La Prairie du canal à Bobigny : Reconquête d’un site industriel

La Prairie du canal à Bobigny (Seine-Saint-Denis), mise en place en 2017 par la Sauge, est un bel exemple de ce que peut être l’agriculture urbaine et périurbaine. À la fois pépinière de production et lieu d’animations jardinières, ce lieu témoigne également de la façon dont la végétation peut reconquérir un espace laissé à lui-même.

De nombreux systèmes de culture sont expérimentés pour la production de fleurs et légumes
De nombreux systèmes de culture sont expérimentés pour la production de fleurs et légumes © M.-H. Rocher-Loaëc

La Société d’agriculture urbaine généreuse et engagée (la Sauge) se pose aujourd’hui comme un acteur référent de l’agriculture urbaine en France. Créée en 2015 par Swen Deral et Antoine Devins, elle s’est donné pour mission « de favoriser la pratique d’une activité agricole pour le plus grand nombre dans le respect des écosystèmes vivants ». Avec des activités pédagogiques axées sur le jardinage, elle entend sensibiliser des publics très variés aux questions de l’alimentation durable, au cycle des saisons, à l’écologie, au recyclage et au bon usage de nos ressources. Elle est la créatrice de plusieurs fermes urbaines, en Île-de-France et à Nantes. À proximité de ces fermes, la Sauge accompagne des structures et des habitants dans la mise en place et l’animation de jardins collectifs pédagogiques et participatifs. Forte de cette expérience et des retours de ces bénéficiaires, elle a imaginé, en 2023, une petite académie de créateurs et créatrices de tels jardins, la Fabrique des jardiniers. Pour assurer l’ensemble de ses activités, la Sauge emploie aujourd’hui une vingtaine de salariés, dont une grande majorité (80 %) sont des femmes.

Enserré entre canal et route nationale, ce terrain de banlieue a été revégétalisé
Enserré entre canal et route nationale, ce terrain de banlieue a été revégétalisé © M.-H. Rocher-Loaëc
Les ateliers de jardinage assurent du lien social et une redécouverte de la nature
Les ateliers de jardinage assurent du lien social et une redécouverte de la nature © A. Lepanot

La transformation de sites abandonnés

Productives, culturelles et pédagogiques, ces fermes urbaines sont « des avant-postes des enjeux agricoles en ville, permettant de créer du lien entre ruralité et urbanité ». Elles sont actuellement au nombre de quatre : après La Prairie du canal à Bobigny en banlieue parisienne, ouverte en 2017, ont été installés les sites L’Agronaute dans l’ancien MIN de Nantes, puis Terre Terre à Aubervilliers, sur une parcelle vide au bord du canal Saint-Denis, et La Plaine Terre à Saint-Denis, sur le site du Fort de l’Est, toutes deux également en Seine-Saint-Denis.

C’est en répondant à un appel à projets des établissements publics territoriaux que la Sauge a eu l’opportunité d’installer une ferme écologique éphémère sur la parcelle MBK, ancienne fabrique de mobylettes à cette marque, dans la ZAC Éco-cité entre le canal de l’Ourcq et l’ex-RN3 à Bobigny, en Seine-Saint-Denis. Une occupation transitoire, puisque de nouvelles constructions investiront ce site à terme, avec des installations qui pourront être alors déplacées sur un nouvel espace.

C’était une dalle en béton d’une surface de 7 000 m², en partie polluée par son activité précédente. Il fallait donc accepter de nombreuses contraintes pour imaginer à cet endroit un site d’agriculture urbaine. « On voulait faire la démonstration de ce qui était possible, se souvient Swen Deral, et tester ici de nombreuses technologies.

Nous avons donc installé des bacs de culture, d’aquaponie, d’hydroponie, des cultures sur bottes de paille, des cultures sur BRF (bois raméal fragmenté), tout ce qui était possible à un tel endroit. » À son ouverture, la ferme est composée d’une prairie fleurie, avec une houblonnière pour produire de la bière artisanale, de 800 bottes de pailles, d’un poulailler, d’un potager productif pour alimenter son restaurant… Une serre de pépinière de 500 m² et une ombrière de 1 000 m² permettent la production de semences et de jeunes plants qui, grâce à leurs méthodes de culture, ont pu être labellisés AB (Agriculture biologique) en 2022. C’est aussi le premier acteur en agriculture urbaine à avoir obtenu le label Nature & Progrès. « Ces labels confirment l’exigence que nous avons de produire des plantes et des graines à haute valeur écologique et sociale », se félicite Swen Deral.

Un terrain en friche transformé en production de semences et jeunes plants (la production est labellisée AB et Nature & Progrès)
Un terrain en friche transformé en production de semences et jeunes plants (la production est labellisée AB et Nature & Progrès) © F. Marre

Éphémère, mais en constante évolution

Le projet a progressivement évolué, passant de la vente aux particuliers à la vente aux professionnels, pour s’adapter aux nouveaux enjeux de l’agriculture urbaine. La ferme a obtenu l’autorisation d’agrandir sa surface de 3 500 m², qui lui permettront de proposer de nouvelles activités : l’accueil de porteurs de projets, d’un paysagiste élagueur, d’une historienne de l’agriculture médiévale, mais aussi l’installation d’une culture de chanvre et d’une mini-ferme animale pédagogique. Dans le cadre de son activité de production, La Prairie du canal est adhérente de Semae, l’interprofession des semences et plants, dont elle doit respecter la réglementation, qui garantit la traçabilité des cultures et autorise l’apposition du passeport phyto­ sanitaire indispensable pour la vente aux professionnels.

« Remplir les documents de suivi obligatoires est chronophage, reconnaît Audrey Noeltner, responsable de la production agricole, mais cela nous permet d’avoir beaucoup d’informations sur notre travail et de suivre exactement notre activité. »

La nature reprend vite ses droits

Tout l’espace n’était pas transformable en terrain agricole sur ce site industriel. La zone éventuellement polluée n’a pas été utilisée pour les cultures mais les aménageurs de La Sauge y ont laissé se développer une friche, dont la végétation spontanée est un bon sujet d’étude : pissenlit et lamier sauvage, cirse commun et chénopode, laitue vireuse, gaillet gratteron ou encore rumex.

« On y observe un processus naturel de réensauvagement du territoire, constate Swen Deral. C’est une véritable enclave de vie, remplie d’oiseaux, qui permet de percevoir combien la nature reprend vite ses droits. Nous avons été surpris de la rapidité avec laquelle peut être bonifié un terrain laissé à l’abandon. » Et les visiteurs invités à découvrir le site et à y participer aux tâches de la vie quotidienne bénéficient aussi de cette découverte.

« Notre objectif, se réjouit Swen Deral, est de montrer la plus belle réalisation qu’il est possible de faire, comment nous avons pu revégétaliser cet espace… avant qu’il ne soit défait et destiné à un autre but. »

 

Marie-Hélène Rocher-Loaëc

Journaliste horticole, membre du Comité de rédaction de Jardins de France