La Petite Ceinture : Un monde sauvage en plein Paris
La Petite Ceinture est un bel exemple d’espace rudéral. Cette ancienne voie ferrée qui entoure Paris a été définitivement fermée en 1994. Elle a retrouvé une nouvelle vie en devenant un espace progressivement ouvert au public. Mais des conditions strictes sont respectées pour conserver l’aspect sauvage de ce lieu unique, avec la mise en place d’une « gestion différenciée et écologique ». Anne du Plessis* et Jérôme Saint-Chély*, de la Direction des espaces verts et de l’environnement (Deve) de la Ville de Paris, nous expliquent l’histoire et la vie de cette Petite Ceinture…
Elle date du Second Empire, cette voie ferrée qui entoure Paris et qu’on appelle « Petite Ceinture ». C’était la seule ligne intra-muros permettant des connexions avec les réseaux nationaux, destinée au trafic de marchandises et aux voyageurs. À l’époque, on faisait le tour de Paris (32 km) en une heure vingt, en traversant une trentaine de gares. Elle a connu ses pointes de fréquentation en 1900, avec trente-neuf millions de voyageurs ! Mais la création du métro, à la même époque, concurrence la Petite Ceinture, qui subit progressivement une baisse de sa fréquentation, jusqu’à sa fermeture aux voyageurs en 1934, le fret cessant, lui, en 1993.
La fin des activités fret et voyageurs de cette voie ferrée, appartenant toujours à la SNCF, a permis le développement d’espèces végétales, de friches. Des négociations ont été entamées avec la Ville de Paris pour un nouvel usage, l’accès au public, tout en s’engageant à une « gestion différenciée et écologique ». Une convention a été passée avec SNCF Réseau (qui gère le réseau SNCF national). Elle se concrétise par un Plan programme qui cadre les principes et les grandes étapes des aménagements et usages futurs de la Petite Ceinture. Une clause de réversibilité et de retour à la fonction ferroviaire est incluse si un besoin ultérieur apparaissait.
Accessible au public
La Petite Ceinture se présente sous la forme d’un bandeau de huit à dix mètres de large, correspondant à l’emprise de deux voies, dont une est conservée en l’état et l’autre aménagée par endroits pour permettre le cheminement des piétons. Elles sont soit en surface, soit en hauteur (on parle de milieu héliophile), traversant parfois des ponts (certains ont disparu, comme le viaduc d’Auteuil) mais aussi en profondeur, dans des tranchées, voire dans des tunnels. Ceci explique la diversité de végétaux que l’on y trouve.
Les ouvrages (« gros œuvre ») sont cogérés par la SNCF et la Ville de Paris, veillant à permettre l’accès aux visiteurs en toute sécurité sur les secteurs déjà ouverts. Mais une part importante du linéaire de la ligne reste encore aujourd’hui non accessible et fermée au public.
Un des objectifs est aussi de garder les sols en place (ballast sur remblai) donc un milieu pauvre. Nous sommes sur du « poubellien » supérieur !
Des interventions et des règles à respecter
La mise en place de la « gestion différenciée et écologique » consiste à doser toute intervention pour conserver le caractère de friche ferroviaire. On n’est ni dans un sous-bois, ni dans un square. Le plan de gestion consiste à décrire les espèces et la manière de les gérer en tenant compte de leur cycle de vie. Par exemple, la tonte et la taille doivent veiller à protéger la diversité des habitats végétaux comme ceux de la faune aviaire, en respectant la nidification ou la production de fruits pour sa nourriture. On ne plante rien, mais il faut tout de même intervenir pour ne pas laisser certaines espèces envahir l’espace au détriment d’autres, comme les espèces exotiques envahissantes (EEE) telles que le robinier ou l’ailante. Les ronciers sont recherchés car ils permettent la vie d’au moins trente espèces de papillons en Île-de-France ! On veille également à ne pas entraver les semis spontanés. On protège le jeune plant d’arbre ou d’arbuste d’espèce indigène qui germe en élaguant autour les EEE qui poussent beaucoup et rapidement. Et l’accès est interdit aux chiens, même tenus en laisse, car ils sont des facteurs de dégradation. L’entretien de ces espaces est confié à des entreprises d’insertion. Un cahier des charges a été établi, décrivant les interventions et les règles à respecter. Quant aux arbres, ils sont gérés par la ville.
Renards et crapauds
Au niveau de la faune, les enjeux sont forts : les chauves-souris, telles les pipistrelles, et autres chiroptères sont protégés, ce qui oblige à respecter certaines règles, comme la gestion de la lumière qui ne doit pas les déranger la nuit (il n’y a pas de lampadaires). Les lieux sont fermés la nuit pour maintenir la « trame noire ». On rencontre des renards, des fouines, des hérissons, des crapauds mais aussi une multitude d’hyménoptères, des papillons de jour ou des coléoptères.
Aujourd’hui, la Petite Ceinture a été identifiée comme un corridor écologique dans le SRCE (Schéma régional de cohérence écologique, cf. https://www.trameverteetbleue.fr) grâce à sa richesse et à ses potentialités d’accueil de la flore et de la faune sauvages.
Puissance poétique
Un autre volet est l’aspect paysager à respecter, comme la pré- servation de « vues profondes et lointaines ». On parle de « panoramas urbains ». Les parties en tranchées procurent le sentiment d’être hors de la ville, au milieu d’une nature omniprésente. La Petite Ceinture est un véritable sentier ferroviaire, un lieu de promenade et de déambulation où l’on cherche l’évasion, un espace sensoriel isolé du bruit où l’on entend les oiseaux. Le lieu dégage une puissance poétique. C’est aussi un espace de rencontres. Les joggers ont été les premiers à s’approprier le lieu. Une étude sociologique constate même que les gens s’y disent bonjour !
Propos recueillis par Jean-François Coffin
* Anne du Plessis
Adjointe au chef de la division biodiversité et animal en ville à la DEVE (direction des espaces verts et de l’environnement) de la Ville de Paris
*Jérôme Saint-Chély
Paysagiste DPLG Service du Paysage et de l’Aménagement à la DEVE