La carotte affiche la couleur

De nos jours, la carotte (Daucus carota) peut être considérée comme une denrée alimentaire importante améliorée, principalement de couleur orange. Il n’en a pas toujours été ainsi et, en fait, la carotte orange est une invention récente.

La carotte autre qu’orange est aujourd’hui un produit de diversification
La carotte autre qu’orange est aujourd’hui un produit de diversification © E. Geoffriau

Originaire d’Asie centrale, plus précisément de la région de l’Afghanistan, la carotte cultivée a migré à la fois vers l’ouest et vers l’est. Elle s’est répandue en Europe occidentale via l’Espagne et l’Italie au cours des XIIIe et XIVe siècles. Pendant trois siècles, la carotte que l’on trouve en Europe est violette, jaune et également blanche. La première représentation de la carotte orange a eu lieu en 512, mais on considère que la carotte orange moderne est apparue pour la première fois en Hollande aux XVI-XVIIe siècles. En se propageant vers l’est à travers la Chine et le Japon, la carotte d’origine a donné naissance à des types de racines roses et longues. Les importantes activités commerciales au XVIIIe siècle et au XIXe siècle expliquent le large brassage génétique de cette plante.

Populations de Daucus carota var. carota dans un verger biologique (à gauche), et Daucus carota var. gummifer sur la côte de la Manche (à droite)
Populations de Daucus carota var. carota dans un verger biologique (à gauche), et Daucus carota var. gummifer sur la côte de la Manche (à droite) © E. Geoffriau

Histoire de la carotte en France

Les carottes sont apparues en France dès le XIe siècle, après l’Espagne et l’Italie. Le Ménagier de Paris du XIVe siècle dit que les « Garroites » sont des racines rouges vendues en bottes sur les marchés, chaque botte contenant une racine blanche. De La Quintinie rapporte en 1690 que « les carottes sont une espèce de racines, les unes blanches, les autres jaunes ». La carotte blanche est particulièrement utilisée en France aux XVII et XVIIIe siècles. Ce n’est qu’à la fin du XVIIIe siècle que la carotte orange apparaît en France. Elle provient probablement des trois types de carotte ‘Horn orange’ (corne orange) apparues aux Pays-Bas au XVIIe siècle : la Colmar serait issue de la ‘Long Horn’ (tardive), la Chantenay et la Nantes de la ‘Half-long Horn’, et la Marché de Paris de la ‘Early short Horn’ (précoce). Si l’on considère la diversité et le nombre de variétés locales, la France peut être considérée comme un centre de diversité secondaire pour la carotte cultivée (cf. page suivante en haut). En fait, les maraîchers des ceintures vertes des grandes villes, comme Paris et Nantes, peuvent être considérés comme les premiers sélectionneurs de carotte. Ils ont cherché à s’adapter aux spécificités locales. La « Carotte rouge demi-longue nantaise » est apparue au milieu du XXe siècle. Depuis, le type Nantes, caractérisé par une racine cylindrique, est devenu le principal type de carotte cultivé dans le monde. De même, le type Chantenay, du nom d’une zone de culture, aujourd’hui banlieue de Nantes, est un type majeur en Europe et aux États-Unis pour les carottes de conservation et de transformation. L’amélioration du type Nantais et des variétés hybrides ultérieures s’est traduite par une racine plus colorée et tendre, du fait de la réduction de la taille du xylème (le « cœur ») et de sa couleur orange, la racine devenant ainsi concolore. Si les carottes de couleurs variées ont été écartées au profit de la carotte orange, elles font l’objet de sélections comme produits de diversification.

Exemple de représentation de la carotte
Exemple de représentation de la carotte dans les peintures : carottes violettes et jaunes, longues et pointues, dans une scène de marché de Nicholaas Maes (1660) (Source : Rijksmuseum, Amsterdam)
Distribution des variétés populations françaises de carotte.

Des progrès grâce à l’Inra

En 1963, l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) a introduit dans le type nantais deux systèmes de stérilité mâle nucléo-cytoplasmique d’origine américaine, les anthères brunes et les étamines pétaloïdes. Les lignées correspondantes, ne produisant pas de pollen, sont utilisées comme parents « femelles » pour créer des variétés hybrides. En 1977, ’Nandor’ de Clause, l’une des premières variétés hybrides en Europe, a connu un grand succès. Cela a entraîné une révolution dans la production de carottes en France, avec une amélioration et un équilibre entre l’homogénéité, le rendement, l’éclatement des racines et l’aptitude à la récolte mécanisée. De plus, la qualité des semences hybrides a ouvert la voie au semis de précision et à l’abandon de l’éclaircissage manuel pratiqué jusqu’alors. D’autres variétés hybrides ont été développées par la plupart des semenciers en France et dans le monde. Le renouvellement des variétés est lent et certaines variétés enregistrées dans les années 1990 sont encore cultivées de manière significative. Aujourd’hui, 62 variétés de carottes sont inscrites au Catalogue officiel des variétés français (43 variétés hybrides et 19 variétés populations) mais 1 534 au niveau européen.

