La fleur double, origine et mécanismes

Mohammed Bendahmane

Les plantes à fleurs présentent une impressionnante diversité de morphologies florales, de couleur, de parfums et de nombre de pièces florales. La description du contrôle génétique de l’initiation des organes floraux et de l’acquisition de leur identité est d’un intérêt majeur en biologie des plantes.

 

Il est vraisemblable que le caractère « fleur double » chez le rosier soit apparu spontanément par mutation, puis maintenu et propagé par sélection en raison de son intérêt esthétique - © J.-F. Coffin

 

Figure 1 : La perte de fonction du gène AGAMOUS abouti au phénotype fleur double chez Arabidopsis

 

Durant les vingt dernières années, des progrès immenses ont été réalisés dans la compréhension des mécanismes fondamentaux qui gouvernent l’acquisition  de  l’identité des  organes  floraux  et   l’architecture  florale.  Ces  recherches  ont  été menées  principalement  sur  la plante  modèle  Arabidopsis  thaliana (Figure 1a). Chez Arabidopsis, les organes floraux, (quatre sépales, quatre pétales, six étamines et deux carpelles fusionnés), sont disposés en cercles concentriques (verticilles). Le modèle ABC (Figure 1a) décrit le contrôle génétique et l’action combinatoire de quatre classes de gènes homéotiques A, B et C qui déterminent l’identité des organes floraux (sépales, pétales, étamines et carpelles). Par exemple, l’expression combinée des gènes de classe A et B est nécessaire pour obtenir l’émergence d’un pétale dans la jeune fleur en formation.

La très grande diversité des morphologies florales chez les différentes espèces suggère qu’il y a eu des modifications des gènes des classes A, B et C au cours de l’évolution. Des études de plus en plus nombreuses sur des plantes dites « non-modèles » renforcent cette hypothèse. Ces études ont également permis d’élucider au moins en partie certaines anomalies florales.

 

La "fleur double" est une  des  anomalies  florales  les  plus   connues. Ce terme désigne des fleurs possédant des pétales surnuméraires (fleur possédant plus de deux fois le nombre de pétales que la plante sauvage), et dont certaines  présentent  même  une  nouvelle  fleur  à  l’intérieur  de  la  corolle.  Ce phénotype fait partie des aberrations florales, décrites depuis plus de 2000 ans (voire revue par Meyerowitz  et al., 1989). L’Homme a joué un rôle clé dans la sélection et le maintien de ce caractère esthétique chez plusieurs plantes à fleurs. Cette  qualité  ornementale  est  recherchée,  et  des   variétés  à fleurs doubles  ont  été  trouvées  et  sélectionnées  par  les  obtenteurs  dans  un  grand  nombre  d’espèces  ornementales. Chez le rosier, la fleur sauvage a 5 pétales et une fleur est considérée comme « double » lorsqu’elle possède 10 pétales ou plus (Figure 2). Il est vraisemblable que le caractère « fleur double » chez le rosier soit apparu spontanément par mutation, puis maintenu et propagé par sélection en raison de son intérêt esthétique.

 

 

 

 

 

 

Mécanismes génétiques et moléculaires de l’apparition de la fleur double

Figure 2 : Le déplacement de la bordure A/C et du domaine d’expression de AGAMOUS vers le centre de la fleur est à l’origine de la fleur double chez le rosier

