont très tôt évalué les limites territoriales de culture des grandes espèces économiques ou alimentaires. Il faudra pourtant attendre le voyage en Amérique du Sud de Humboldt et de Bonpland, entre 1799 et 1804, pour que soit clairement défini l’étagement des cortèges floristiques avec l’altitude, initiant ainsi une nouvelle science : la géographie botanique.

L’hiver dessine la trame de jardin, la neige et le givre habillent les silhouettes des arbres (Salix elaeagnos rosmarinifolia)…

L’horticulture européenne d’alors est débutante, mais les explorations et les collectes botaniques s’accélèrent, alimentant collections, parcs ou cultures forestières dont on redécouvre les charmes et l’utilité à la faveur d’une paix revenue. Comment valoriser au mieux les immenses potentialités des végétaux exotiques ? Dans quelle nouvelle colonie les introduire pour se placer dans la concurrence internationale ?
La Société Nationale d’Acclimatation, fondée en 1854 et installée au Bois de Boulogne en 1858, se propose d’expérimenter l’implantation d’espèces exotiques, tant animales que végétales, dans les différents territoires français métropolitains ou coloniaux. Après la saga des épices ou de la canne à sucre, se succèdent ainsi celle du café, du thé… du caoutchouc, enjeux économiques majeurs.


 

Des zones nettement délimitées

Deux zones géoclimatiques se sont imposées à l’évidence des botanistes de Montpellier : la zone de l’oranger
et la zone de l’olivier, assez nettement délimitées par un ensemble de facteurs dont le froid hivernal est prépondérant. Sur de plus importantes étendues, on a également pu observer la limite septentrionale de culture de la vigne et cela en fonction de l’histoire climatique du millénaire écoulé.
Quant à l’horticulture ornementale, le principe de précaution régna longtemps et fit d’abord donner aux nouvelles espèces la serre et la terre de bruyère. Un récent article paru dans Jardins de France relate d’ailleurs l’évasion et le succès de culture en pleine terre du Magnolia grandiflora. Nous pouvons également rappeler les essais du pépiniériste André Leroy pour cultiver le camellia en plein air, la production de fleurs à couper étant devenue des plus rémunératrices.
Les expériences de terrain des professionnels et amateurs éclairés ont pu être suivies dans les nombreuses
publications, revues et bulletins. Elles contribuent puissamment à préciser la plasticité culturale des plantes exotiques. De leur côté, les accidents climatiques successifs tempèrent périodiquement la témérité des jardiniers.
Nous avons pu constater qu’en 1985, les écrits de Charles Baltet sur la sensibilité au gel des végétaux ligneux durant le grand froid de 1879-1880 étaient oubliés. L’installation de riches anglais sur ce qui deviendra la côte d’Azur, était à l’origine d’une flore horticole originale néo-méditerranéenne, très marquée par la présence de palmiers et de mimosas et qui donna une singularitéà l’art des jardins. La volonté d’évaluer scientifiquement l’acclimatation, mais aussi d’observer botaniquement toutes ces plantes « nouvelles pour la science », donna naissance à des collections publiques ou privées. Ce fut la grande époque des arboretums (La Fosse, la Malmaison, Verrières– le-Buisson puis les Barres, Chèvreloup, Segrez, Saint-Jean-Cap-Ferrat, la Jaÿsinia à Samoëns ou la Villa Thuret à Antibes…). Mais il importe de rassembler quelques idées et définitions élémentaires pour comprendre les succès ou les échecs de l’acclimatation.


QUELQUES NOTIONS

On entend par acclimatation d’une espèce à un territoire donné, la capacité de cette dernière à y vivre d’une manière pérenne sans aide particulière. L’acclimatation ne comprend pas la reproduction spontanée, qui est un état d’adaptation supplémentaire décisif et auquel on réserve le qualificatif de naturalisation. Le Robinier sp. en est un bon exemple. Profitant de conditions écologiques particulièrement favorables, certaines espèces introduites, volontairement ou non, peuvent échapper à l’agronomie ou à l’horticulture pour se répandre en abondance et même entrer en concurrence avec les espèces autochtones. On parle alors d’espèces invasives. Chez nous, le Phytolacca dioica (raisin d’Amérique), le Polygonum sieboldii (renouée du Japon) ou la célèbre algue Caulerpa entrent dans cette catégorie.

