La trompette d’or (Tecoma stans) : une mignonne et démone bignone
Introduite à la fin du XIXe siècle comme ornementale en Nouvelle-Calédonie ou en Polynésie française, Tecoma stans, qui répond également au joli nom de « trompette d’or », joue, désormais, une mélodie fort déplaisante. Elle est en effet invasive et colonise des pans de rochers entiers dans ces îles paradisiaques où elle n’est pas consommée par les animaux.
Une petite famille spectaculaire… et envahissante
La trompette d’or (Nouvelle-Calédonie), le pītī ou kohai (Polynésie française), le bois pissenlit ou bois Caraïbe (Réunion), Tecoma stans (L.) Juss. ex Kunth de son nom scientifique complet et valide, est un arbuste de la petite famille botanique des Bignoniaceae qui comprend moins d’une centaine de genres et moins de neuf cents espèces de par le monde. Cette famille inclut de très nombreuses plantes ornementales spectaculaires et souvent regroupées sous le vocable générique de bignones dans des genres comme Bignonia, Campsis, Catalpa, Jacaranda, Pandorea, Podranea, Pyrostegia, Radermachera, Spathodea, Tabebuia mais aussi des plantes utiles comme une des sortes de calebasse (Crescentia(1*)). Cette famille pantropicale présente souvent des fruits déhiscents comprenant des graines ailées et donc disséminées par le vent (anémochorie).
En Nouvelle-Calédonie (NC), il n’existe naturellement que quatre espèces locales, une espèce indigène dans chacun des deux genres Dolichandrone et Pandorea et deux espèces endémiques spectaculaires dans le genre Deplanchea. En revanche, une vingtaine d’espèces de Bignoniaceae ont été introduites, principalement pour des usages ornementaux. En Polynésie française (PF), cette famille ne compte que des plantes introduites depuis moins de deux cents ans et compte 23 espèces appartenant à 18 genres distincts… Il s’agit essentiellement de plantes ornementales, parfois introduites comme curiosités botaniques telles que le saucissonnier Kigelia africana.
Parmi ces bignones introduites en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, plusieurs d’entre elles sont considérées comme des « espèces envahissantes ». C’est déjà le cas de la liane griffe de chat (Dolichandra unguis-cati), de l’arbre tulipier du Gabon ou « pisse-pisse » (Spathodea campanulata) qui fait partie de la liste des cent espèces les plus envahissantes dans le monde et de la trompette d’or (Tecoma stans). Dans d’autres collectivités françaises d’outre-mer comme Wallis et Futuna, La Réunion, Mayotte, la Martinique ou la Guadeloupe, certaines de ces espèces peuvent également poser des problèmes.
Le genre Tecoma
Le genre Tecoma contient actuellement à peine une dizaine d’espèces réparties naturellement en Afrique et Amérique tropicales. Une espèce de chaque continent est assez largement utilisée comme plante ornementale, le chèvrefeuille du Cap (Tecoma capensis) originaire d’Afrique méridionale, et la trompette d’or, originaire du Nouveau Monde, bien que des études moléculaires de parenté aient déjà montré que ces deux espèces devraient appartenir à des genres différents (respectivement Tecomaria et Tecoma).
Le nom de genre « Tecoma » viendrait du nom aztèque « tecomaxochitl » qui signifierait « plantes ayant des fleurs en tube » tandis que « stans » fait probablement référence au caractère érigé de l’inflorescence. Le Tecoma stans est la fleur officielle des Îles Vierges américaines dans la mer des Caraïbes et l’emblème floral de l’archipel des Bahamas, au sud-est de la Floride. Avec son caractère pionnier, il est même maintenant devenu difficile d’estimer son aire originelle de distribution, qui irait du sud des États-Unis jusqu’au nord de l’Argentine en passant par l’Amérique centrale et tout ou partie des Antilles. Son statut d’indigénat n’est en effet pas certain en Guadeloupe et Martinique, même si elle fait partie des plantes locales recommandées pour être utilisées dans les aménagements
paysagers là-bas.
Vices et vertus de la trompette d’or
Notre trompette d’or ou pītī possède en effet toutes les caractéristiques des meilleures plantes ornementales : elle se multiplie facilement par semis ou bouturage, elle pousse très vite, s’accommode de peu d’entretien et est capable de s’épanouir dans des sols pauvres, secs, rocheux et en plein soleil. Sa floraison massive de fleurs jaune vif en forme de trompette complète ce tableau flatteur. Le revers de cette belle médaille est son fruit, une capsule, capable de libérer des centaines de graines légères et ailées, facilement transportables par les vents dominants. En Nouvelle Calédonie, il a une fâcheuse tendance à coloniser massivement des zones rocheuses, pentues ou perturbées, et des pâturages de la côte ouest où il n’est consommé ni par le bétail ni par une autre espèce exotique envahissante, le cerf de Java (Rusa timorensis).
En Polynésie française, il est omniprésent à Tahiti sur les versants rocheux très pentus de la côte nord-ouest, plus sèche, entre le niveau de la mer et 800 mètres d’altitude, et est en pleine expansion sur la Terre-déserte très sèche de l’île de Nuku Hiva, aux Marquises, où il n’est que très peu consommé par les mammifères introduits envahissants comme la chèvre, le cheval ou les bovins. Seules les formations forestières semblent en mesure de le contrôler, le técoma étant une espèce clairement héliophile. Il présente aussi la capacité de se développer également sur substrat calcaire comme il le démontre aux Îles Loyauté (NC) ou sur l’atoll soulevé de Makatea aux Tuamotu (PF).
Introduit à la fin du XIXe siècle en Nouvelle-Calédonie, et en 1845 à Tahiti, le técoma figure sur la liste des espèces interdites de production, de transport, d’utilisation, de vente ou d’achat dans la province sud (NC), ainsi que sur la liste des espèces menaçant la biodiversité du Code de l’Environnement (PF). Malheureusement, avant ces classements, il a été introduit sur l’île isolée et inhabitée de Walpole (au large de la NC), ainsi que sur la totalité des îles hautes de l’archipel de la Société et sur la moitié de celles des Marquises et des Australes (PF). Son usage passé de tuteur pour la culture de la vanille ou de poteau de barrière dans les îles hautes polynésiennes a très certainement contribué à cette dissémination, en plus de son caractère ornemental.
Gildas Gâteblé
Ingénieur d’études, station de recherche agronomique, Saint-Louis (Nouvelle-Calédonie)
Jean-François Butaud
Ingénieur forestier (ancien agent de l’Office national des forêts et du Service du développement rural de Polynésie française), docteur en chimie moléculaire sur le santal polynésien, botaniste consultant en Polynésie française
(1*) Crescentia cujete est un bel arbre à ne pas confondre avec la calebasse commune, Lagenaria siceraria, qui est une liane de la famille des Cucurbitaceae.