La roseraie Jumaju : Une collection sauvée par la SNHF
Le Geves (Groupe d’étude et de contrôle des variétés et des semences), organisme officiel, a en charge la conservation des ressources phytogénétiques, gérées notamment par des collectionneurs. Une initiative de la SNHF a permis d’assurer, avec son soutien, la sauvegarde d’une collection de roses menacée de disparition, celle de la roseraie Jumaju.
Propriétaires tout d’abord d’une trentaine de variétés anciennes dans leur jardin normand, à Montchamp dans le Calvados, Jacques Barbier, ancien banquier à la retraite, et son épouse Dominique se sont passionnés pour les roses et se sont lancés dans une véritable collectionnite, avec une ambition de conservation. Il faut dire que, portant le patronyme d’une célèbre dynastie d’obtenteurs de l’Orléanais, Jacques Barbier s’exerçait déjà petit au greffage, sous l’impulsion de sa grand-mère.
Pour donner un nom à ce jardin, ouvert à la visite, ils associent la première syllabe du prénom de leurs trois petites-filles, Justine, Marion et Julime : il s’appellera Jumaju. Avec quelque 2 000 espèces et variétés, la collection est labellisée par le CCVS (Conservatoire des collections végétales spécialisées), en 2012, au rang de « collection nationale » pour les rosiers polyantha et rugosa patiemment rassemblés. Le jardinier-collectionneur le baptise « Conservatoire national des roses anciennes », et c’est sans doute la collection privée d’Europe la plus importante et l’une des plus complètes des familles du CCVS. Son succès tient avant tout aux nombreux conseils avisés d’éminents experts, tels André Ève et le couple Loubert, mais également aux échanges de variétés, par exemple, avec les grandes roseraies situées à L’Haÿ-les-Roses (Val-de-Marne) et à Sangerhausen en Allemagne.
Un rêve qui s’effondre
Mais Jacques Barbier décède brutalement en 2018, et son épouse et ses filles ne souhaitent pas conserver la propriété. La collection est menacée, restant en attente d’un repreneur. Alertée, la roseraie du Val-de-Marne, également labellisée collection nationale de roses anciennes par le CCVS, souhaite assurer la sauvegarde des variétés les plus rares, ou encore « perdues » dans sa propre roseraie après y avoir été initialement prélevées.
Un procédé va le lui permettre : le ministère en charge de l’Agriculture peut reconnaître aujourd’hui des collections de plantes horticoles en qualité de « Ressources phytogénétiques patrimoniales » (RPGPAT) lorsqu’elles font partie de l’histoire du pays ou sont emblématiques d’une région. Elles ont une valeur à la fois biologique et culturelle. Il faut donc identifier les acteurs qui préservent ce patrimoine et en organiser la mise en œuvre.
C’est le Geves (Groupe d’étude et de contrôle des variétés et des semences) qui est missionné pour cela, avec la mise en place d’une structure de coordination nationale. Il lance chaque année un appel à candidatures auprès de l’ensemble des acteurs impliqués pour des projets visant à améliorer la conservation, la caractérisation ou la valorisation de ces ressources en France.
Une initiative de la section Roses de la SNHF
C’est dans ce cadre que la SNHF, à l’initiative de sa section Roses, porte auprès de cet organisme officiel un projet de sauvetage de la collection de roses Jumaju. Elle prépare ce dossier en partenariat avec les Amis de la Roseraie du Val-de-Marne, Roses Anciennes en France et les pépinières Roses Loubert, aujourd’hui gérées par Jérôme Chéné, et situées aux Rosiers-sur-Loire, en Maine-et-Loire. La roseraie historique de l’entreprise, toujours propriété de Madame Loubert, est la première à être reconnue officiellement par le Geves comme « gestionnaire de collection de ressources phytogénétiques pour l’agriculture et l’alimentation ». Le rosier Thérèse Loubert, obtention des pépinières Croix, a été baptisé en 2020 pour honorer son travail. Ce projet, qui sera finalement accepté, comporte plusieurs actions : cibler des variétés uniques ou rares, puis les prélever et régénérer le matériel végétal. Enfin, procéder à l’authentification, c’est-à-dire à la vérification de l’identité des variétés.
