Jardins de pluie
Gilles Carcassès
Aménagements paysagers destinés à stocker, infiltrer ou ralentir les eaux de ruissellement provenant de surfaces imperméabilisées, telles que toitures, terrasses, places, allées et trottoirs, les jardins de pluie alimentent les nappes, luttent contre les inondations et l’érosion, rafraîchissent la ville, favorisent la biodiversité… Utiles et indispensables à nos villes.
Ces jardins peuvent prendre de multiples formes, s’inspirant souvent de techniques très anciennes. Les rigoles et les dépressions plantées, inondables, imaginées par les jardiniers du XVIIIe siècle pour réguler l’eau de pluie, sont encore parfaitement fonctionnelles dans de nombreux parcs, comme celui du château de Saint-Germain-en-Laye.
Au jardin et dans la ville
A l’échelle du jardin privé, le raccordement direct de la gouttière à la mare ou au bassin d’agrément est à la portée de tous. Les jardiniers amateurs qui ont testé les attraits du point d’eau sont rapidement convaincus : quel bonheur d’observer le bain des passereaux, le vol gracieux des demoiselles, la délicatesse de coloris et de forme des iris de Kaempfer, la générosité des populages, des butomes, des pigamons…
À l’échelle de l’immeuble, de la résidence, du quartier ou de la ville, les jardins de pluie prennent d’autres formes. Les toitures et terrasses végétalisées des immeubles agissent comme des éponges. Elles retardent l’arrivée de l’eau dans les égouts et les stations d’épuration, qui parfois débordent lors des orages. Leur capacité d’isolation thermique et phonique n’est plus à démontrer et de nombreux insectes profitent de la floraison des plantes plus ou moins variées selon l’épaisseur de terre disponible.
D’autres types d’ouvrages permettent de ralentir le chemin de l’eau de pluie. C’est le cas notamment des calades et des gradins. Cet art très ancien qui consiste à caler sur chant des galets ou des pierres plates les unes contre les autres permet de créer un sol rugueux qui freine la course de l’eau. Les jardins en terrasses soutenues par des murets en pierres sèches ont aussi l’avantage de limiter l’érosion et de favoriser l’infiltration de l’eau. Les jardins méditerranéens, soumis à de violents orages, combinent souvent avec élégance ces deux solutions.
Infiltrer
Les jardins de pluie proposent d’autres systèmes visant à l’infiltration des eaux, au bénéfice des nappes souterraines ou de la végétation en place. Ainsi, la commune de Rueil-Malmaison, dans les Hauts-de-Seine, a adopté une réglementation particulière en faveur de l’infiltration à la parcelle, en raison des risques importants d’inondations dans la partie basse de la ville lors des fortes pluies. Elle a réalisé, dans ce contexte, des jardins publics d’infiltration plantés de miscanthus, de carex, d’eupatoires, d’angéliques… Ces espaces sont destinés à recueillir les eaux de ruissellement de la passerelle qui enjambe l’autoroute dans le quartier de la gare.
Parfois, les concepteurs choisissent de diriger l’eau directement vers les racines des arbres ou des arbustes. À Bois-Colombes, les grilles d’assainissement des allées du square André Chénier alimentent des drains positionnés sous les massifs d’arbustes, au lieu d’être raccordées à l’égout de la rue. Lorsque les eaux de pluie sont chargées de polluants, elles peuvent être traitées dans des bassins d’épuration.
C’est le cas à Neuville (Val d’Oise) où l’Agglomération de Cergy-Pontoise a opté pour cette technique pour le traitement des eaux pluviales du quartier de l’université. Les eaux des chaussées sont conduites par des fossés herbeux jusqu’à des bassins d’épuration. Ceux-ci sont étanchés par une couche d’argile et plantés de phragmites (roseaux), de massettes et d’iris des marais. Les hydrocarbures sont dégradés par les bactéries présentes au niveau des racines des plantes. Un fauchage annuel permet d’éliminer une partie des polluants fixés par la végétation.
Sécuriser les réseaux d’assainissement
Ces réseaux qui collectent les eaux pluviales peuvent être sécurisés grâce à l’installation des jardins de pluie. À Stains (Seine-Saint-Denis), le mail des Trois rivières stocke l’eau de pluie en amont des réseaux dans des dépressions inondables qui alimentent des réservoirs enterrés de régulation. Sous une autre forme, le square des Acrobates à Saint-Denis peut voir en temps d’orage sa partie basse inondée par le débordement d’une grosse canalisation d’eau pluviale qui dessert le quartier. Cette expansion se fait par de grandes grilles au point bas du jardin. Quelques heures à peine après l’orage, le square se vide de son eau et retrouve son usage habituel. Ce mécanisme protège les installations d’assainissement, en amont, des risques de montée en charge des canalisations.