Chez la plante modèle Arabidopsis thaliana, la mutation récessive1 à « fleurs doubles » a été caractérisée (Figure 1b). Le gène muté AGAMOUS, représentant la fonction C dans le modèle ABC, détermine l’identité́  des  étamines  et  des  carpelles. La mutation perte de fonction de ce gène conduit à la transformation des étamines en pétales et à la réitération d’un nouveau programme floral au centre du méristème,  aboutissant à une forme de fleur double  (Figure 1b).
Chez le rosier,  le type « fleurs doubles » ne résulte pas d’une perte de fonction du gène AGAMOUS, comme chez Arabidopsis, mais d’une modification du territoire d’expression de ce gène (décalage de la frontière d’expression  entre A et C ; Figure 2b). Ces travaux (Dubois et al. 2010) ont également révélés que ce mécanisme a été sélectionné indépendamment dans deux centres de domestication de la rose (Chine et région périméditerranéenne). Des travaux de génétique ont également démontré qu’une autre mutation dominante celle-ci, DF, est associée au type fleur double (Spiller et al., 2011). Le lien entre cette mutation DF et la modification du territoire d’expression du gène AGAMOUS n’est pas encore bien établi.
Cette diminution du territoire d’expression d’AGAMOUS semble également associée à l’apparition de la fleur double chez d’autre espèces comme Thalictrum thalictroides, Prunus lannesiana ou encore Camellia japonica (Galimba 2012 ; Liu 2012 ; Sun et al., 2014). Comme chez le rosier, chez ces espèces on ignore toutefois le mécanisme à l’origine de cette altération du patron d’expression d’AGAMOUS. Un mécanisme commun est-il à l’œuvre chez toutes ces espèces pour déclencher le doublement du nombre de pétales? Des travaux menés par différentes équipes visent à répondre à ces questions en utilisant différentes espèces.

Chez le rosier, des nouveaux outils génétiques, moléculaires, génomiques et biotechnologiques, y compris le séquençage du génome, sont désormais disponibles ou en cours de développement (Vergne et al., 2010 ; Spiller et al., 2011 ; Dubois et al., 2011 , 2012; Bendahmane et al., 2013). Ils contribueront à identifier chez la rose les gènes associés aux importants caractères (exemple Fleur double) ainsi que les mécanismes moléculaires et génétiques sous-jacents.

 

À lire…

Bendahmane M, Dubois A, Raymond O, Le Bris M (2013) Genetics and genomics of flower initiation and development in roses. J. Exp .Bot Feb;64(4):847-57.
Dubois A, Carrere S, Raymond O, Pouvreau B, Cottret L, Roccia A, Onesto JP, Sakr S, Atanassova R, Baudino S, Foucher F, Le Bris M, Gouzy J, Bendahmane M. (2012) Transcriptome database resource and gene expression atlas for the rose. BMC Genomics 2012, 13:638
Dubois A, Remay A, Raymond O, Balzergue S, Chauvet A, Maene M, Pécrix Y, Yang SH, Jeauffre J, Thouroude T, Boltz V, Martin-Magniette M-L, Jancza rski S, Legeai F, Renou JP, Vergne P, Le Bris M, Foucher F and Bendahmane (2011). Genomic Approach to Study Floral Development Genes in Rosa sp. PLoS ONE 6(12): e28455. doi:10.1371/journal.pone.0028455
Dubois A, Raymond O, Maene M, Baudino S, Langlade NB, Boltz V, Vergne P and Bendahmane M (2010) Tinkering with the C-function: A molecular frame for the selection of double flowers in cultivated roses. PLoS ONE 5(2): e9288. doi:10.1371/journal.pone.0009288
Meyerowitz EM, Smyth DR, Bowman JL (1989) Abnormal flowers and pattern formation in floral development. Development 106, 209-217.
Spiller M, Linde M, Hibrand-Saint Oyant L, Tsai CJ, Byrne DH, Smulders MJM, Foucher F, Debener T (2011) Towards a uniWed genetic map for diploid roses. Theor Appl Genet (2011) 122:489–500
Vergne P, Maene M, Chauvet A, Debener T and Bendahmane M. (2010) Versatile somatic embryogenesis systems and transformation methods for the diploid  rose genotype Rosa chinensis cv Old Blush. Plant Cell Tiss Organ Cult 100: 73-81

 



[1] Les notions de récessivité et dominance définissent les relations entre les copies d’un même gène (aussi dit allèles) situés au même locus sur des chromosomes homologues. Une mutation est dite récessive lorsque l’individu (exemple plante) doit posséder la mutation sur les deux chromosomes homologues pour être active.

 

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3 thoughts on “La fleur double, origine et mécanismes”

  1. merci beaucoup de ces éclaircissements qui sont très intéressants. J’aimerai savoir comment les obtenteurs procèdent pour créer des fleurs doubles?
    merci d’avance
    M.Damblant

    1. Bonjour,
      Nous vous invitons à poser votre question directement aux experts de la Société Nationale d’Horticulture de France sur le service de questions/réponses HortiQuid http://www.hortiquid.org.
      Belle journée à vous.

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