La couleur des roses
Pascal Heitzler
La rose est la plante cultivée la plus importante des points de vue économique et sociétal dans le monde. La couleur et le parfum des fleurs sont appréciés depuis au moins deux millénaires. Un nombre impressionnant de variétés a été développé en tant que plantes de jardins ou de paysage, pour les fleurs coupées et même pour les plantes en pot. La France a une longue tradition dans la création variétale.
D’importants progrès ont été faits récemment en développant des outils pour les approches génomiques chez la rose (1). Ces études ont permis des découvertes majeures pour le métabolisme spécialisé et notamment celui du parfum (2). Contrairement aux plantes dont la reproduction par graines est plus aisée (Petunia, Dianthus, Primula), l’exploration de la couleur chez la rose reste toujours difficile, alors que la création variétale continue d’alimenter le marché et les concours en couleurs innovantes. Alain Cadic dans un article récent (3), a présenté l’apparence des couleurs des fleurs. Dans celui-ci, nous allons passer en revue les trois groupes biochimiques responsables de la pigmentation – les chlorophylles, les caroténoïdes et les phénylpropanoïdes – en fonction de leur rôle présumé dans la couleur des pétales.
Des pétales verts en début de croissance
Dans l’évolution des plantes, les pétales représentent des organes spécialisés qui se sont différenciés des feuilles il y a déjà fort longtemps. Au cours de la croissance des fleurs, les pétales sont d’abord verts, puis, à l’approche de la maturité, la chlorophylle disparaît progressivement alors que la synthèse des caroténoïdes et/ou des anthocyanes démarre. Il existe quelques rares variétés à fleurs vertes, comme ‘Greensleeves’ ou ‘Super Green’, pour lesquelles la dégradation de la chlorophylle est défectueuse. Chez ‘viridiflora’, un mutant atavique dérivé de la variété ‘Old Blush’, les pétales sont même transformés en organes intermédiaires entre la feuille et le pétale.
La délicate question du jaune
Les caroténoïdes appartiennent au groupe des isoprénoïdes. Les carotènes forment de longues chaines de 40 carbones (8 unités isoprènes à 5 carbones).Chez la rose, la couleur jaune des pétales, mais aussi les couleurs orange ou rouge des cynorhodons, résultent de l’accumulation de caroténoïdes, principalement dans les chromoplastes (4). Les carotènes sont également présents dans les chloroplastes photosynthétiques des feuilles où ils ont un rôle stabilisateur et protecteur contre les UVs naturels. En conséquence, lorsque la chlorophylle se dégrade en automne, les feuilles de certaines variétés botaniques expriment une magnifique couleur jaune paille. Dans les cynorhodons et à la même période, la caroténogenèse subit d’énormes changements de régulation, permettant l’accumulation d’une multitude de composés voisins des lycopènes, utiles pour la santé humaine, une situation finalement proche de celle rencontrée chez la tomate.
Une hérédité compliquée
L’introduction de la couleur jaune chez la rose moderne a été relativement laborieuse. Historiquement, elle a été amenée par deux voies indépendantes, ‘Parks Yellow Tea Scented’, une rose thé chinoise ancienne et R. foetida persiana, une rose persane au jaune beaucoup plus prononcé. Ce dernier caractère est actuellement majoritaire chez les roses modernes bien jaunes. L’hérédité de la couleur jaune est compliquée puisqu’elle implique plusieurs gènes antagonistes qui participent à la synthèse des pigments ou à leur dégradation. La délicate sélection variétale des roses modernes jaunes a alors consisté à combiner judicieusement ces différents caractères afin de maintenir un jaune très prononcé qui ne se décolore pas au cours de la maturité de la fleur. Les couleurs orange, chamois et saumon proviennent de la superposition des carotènes avec les anthocyanes.
