La tulipe au fil des siècles
Utile aux jardiniers comme aux fleuristes, la tulipe a traversé les âges. Grâce à ses formes, à ses coloris variés et sa facilité de culture, elle a su déclencher de nombreuses passions.
Une fleur venue d’Orient qui conquit l’Europe
L’origine de la tulipe se situe dans les régions d’Asie centrale et mineure. C’est là que les premières espèces sauvages de tulipes ont évolué et se sont adaptées aux différentes conditions climatiques. Le genre Tulipa appartient à la famille des Liliacées. On estime qu’il existe une centaine d’espèces sauvages répandues dans le monde, les trois quarts d’entre elles étant présentes en Asie centrale.
L’origine du mot « tulipe » est orientale, il dérive du mot turc tulipan, qui désigne le turban dont la forme rappelle celle de cette fleur. La tulipe prend une grande importance en Turquie à la fin de l’empire Ottoman, où elle est cultivée pour la première fois. Fleur symbole de Soliman le Magnifique (1495-1566), on la retrouve partout, décorant faïences, tissus et manuscrits de l’époque. Elle est introduite en Europe par l’ambassadeur autrichien Auger Busbecq, après un voyage à Constantinople. En 1554, des graines et bulbes de tulipes sont envoyés à Charles de l’Écluse, directeur des jardins de l’empereur Maximilien II à Vienne. Il sème et plante ces bulbes et obtient une grande diversité de couleurs. La tulipe est alors présentée comme une plante nouvelle et rare.
En 1593, de l’Écluse devient directeur du jardin de Leyde, aux Pays-Bas, et y installe sa collection de tulipes. Au cours des XVIe et XVIIe siècles, grâce aux échanges culturels et commerciaux, les bulbes de tulipes commencent à se répandre dans toute l’Europe, mais c’est aux Pays-Bas que la fleur connaît une véritable révolution.
La tulipomania
L’histoire de la tulipe néerlandaise atteint son apogée avec ce que l’on appelle la « tulipomania ». En effet, au cours du XVIIe siècle, les Néerlandais développent une véritable passion pour cette fleur. Durant cette période, les prix des bulbes s’envolent pour, finalement, s’écrouler. Si la tulipomania n’a fait que quelques rares victimes, elle n’en est pas moins restée dans les mémoires. Pour comprendre l’origine de la spéculation qui s’est établie aux Pays-Bas de 1634 à 1637, il est nécessaire de faire le point sur les modes d’obtention de la tulipe et la part de hasard qui en découle. La reproduction des tulipes peut être végétative ou sexuée. La fécondation est croisée (sauf exception), bien que les fleurs soient hermaphrodites.
Les tulipes obtenues par semis présentent une grande diversité de formes et de couleurs, il faut sept ans aux graines de tulipes pour devenir des bulbes. L’hybridation interspécifique donne naissance à de nouvelles fleurs dont les pétales mêlent les couleurs des deux espèces parentes. Les horticulteurs choisissent alors les plus belles fleurs et tentent de multiplier la plante à l’identique. Le bulbe principal se divise en bulbilles appelées caïeux. Ces caïeux possèdent les mêmes caractéristiques que la plante mère. Après deux ou trois ans, les caïeux produisent des fleurs à leur tour.
La prolifération des variétés les plus prisées se trouve donc limitée et leur rareté joue un rôle déterminant dans la flambée spéculative. Le coût d’un végétal est déterminé par la demande, par la facilité ou la difficulté à le cultiver et à le reproduire. Durant l’épisode de tulipomania, les tulipes les plus prisées sont victimes d’un virus dont l’effet, totalement imprévisible (à l’époque), se manifeste sur les pétales par de longues taches de couleur. Les amateurs se prennent de passion pour certaines de ces fleurs dites « cassées » ou « rompues ». Ainsi, les bulbes de Semper Augustus ont atteint, rapidement, des prix vertigineux. Les tulipes deviennent alors un symbole de richesse et de statut social élevé et leur commerce devient un marché spéculatif frénétique.
Au cours des années 1634-1636, les prix des bulbes montent sous l’effet des spéculateurs qui les revendent avec une forte plus-value. Pour qualifier cette spéculation basée sur des transactions qui ne se portent pas sur des bulbes réels, les Néerlandais emploient le terme de Windhandel, « commerce du vent ». En 1637, il est produit moins de plantes qu’il n’en est vendu, et c’est en avril de cette même année que les États généraux de Hollande déclarent nuls et non avenus les marchés de spéculation. Les prix s’effondrent et c’est le krach. Avec cet épisode de tulipomania, les peintres hollandais de l’époque s’emparent de ce sujet pour en dénoncer la folie avec des peintures satiriques. On retrouve aussi la tulipe dans de nombreuses natures mortes du XVIIe où elle est présentée en Vanité.
La tulipe aujourd’hui
Aujourd’hui, nos jardins s’ornent de plus de 4 000 variétés de tulipes provenant, pour la plupart, des Pays-Bas. Les diverses apparences que peut prendre la tulipe, dont le nombre de fleurs par tige, la forme des pétales (frangés ou non) et leur couleur, constituent le principal attrait pour les jardiniers. Plusieurs espèces de tulipes ont servi à créer les nombreuses variétés actuelles. Tulipa x gesneriana, « tulipe des jardins », est la plus utilisée historiquement et celle qui a engendré la majorité des variétés actuellement disponibles.
Les sélectionneurs sont constamment à la recherche de nouvelles variétés qui se propageront rapidement pour le commerce des bulbes ou des fleurs coupées. La longueur de la tige, la fermeté des feuilles, la façon dont elles s’attachent sur la tige, la proportion du feuillage par rapport à la fleur sont des critères importants. Une bonne durée de conservation de la fleur coupée dans un vase est aussi appréciable. La sélection de nouvelles variétés de fleurs prend en compte non seulement les caractéristiques esthétiques, mais aussi la résistance aux maladies, l’adaptabilité au changement climatique et la pérennité de la plante.
En horticulture, les variétés sont classées en quinze divisions,
dont les critères sont la forme des fleurs et la hauteur des plantes. Outre la Tulipa gesneriana, il existe d’autres espèces dites tulipes botaniques (peu ou pas modifiées) que l’on rencontre soit à l’état sauvage, soit sous forme cultivée. La conservation des collections de tulipes dans les jardins botaniques joue un rôle crucial dans la préservation de la diversité génétique des tulipes.
Inès Turki
Membre du Comité de rédaction de Jardins de France