La lavande, au cœur des civilisations depuis la nuit des temps
Louis Peyron
Les Assyriens, dans les jardins de Sémiramis, utilisaient la lavande en poudre et en huile. Celle importée d’Egypte est mentionnée dans l’Iliade et Dioscoride cite l’origine égyptienne de la Lavandula stoechas.
Théophraste mentionne la lavande parmi la cinquantaine de substances utilisées par les grecs. Strabon déclare avoir vu en abondance dans les îles d’Hyères (Les Stoechades) la lavande à toupet, lavande stoechas ou nard celtique. Dioscoride d’Anazarbe signale la présence dans les Alpes de Ligurie, de salinnca ou nard celtique et lui attribue des propriétés laxatives et revigorantes, ainsi que son utilisation dans les boissons de type thé.
Les grecs et les romains appelaient « nard » la lavande, du syrien narda et du latin nardus italica. On exportait depuis les côtes de Ligurie et d’Istrie, ainsi que de Provence, le nard celtique, vers la Grèce du XII au VIIIème siècle avant J-C. Selon Lucrèce, le nard celtique, serait intéressant contre les mauvaises odeurs. Il sera largement utilisé jusqu’au 1er siècle après J-C
Très répandue chez les romains
La lavande, considérée comme ornement aromatique, était répandue dans les jardins romains avant J.C., dans les parcs ou paradis persans, rappelant aux chefs des armées et aux banquiers ce qu’ils avaient pu voir au Mouseîon, au Jardin des Muses à Alexandrie ou des palais d’Asie mineure. A Rome, on utilisait un parfum dénommé « Nardinum » à base de lavande et de myrrhe. Le nard celtique, était utilisé à l’époque romaine à cause de son abondance, de son prix, pour de multiples emplois comme parfum léger, astringent, insecticide et médicamenteux. Parfum par excellence, il servait à la préparation des onguents sacrés. Mais aussi considéré comme aphrodisiaque, il était utilisé par les courtisanes romaines, qui rendaient ainsi leurs corps attrayant et le protégeaient des maladies (fort pouvoir antiseptique). Toujours à Rome, des femmes n’ayant pas le droit de s’enivrer passaient outre et camouflaient leur haleine en mâchant de la lavande.
A l’époque, l’essence appelée indifféremment essence de nard, de lavande, ou d’aspic, n’était en réalité que celle obtenue à partir de différentes variétés croissant en abondance (Provence, Italie …). Pourtant Pline différenciait les lavandes stoechas et vera. Cette dernière utilisée dans des parfums coûteux, valait 75 deniers la livre en 75 après J-C. Néron l’utilisait en philtre antipoison et contre les désordres intérieurs. Galien l’ajoutait aux anciennes listes d’antidotes de poisons et de piqûres.
Pour chasser les esprits malins
Dès le début du Moyen-âge, la lavande aspic, aussi dénommée nard, était employée par les médecins de l’Ecole d’Alexandrie plutôt que la lavande vraie. La lavande citée dans le Menagier de Paris (1393) était cultivée dans tous les monastères chrétiens du Moyen-âge. Pourtant, aux mêmes époques, les parfums contenant des extraits de lavande n’étaient pas acceptés par l’Église qui condamnait les autorités et les femmes portant de tels produits.
Après l’An mil, la lavande est mentionnée dans un psaume de l’École de Salerne (vers 1020). L’Abbesse Hildegarde a été la première à différencier clairement la lavande vraie de la lavande aspic sauvage, et recommandait des formules médicamenteuses à base d’aspic contre les maux de tête, la congestion des poumons, pour le lavage des yeux, pour chasser les esprits malins à partir de formules à base d’aspic dans du vin ou du miel. Un sommeil réparateur après une marche, étaient assuré par un bain avec de la lavande. L’essence d’aspic, une des premières connues, était mentionnée dans les ouvrages de médecine du XIIIème siècle.
Pour jeunes filles délurées
Au XIVème siècle, les fleurs d’aspic garnissaient des coussins servant indifféremment aux biens portants et aux malades pour leur plus grand bien. La lavande dans le vin était utilisée à la même époque, dans les maladies d’estomac, du foie, des reins et de l’utérus, ainsi que dans la jaunisse et l’hydropisie. Les jeunes filles trop délurées étaient confiées aux sœurs Ursulines par leurs parents, pour les inciter à la chasteté par un jeûne à base de lavande et de romarin.