La société française d'odonatologie (étude des odonates) recense 106 espèces et sous-espèces de libellules et demoiselles observables en France. Onze bénéficient d'un statut de protection. La petite nymphe au corps de feu, Pyrrhosoma nymphula, est l'une des espèces les plus communes de nos bassins, fossés, étangs et petits cours d'eau. On peut la voir dès le mois d'avril et jusqu'en août. Les adultes consomment des pucerons et d'autres insectes. Les larves aquatiques très carnassières dévorent des petits crustacés et d'autres petites proies.
Des aménagements paysagers de grande qualité
Quelques projets ambitieux concernent d’importantes opérations d’aménagement. Par exemple, à Boulogne-Billancourt, sur le site des anciennes usines Renault, tout un éco-quartier couvrant plus de 70 hectares est organisé sur le principe de la gestion des eaux pluviales. Les concepteurs ont choisi de rejeter en Seine, après décantation et déshuilage, les eaux recueillies sur les chaussées. Les eaux provenant des toitures végétalisées et des espaces piétonniers alimentent, par un réseau de fossés et de caniveaux, des réservoirs enterrés utilisés pour l’arrosage des espaces verts, ainsi qu’un grand bassin permanent qui orne le parc public de Billancourt, près de la Seine. Les espaces verts de ce parc sont équipés d’espaces d’infiltration en graviers pour absorber les eaux de débordement du bassin et celles des éventuelles crues de la Seine. Ces jardins de graviers sont l’occasion pour les paysagistes d’expérimenter des mises en scène originales de plantes vivaces adaptées aux conditions sèches et supportant les inondations temporaires.
Habitats menacés
Victimes de l'urbanisation, des pratiques agricoles ou des barrages sur les cours d'eau, on estime que plus de la moitié des zones humides a disparu en France entre 1960 et 1990. Malgré un ralentissement de la tendance depuis, il a urgence à restaurer et recréer des zones humides pour préserver la survie de nombreuses espèces. Les amphibiens sont les premières victimes de la raréfaction de leurs habitats : sur les 39 espèces françaises, 13 sont menacées ou quasi menacées de disparition.
La biodiversité en ville : un art délicat
Le Conservatoire des Jardins et des Paysages a organisé le 15 mars dernier une journée de rencontres dans les locaux de la SNHF. Elle avait pour but de répondre à une question relativement nouvelle : quelle liberté a-t-on de créer des jardins, fréquentés par le public, face aux enjeux de la diversité biologique. En d'autres mots, est-il compatible de favoriser la biodiversité et en même temps d'accueillir le public ? La ville est, au regard de la vie sauvage, un espace très contraint. Il n'y a qu'à penser à l'éclairage artificiel (qui perturbe beaucoup d'animaux), le piétinement, les impératifs de sécurité ou encore à l'obligation de « faire beau » pour répondre à la demande des administrés. Plusieurs voies ont été expérimentées, à commencer par une gestion différenciée, c'est-à-dire une façon d'entretenir les lieux publics en fonction de leur usage (les endroits les moins fréquentés sont entretenus moins régulièrement). Cet outil nous est souvent présenté comme une façon de privilégier la biodiversité en ville et figure en bonne place dans les politiques environnementales des collectivités. En réalité, c'est pour des raisons budgétaires que l'on a inventé ce concept, ce qui n'enlève rien à son utilité pour la faune et la flore. Sanctuariser la nature en ville ? Les différentes tentatives montrent qu'interdire des espaces est très mal perçu par le public. Et pourtant ! Le plus utile pour aider la flore et la faune à se maintenir en ville, serait de laisser se créer des îlots de vieillissements : des endroits où l'on laisse les arbres et la végétation vieillir. Les jardins publics constituent des milieux très jeunes d'un point de vue biologique, et qui ne sert qu'une partie de la vie sauvage, excluant les catégories les plus menacées. Il faut donc, parfois, que les services en charge des espaces verts déploient tout leur savoir-faire afin de créer des jardins publics où la biodiversité est favorisée, où la sécurité du public est assurée, tout en empêchant le vandalisme. Celui-ci est plus souvent involontaire que délibéré. Malgré les exemples encourageants qui ont été cités lors de cette journée, un constat s'impose : il faut être réaliste et admettre qu'on ne peut pas, en ville, favoriser toute la diversité biologique…
Jean-Michel Groult
En savoir plus
- Gaëlle Aggéri, Inventer les villes-natures de demain. Éducagri éditions (2010).
- Le béton & le bourgeon, Le Carnet des Tendances du Jardin. Institut Jardiland (2010).
- Ile Seguin, rives de Seine. Le développement durable en action. Ville de Boulogne-Billancourt (mars 2011)
- Les points de repère du 93 – n°36. L’eau dans le projet urbain en Seine-Saint-Denis
- Ministère de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement, Plan Restaurer et Valoriser la Nature en Ville.
http://www.developpement-durable.gouv.fr/Plan-nature-en-ville.html