La pollinisation des Aracées (4e partie) : une diversité de types de fleurs
Marc Gibernau , Angélique Quilichini
Une fleur est constituée de pièces florales disposées en verticilles, c’est-à-dire les unes autour des autres. Il y a en général, de l’extérieur vers l’intérieur de la fleur, le périanthe (sépales + pétales), les étamines et le gynécée. Ces structures florales peuvent être plus ou moins nombreuses, extravagantes ou réduites selon l’évolution de l’organisation florale. Les fleurs peuvent aussi être combinées en des structures florales plus complexes, les inflorescences[1]. La famille des Aracées est caractérisée par des inflorescences particulières, constituées d’une spathe (bractée modifiée) et d‘un spadice (axe florifère)[2]. Les fleurs proprement dites sont de petite taille, insérées de manière plus ou moins compacte sur le spadice. Mais lorsqu’on y regarde de plus près, cette famille présente une diversité de fleurs et de pièces florales insoupçonnée.
Les fleurs fertiles des Aracées
Le rôle principal des fleurs est la reproduction sexuée réalisée par des organes mâles fertiles, les étamines, produisant les grains de pollen, et des organes femelles fertiles, les gynécées, contenant les ovules. Chez les Aracées, il existe deux types de fleurs fertiles. Les fleurs bisexuées ou hermaphrodites présentent, sur trois verticilles, un gynécée entouré d’étamines avec ou sans périanthe. Les fleurs unisexuées présentent soit un gynécée (femelle), soit des étamines (mâle), elles aussi peuvent être avec ou sans périanthe. Le nombre de fleurs par inflorescence est très variable, il va de 1 (lentilles d’eau) à 12 900 (Philodendron) fleurs mâles et de 1 (lentilles d’eau) à 9 100 (Anthurium) fleurs femelles.
Les fleurs mâles peuvent présenter des étamines libres (Aglaonema, Culcasia, Nephthytis, Philodendron ou Zantedeschia) ou fusionnées. On parle alors de synandrium, au niveau desquels il est parfois difficile de savoir combien d’étamines sont présentes (Alocasia, Anubias, Caladium, Colocasia ou Dieffenbachia). Les fleurs femelles sont aussi diversifiées, le stigmate peut être protubérant ou en creux, porté par un style plus ou moins long ou être sessile.
Le cas des lentilles d’eau
La réduction extrême de l’organisme des lentilles d’eau, individus dont la taille est comprise entre 2 et 12 mm, a aussi conduit à des structures florales minuscules rendant l’interprétation florale difficile. Chez les genres Lemna, Landoltia et Spirodela il est proposé que l’inflorescence est entourée par une spathe (cupule) et constituée d’une seule fleur bisexuée avec un gynécée et deux fleurs mâles avec une seule étamine (dont une fleur réduite). Les genres Wolffia et Wolffiella ont des inflorescences sans spathe composées d’une seule fleur bisexuée avec un gynécée et une fleur mâle à une étamine.
Les fleurs stériles des Aracées
Toutes les fleurs développées dans les inflorescences d’Aracées ne sont pas fertiles, c’est-à-dire produisant du pollen ou des ovules. Lorsque la fleur stérile est issue du développement modifié d’une étamine, on parle de staminode ; si la fleur stérile est issue d’une fleur femelle alors on parle de pistillode. Certaines fleurs ont été modifiées en pièces florales nutritives que les pollinisateurs, en particulier les coléoptères, vont pouvoir consommer[3] ; d’autres en poils retenant les insectes dans le piège à insectes que constitue l’inflorescence[4]. Les fleurs stériles peuvent aussi remplir le rôle de « centrale thermique » lorsque leurs cellules riches en mitochondries et en amidon ou lipides assurent l’élévation de la température de l’inflorescence[5]. Enfin dernier rôle possible, celui de diffuseur d’odeur : les fleurs sont alors des « parfumeries » où les composés odorants sont synthétisés, puis diffusés vers l’extérieur où ils constituent le parfum floral.