La différenciation entre lavande vraie et les autres variétés, se situerait entre 1543 et 1589, bien que jusqu’en 1613 seule l’huile d’aspic soit citée. L’Oleum lavandulae ne figurera que plus tard avec l’Oleum spica (Pharmacopoeia Augustana).On cultivent les différentes espèces de lavande en Allemagne et Angleterre. Selon une légende du Diois, ce seraient les protestants de l’endroit, qui chassés par la révocation de l’Edit de Nantes, auraient introduit la culture de la lavande en Angleterre. Toujours au XVIème, Ryff note que les distillateurs n’attachaient aucune importance à la nature de la lavande utilisée, chaque variété ayant son nom local.
L’usage du genre Lavandula
Les espèces spontanées, du genre Lavandula utilisées pendant des siècles pour leurs propriétés (odorante, pharmaceutique, horticole et décorative), sont :
- la lavande fine, Lavandula angustifolia
- l’aspic, Lavandula latifolia
- la lavande maritime, Lavandula stoechas
On utilise aussi bien le rameau fleuri que l’huile essentielle obtenue par distillation à la vapeur d’eau, à l’esprit de vin ou au vinaigre ou encore les extraits par l’eau (infusions) ou les solvants organiques (concrète, absolue …)[1], huiles, graisses.…
L’odeur champêtre de « lavande» était en grande vogue au XVIIIème siècle, sous diverses formes :
- eaux distillées de lavande, avec grand succès sous Louis XV (Nostradamus 1552, Giovanni Battista della Porta 1609) : Reine de Hongrie, Eau Impériale, Eau Divine, Acquavite mentholée (Nicolas Lèmery, 1716)
- diverses eaux de marchands parfumeurs (Eau Divine et Cordiale, Antoine Dejean, 1764) …
- sous diverses formes : vinaigre à la lavande distillé, onguent, pâte à pots pourris, poudres, savonnettes, sachets (Marie Antoinette).
Une diversité d’utilisations
De nos jours, la consommation de l’huile essentielle de lavande est relativement limitée par rapport à celle des lavandins (cinq clones) très utilisée en détergence sous toutes ses formes, produits d’entretien etc…Quelques parfums de luxe connus sont réputés à la lavande. On trouve actuellement diverses spécialités alimentaires avec aromatisation « lavande », ainsi qu’en liquoristerie.
Les tonnages d’huiles essentielles de « lavandes » utilisées en phytopharmacie, aromathérapie et cosmétique n’ont ici aucun rapport avec ceux des usages précédents[2]. Par contre, la disparité des utilisations est infinie en variété et en continuité historique.
Voici quelques effets revendiquées : bactéricide, antiseptique, parasiticide, insecticide, vermicide, cicatrisant petites blessures, désinfectant, contre morsure par vipère, antispasmodique, calmant, stimulation, tonicardiaque, analgésique, sudorifique, diurétique.
Les lavandes sont utilisées en infusions, alcoolats par macération, teintures, huiles, vinaigre des 4 voleurs (1758, puis Codex 1884), inhalation. Il est conseillé de frotter les morsures de vipère avec une poignée de fleurs froissées entre les doigts. Même méthode pour une blessure légère, coupure utilisée par les cueilleurs de lavande.
A l’époque de Lemery, sous forme de sirop, élixir, trochisque, lotion, pilule, onguent, baume, embrocation. Actuellement, sous forme d’aérosols ou dans diverses crèmes.
Olivier de Serres, au XVIIème siècle, dans son Théâtre d’Agriculture, conseillait de planter les lavandes en bordures des jardins classiques.
De très nombreux cultivars classiques ou de lavande papillon (L. stoechas) sont développés actuellement pour la décoration des jardins. N’oublions pas enfin l’utilisation en bouquets de fleurs séchées.
[1] Pour les définitions, voir l’encadré sur la rose dans ce dossier
[2] Voir l’article de M. Krauz dans ce dossier
Bel article résumant les aspects les plus intéressants de l’histoire de la lavande. Je suis heureuse de constater que monsieur Peyron était encore actif en 2015, alors que j’avais fait un stage sous sa direction en 1968 dans un laboratoire d’analyse de matières aromatiques.