 

Un arsenal de protections…

Dans les territoires à saisons alternées, les facteurs qui limitent l’acclimatation sont ceux de la saison « défavorable », durant laquelle, outre de remarquables modifications morphologiques et anatomiques des organes végétatifs, l’horloge physiologique des espèces a « calé » une période de repos obligatoire.
Pour sauvegarder le redémarrage printanier, les végétaux ont ainsi élaboré tout un arsenal de protections et de postures bien décrites par Raunkiaer, basées sur la position des organes de réserve et de renouvellement pérennes par rap- port à la surface du sol. S’enterrer, se recouvrir de litière, composer avec la couche de neige, multiplier les écailles protectrices des bourgeons sont des stratégies faciles à observer et qui expliquent par exemple l’étonnante fragilité des plantes alpines cultivées en plaine.
Encore faut-il que le réveil végétatif ne soit pas prématuré. Les plantes sont dotées à cet effet de systèmes chimio-physiologiques interdisant le redémarrage avant qu’une certaine « dose » de saison défavorable, en particulier de froid, n’ait été enregistrée. C’est la fameuse « levée de dormance ».

 

Le froid et la sécheresse, contraintes principales pour s’acclimater

Dans nos contrées, le facteur le plus défavorable à l’acclimatation est le froid et nous parlons de rusticité thermique. Sous d’autres cieux, c’est la sécheresse qui joue ce rôle. Son intensité et sa durée y jouent un rôle équivalent. L’homologie entre froid et sécheresse est d’ailleurs facile à constater : en sortant d’un été caniculaire,comme celui de 2003, durant lequel la végétation s’est arrêtée, divers arbres et arbustes à floraison printanière redémarrent et refleurissent, ayant enregistré l’équivalent d’un « hiver estival ». Ces végétaux accomplissent ainsi, et péniblement, deux cycles végétatifs en une seule année, souvent le cas de marronniers, de cerisiers ou de forsythias... De quelles informations pratiques disposons-nous en matière d’acclimatation ? La confrontation du climat de la région native d’une espèce et de celui de la zone d’introduction espérée, permet logiquement de prévoir dans une large mesure les chances de succès d’une introduction. Outre les cartographies fines établies en zone méditerranéenne et qui font autorité, le praticien de l’acclimatation des ligneux dispose de deux ouvrages largement exhaustifs et raisonnablement précis. Il s’agit des « manuels » de Rehder et de Krüssmann, précisant pour chaque espèce décrite le degré d’adaptation, selon des aires d’isorusticités géographiques.

Le froid a piégé les fleurs et les bourgeons du rosier Rosa rugosa… - © Daniel Lejeune La fine dentelle de cristaux couvre les feuillages (Viburnum tinus) - © Daniel Lejeune
L’acclimatation désigne clairement l’adaptation d’une espèce à un climat et à un territoire donné… ou la capacité de cette dernière à y vivre d’une manière pérenne sans aide particulière...


L'ACCLIMATATION ET LE CLIMAT

La météorologie n’étant pas le climat, de fortes anomalies surviennent immanquablement par rapport aux moyennes décennales ou centennales. Elles peuvent remettre en cause certaines acclimatations réputées acquises. L’horticulture du XIXe siècle, qui a vécu la fin du « petit âge glaciaire », a subi plusieurs fois de tels aléas.

À une tout autre échelle, le climat lui-même n’est pas constant. Les flores, européenne et nord-américaine, montrent leurs scénarios respectifs de reconquête septentrionale après les dernières glaciations et les soulèvements montagneux qui ont suivi.

De nouveaux changements climatiques semblent en marche. Ils vont jouer un rôle déterminant dans l’évolution des flores spontanées ou cultivées.

L’acclimatation désigne clairement l’adaptation à un climat donné. Pour autant, il existe de nombreux autres facteurs pouvant provoquer l’échec d’introductions végétales. Le sol, tout d’abord, et singulièrement son pH, mais aussi l’existence de parasites et prédateurs agressifs.

Carte des zones d’isorusticité de Krüssmann
 

Carte des zones d’isorusticité de Rehder

Bibliographie

P. Auge, P. Allemand et R. Hames. Les arbres et arbrisseaux acclimatés en région méditerranéenne française, INRA 1973.

E. Leroy-Ladurie. Histoire du climat depuis l’an mil, Flammarion 1993.

G. Krüssmann. Handbuche des Nadelgehölze et Handbuch der Laubgehölze. Paul Parey 1976 et 1983.

A. Rehder. Manual of threes and shrubs, Mac Millan1960.

J.-N. Burte et al. Le Bon Jardinier : classification de Raunkiaer, La Maison Rustique 1992.

D. Lejeune et al. Végétaux et grands froids, Centre-impression 1986.

Ch. Baltet. L’action du froid sur les végétaux pendant l’hiver 1879-1880, Tremblay 1882.