Le rendement est un élément majeur du coût de production et donc un critère de sélection important. Les variétés hybrides augmentent le rendement commercial en réduisant les déchets de triage. La résistance à la « brûlure » des feuilles (principalement pour Alternaria dauci) est une caractéristique essentielle pour une récolte mécanisée par préhension des fanes. La résistance à d’autres maladies (mildiou, cercosporiose, cavity spot) et ravageurs est importante pour les producteurs français. Les caractéristiques de qualité nutritionnelle et sensorielle souhaitées par les consommateurs sont plus complexes à sélectionner.

Carotte

QU’EN EST-IL DES CAROTTES SAUVAGES ?

Les espèces sauvages apparentées à la carotte présentent un intérêt pour les études de génétique évolutive et l’amélioration de la carotte pour la résistance aux nématodes et la tolérance aux stress abiotiques. Si 40 espèces du genre Daucus sont aujourd’hui identifiées, seule Daucus carota est présente en France avec une dizaine de taxons classifiés en deux sous-groupes. Le sous-groupe carota comprend les sous-espèces carota, maximus et maritimus. Le sous-groupe gummifer, distribué en zones littorales, comprend les sous-espèces gummifer, drepanensis, com­ mutatus, hispanicus et gadecaei (cf. p. 28 en bas). La sous-espèce gadecaei est endémique et protégée, elle existe principalement en Bretagne et dans la région basque. La sous-espèce commutatus n’existe qu’en Corse (Calvi, Bonifacio, îles Lavezzi) ainsi que la sous-espèce drepanensis (Ajaccio, Ile Rousse, Bonifacio). Une très grande diversité génétique peut être observée dans la zone méditerranéenne, comparée au reste du pays.

De la domestication à la valorisation de la carotte sauvage

Compte tenu du caractère bisannuel et allogame de l’espèce, la domestication de la carotte aurait eu lieu il y a environ mille ans. On considère que 85 % de la diversité sauvage seraient conservés dans la carotte cultivée occidentale. On sait que les principaux traits de domestication de la carotte sont principalement liés à la morphologie de la racine (tubérisée ou non) et au cycle bisannuel de la plante (les carottes sauvages étant majoritairement annuelles). La domestication a probablement eu un effet majeur sur l’accumulation en sucres et caroténoïdes (grâce au développement des chromoplastes) ainsi que sur les propriétés allergisantes.

Tous les taxons de D. carota se croisent avec la carotte cultivée et peuvent être facilement utilisés pour la sélection. Les hybrides entre carotte cultivée et carotte sauvage sont facilement reconnaissables à leur racine blanche. Les caractères sauvages sont généralement dominants par rapport à la forme cultivée.

Gestion des ressources génétiques de la carotte en France

Afin de préserver le patrimoine génétique français constitué par les variétés locales de carotte à fécondation libre qui sont devenues des ressources génétiques, le réseau Carotte et autres Daucus a été créé en 1996. Il implique des instituts de recherche, des semenciers, des instituts techniques ainsi que des botanistes. L’objectif de ce réseau est d’inventorier, de collecter, de caractériser et d’évaluer et mettre à disposition les accessions de carotte cultivée ou sauvage. Les collections de carotte sont conservées et gérées par le centre de ressources biologiques Carotte et autres Apiacées légumières à Angers (Maine-et-Loire). La collection patrimoniale nationale de carotte est accessible à l’adresse https://crbcarotte-cn.agrocampus-ouest.fr/.

La diversité des carottes est importante et sous-exploitée dans le type cultivé comme dans les espèces sauvages apparentées. Ces ressources sont essentielles pour la sélection des carottes et leur adaptation à de nouveaux besoins et conditions. Elles sont également précieuses pour les nouvelles méthodes d’étude du déterminisme des caractères sur la base d’un large fond génétique comme la génétique d’association. Les connaissances sur la diversité génétique de la carotte ont considérablement augmenté récemment, mais il reste encore beaucoup à apprendre sur la génétique de l’évolution de l’espèce. De meilleures caractérisations et évaluations des accessions sont nécessaires pour valoriser et sauvegarder ces ressources critiques.

 

Emmanuel Geoffriau
Institut Agro, Inrae, Université d’Angers, IRHS