Les fleurs stériles peuvent aussi former de véritables organes stériles, comme l’appendice terminal (ou massue) des spadices, présent dans différentes tribus : Areae, Arisaemateae, Colocasieae, Schismatoglottideae, Thomsonieae et Zomicarpeae. La massue est clairement composée de staminodes plus ou moins fusionnés (Amorphophallus) voir lisse sans aucune trace florale (Arum). Chez certains Arisaema, la « massue » devient filiforme et peut atteindre 17 cm de long pour une inflorescence de 4.5 cm de haut !
Les fleurs atypiques des Aracées – un conflit sexuel
Chez les espèces d’Aracées à fleurs unisexuées les fleurs femelles sont à la base et les étamines au-dessus, au milieu ou à l’apex du spadice. Au-dessus des fleurs femelles, on peut observer dans certains genres des fleurs atypiques constituées de pièces florales uniques, que les botanistes du début du XXe décrivaient comme des « fleurs monstrueuses ». Trois types de fleurs atypiques ont été décrits selon leur morphologie : le type Philodendron, Cercestis et Schismatoglottis.
Ces fleurs seraient le résultat d’un conflit de détermination sexuelle ! Lors du développement floral, les primordiaux floraux, qui ne sont pas encore sexuellement différenciés, sont soumis à différentes hormones, une hormone féminisante à la base du spadice, qui oriente l’évolution des primordiaux floraux en gynécée, et une hormone masculinisant au-dessus (au milieu ou à l’apex du spadice) qui déclenche la transformation des primordiaux floraux en fleurs mâles. Mais que se passe-t-il dans la zone intermédiaire ? Les primordiaux floraux sont sous double influence hormonale et selon leur proximité de l’une des deux zones, une des deux hormones sera dominante. Le développement floral suivra alors une voie mixte et produira un résultat original, une fleur combinant les caractères femelle et mâle mais la plupart du temps stérile.
En lien avec la pollinisation par les insectes
Les fleurs présentes sur une inflorescence d’Aracées sont très diversifiées presque autant que la diversité de formes et de couleurs de l’inflorescence. Cette complexité florale est liée à une spécialisation fonctionnelle des fleurs en lien avec la pollinisation par les insectes. De fait, les insectes visitent d’abord les fleurs à la recherche d’une ressource alimentaire (nectar, pollen) ou liée à leur reproduction (partenaire sexuel, site de ponte). Ainsi la famille des Aracées, riche de près de 3800 espèces réparties dans au moins 118 genres, reste une source de nouveautés botaniques et florales.
À Lire…
– Gibernau M. et Quilichini A. 2015. La pollinisation des Aracées (III) : des « histoires » chaleureuses. Jardins de France – Botanique N°638 ; https://www.jardinsdefrance.org/la-pollinisation-des-aracees-3e-partie-des-%e2%80%afhistoires%e2%80%af-chaleureuses/.
– Gibernau M. et Quilichini A. 2015. La pollinisation des Aracées (II) : des « histoires » d’attrape-nigauds. Jardins de France – Botanique N°637 ; https://www.jardinsdefrance.org/pollinisation-aracees-2e-partie-histoires-dattrape-nigauds/.
– Gibernau M. et Quilichini A. 2015. La pollinisation des Aracées (I) : des « histoires » d’amour. Jardins de France – Botanique N°636 ; https://www.jardinsdefrance.org/la-pollinisation-des-aracees-des-histoires-damour/.
– Gibernau M., Chartier M. et Quilichini A. 2014. Evolution des systèmes de pollinisation chez les Aracées. Espèces n°11 (Mars) : 20-29.
– Quilichini A. et Gibernau M. 2013. Leurre et chaleur : la pollinisation par duperie chez les Aracées. Stantari 31: 34- 43.
[1] www.jardinsdefrance.org/les-inflorescences/
[2] www.jardinsdefrance.org/la-pollinisation-des-aracees-des-histoires-damour/
[3] voir La pollinisation des Aracées (I) : des « histoires » d’amour
[4] voir La pollinisation des Aracées (II) : des « histoires » d’attrape-nigauds
[5] voir La pollinisation des Aracées (III) : des « histoires » chaleureuses