La direction des espaces verts du Val-de-Marne et l’association des Amis de la roseraie du Val-de-Marne participent aussi au financement. Bien que l’opération ait été lancée immédiatement après accord, elle a lieu dans un contexte très difficile : les rosiers sont certes bien étiquetés, mais en pleine maturité, et de surcroît, c’est l’hiver ! C’est donc la connaissance des roses anciennes par les acteurs et l’état des végétaux sur place qui ont guidé le choix des prélèvements. La multiplication a aussi été contrainte : prélèvement de pieds entiers, collecte de rameaux pour effectuer des boutures ou des greffes à froid, qui ont été plantées l’été suivant en fonction de la reprise. D’autres greffes sont réalisées en parallèle. L’objectif était d’obtenir des rosiers avec une végétation suffisamment développée pour les discriminer et vérifier ainsi leur identité. Il a pourtant fallu patienter, l’épidémie liée à la Covid ayant stoppé les activités sur la période 2020-2021.
Fin mars 2021, Jérôme Chéné négocie directement avec le Département du Val-de-Marne le transfert des variétés des Rosiers-sur-Loire, à Mandres-les-Roses, où se situe la pépinière départementale. On passe alors de 320 variétés, initialement prélevées sur le site de Montchamp, à 153 variétés restituées à Mandres. Là aussi le contexte est tendu : le jour de la réception, le thermomètre affiche une température de 25 °C, qui persistera les jours suivants. Au final, ce sont 142 individus qui seront sauvés grâce au talent des jardiniers du Val-de-Marne.
Une contribution à la collection nationale
Le travail d’identification de ces variétés est effectué principalement par l’association des Amis de la Roseraie du Val-de-Marne, en suivant notamment une méthodologie scientifique, résultat d’un partenariat entre les historiens de l’Université d’Angers et le Département. Il s’agit de faire appel au corpus historique de la bibliographie spécialisée, pour vérifier à la fois la nomenclature et la description morphologique.
Cette étude a également été subventionnée grâce à un appel à candidatures du Geves. Mais tout lauréat d’une subvention se doit de contribuer à la « collection nationale » voulue par le ministère. La France doit en effet répondre aux traités internationaux en donnant accès à ses ressources phytogénétiques.
Ainsi, tout ou partie des variétés Jumaju devront à terme être « versées » en collection, c’est-à-dire administrativement et virtuellement déposées dans ce pot commun mondial qu’est la « collection nationale ». Même si la SNHF est signataire principale du projet, en pratique elle n’est pas gestionnaire de collection, ne disposant ni d’un jardin ni de jardiniers salariés.
C’est donc le Département du Val-de-Marne qui se chargera du versement dans la collection nationale en tant que nouveau gestionnaire de ces ressources. L’institution s’engage, par le biais d’une convention, à remplir de ce fait l’engagement initial signé lors du dépôt de projet. Pour se prémunir des nombreuses demandes et définir les modalités d’accès à cette ressource, un cahier des charges va être défini par la pépinière départementale.
L’exemple de la roseraie Jumaju met en contraste la richesse d’une collection végétale patiemment constituée, fruit du labeur et de la passion de toute une vie, et son extrême fragilité. La roseraie ne tenait qu’à une ou deux personnalités sans anticipation concrète de son devenir. La section Roses de la SNHF est donc pionnière dans le maintien et la diffusion de la biodiversité, en mettant en pratique un sauvetage avec les nouveaux outils et moyens alloués par l’État.
Marie-Hélène Rocher-Loaëc
Journaliste horticole, membre du Comité de rédaction de Jardins de France avec la collaboration de Jean-Pierre Lelièvre, responsable de la roseraie de Bagatelle, et Guillaume Le Texier, responsable des collections végétales au département du Val-de-Marne, membres de la section Roses de la SNHF