L’éventail des roses, des rouges et des mauves
Les couleurs rose, écarlate, rouge ou mauve des roses sont dues à de subtils dosages entre les différentes molécules d’anthocyanes, la pelargonidine, la cyanidine et, chez certains cultivars, la péonidine. Les anthocyanes font partie de la grande famille chimique des phénylpropanoïdes mais aussi du groupe des polyphénols, bien connus, à l’instar des caroténoïdes, pour leurs valeurs diététiques en santé humaine. La biosynthèse des anthocyanes est essentiellement conservée dans le monde végétal mais avec des restrictions spécifiques dans l’équipement enzymatique. Ainsi, l’absence de l’activité de la flavonoid 3’5’-hydroxylase (F3’5’H) chez la rose empêche la production de la delphinidine responsable de la couleur bleue. Une équipe de chercheurs avait tenté de générer une rose franchement bleue en créant une plante transgénique avec la F3’5’H de la pensée (Viola), mais le résultat fût assez décevant. D’autres paramètres doivent être maîtrisés, comme l’inventaire des co-pigments ou l’importance du pH des vacuoles. Par contraste, l’existence d’une 3,5 glycosyltransférase est une innovation de la rose et qui n’a encore jamais été constaté chez d’autres plantes.
L’addition d’un groupe de sucre sur les anthocyanes est cruciale puisqu’elle engendre une meilleure solubilité et une stabilité des molécules. Cette étape est aussi importante pour le transport et le stockage des anthocyanes dans les vacuoles. Ses activités enzymatiques ont lieu dans les cellules à proximité des membranes du reticulum endoplasmique. Le passage dans les vacuoles se fait très vraisemblablement par des molécules transporteurs.
Effets de patchwork
La couleur dépend aussi de régulateurs qui vont impacter la répartition des pigments en secteur ou en dégradé. Le complexe MBW résulte de l’assemblage de facteurs qui régulent les concentrations et la répartition des pigments dans les pétales. Ainsi une forte concentration en anthocyanes permettra un rendu rouge foncé presque noir. Parmi les patrons stables constatés chez la rose, notons différentes catégories de fleurs bicolores comme par exemple des roses à centre blanc ou blanches avec un fin ourlet de couleur. L’option complémentaire est souvent plus spectaculaire, avec un centre foncé comme chez les hybrides du sous-genre hulthémia. Certains autres mutants ont des pétales munis d’une bande médiane et longitudinale blanche. Un rendu bicolor peut aussi apparaître grâce à des différences de couleurs entre le dessus et le dessous des pétales. Enfin, des mouchetures de macules blanches ou d’autres avec des macules ou des petites stries nettement plus foncées, sont observées chez des lignées distinctes et plus rares.
Des stries irrégulières peuvent apparaître chez certaines variétés, de telle sorte qu’aucune fleur n’est semblable à une autre. Les panachures irrégulières sont très vraisemblablement dues à l’activité de transposons et instables qui altèrent la fonction d’une des enzymes ou d’un des régulateurs de la biosynthèse des anthocyanes. La collection des ‘Roses de Peintres’ obtenue par Henri Delbard constitue un bon exemple d’une gamme de ces roses panachées relativement bien fixée.
Des secrets encore à découvrir
La recherche fondamentale sur la couleur des roses n’a pas encore livré tous ses secrets. Un des enjeux majeurs aujourd’hui est de comprendre la contribution précise des gènes impliqués, au sein de généalogies mieux documentées, sans négliger le rôle de co-pigments, de sels métalliques, du pH, d’autres dérivés phénylpropanoïdes ou de tannins dans la stabilisation des couleurs. C’est un des challenges que je me suis fixé à Strasbourg avec la rose et au sein de l’Institut de Biologie Moléculaire des Plantes qui consacre un de ses programmes à l’étude de la régulation des flux métaboliques spécialisés chez les plantes.
(1) JC Caissard et coll. Le séquençage du génome du rosier : pourquoi faire ? https://www.jardinsdefrance.org/le-sequencage-du-genome-du-rosier-pourquoi-faire/
(2) JC Caissard et S. Baudino, Le parfum retrouvé des roses. https://www.jardinsdefrance.org/parfum-retrouve-roses/
(3) A. Cadic, La couleur des fleurs une réalité virtuelle. https://www.jardinsdefrance.org/la-couleur-des-fleurs-une-realite-virtuelle
(4) Un chromoplaste est un organite observé des cellules. Ces organites sont riches en pigments non chlorophylliens, comme les xanthophylles, les carotènes, etc.