Jardins de Chambord, les prouesses d’une restitution

Jean-François Coffin

Quand on évoque les jardins de Chambord, on pense tout de suite aux broderies restituées du magnifique jardin « à la française » se situant devant le château. Mais cette réalisation est le fruit d’une longue démarche concernant l’ensemble des jardins dont celui à l’anglaise. « Tout a commencé en 2009 avec Patrick Ponsot, alors architecte en chef des Monuments historiques en charge du domaine. Il me demandait un avis sur la restauration du jardin “dit à l’anglaise” situé à l’ouest du château », explique Thierry Jourd’heuil. Les conseils avisés de ce dernier et ses qualités professionnelles ont abouti à lui attribuer le réaménagement de ce jardin, puis, plus tard, la restitution du jardin à la française. « Ma formation initiale, à la fois technique comme ancien élève de l’école du Breuil, et paysagiste de l’école Supérieure d’architecture des jardins et du paysage de Bruxelles, m’a conduit à être un paysagiste concepteur. La connaissance des végétaux dispensée par l’école Breuil était un sérieux atout et intéressait Patrick Ponsot. »

Chambord vu d’une montgolfière : à gauche, le quinconce ; au centre les broderies du jardin à la française ; à droite, le jardin anglais - © Léonard de Serres
Chambord vu d’une montgolfière : à gauche, le quinconce ; au centre les broderies du jardin à la française ; à droite, le jardin anglais – © Léonard de Serres

L’oeil du jardinier

L’équipe de l’agence : de gauche à droite, Florian Carré, Letizia Amorosi, Thierry Jourd’heuil - © J.-F. Coffin
L’équipe de l’agence : de gauche à droite, Florian Carré, Letizia
Amorosi, Thierry Jourd’heuil – © J.-F. Coffin

Thierry, avec ses collègues Letizia et Florian, se met au travail. Le jardin anglais, datant de la fin du XIXe siècle, a connu des
« évolutions » d’aspect au cours des années. « Le faire renaître à l’identique avait-il du sens ? Oui, mais en tenant compte du contexte et des usages d’aujourd’hui », en particulier son ouverture au public. Thierry tente de savoir « pourquoi une partie du jardin a disparu, pourquoi des végétaux étaient-ils morts ? » Son premier réflexe est de mettre la main à la terre. Les analyses de sol révèlent un pH élevé : 8,2 ! Il s’explique par les gravats de tuffeau, pierre calcaire utilisée pour la construction du château, qui avaient été épandus autour de la bâtisse.

La palette végétale répertoriée dans les archives révèle des végétaux de Chine, du Japon, d’Amérique du Nord, supportant difficilement un pH élevé, d’où leur disparition. « Autrefois, si le sol n’était pas bon, on le changeait. Aujourd’hui, on doit faire avec celui en place, en imaginant que les plantations aient une durée de vie maximale. »

La main invisible du paysagiste

Toujours avec cette nécessité d’avoir le moins d’entretien possible (« On nous a dit qu’il y aurait peu de jardiniers pour la maintenance »), il a fallu choisir des végétaux nécessitant peu de taille, résistants, avec de faibles besoins en eau. D’où, par exemple, l’abandon d’une palette végétale de type rhododendrons, ce qui pouvait provoquer des interrogations auprès d’un public non avisé des contraintes de ces végétaux. L’accent a été mis sur la flore locale tels sureau, Acer campestris, chêne, pin sylvestre, rosiers botaniques et buissonnants à développement sans taille et aux formes naturelles.

Outre le côté végétal, le travail a été de proposer un nouveau tracé sans trahir l’esprit d’origine. Comme le jardin anglais est le passage obligé pour accéder au château, le paysagiste a étudié un cheminement différent entre l’aller et le retour pour proposer au visiteur une vision différente d’un sens à l’autre, « avec des cadrages surprises ». Et, cerise sur le gâteau, la plantation de rosiers odorants devant lesquels le promeneur fait une pause pour les sentir.

Pour Thierry Jourd’heuil, « la réussite est que le visiteur ne s’aperçoive pas de l’intervention d’un paysagiste dans ce jardin devenu un lieu de contemplation. »

Un jardin « à la française » disparu

Quant au jardin à la française, créé au XVIIIe siècle et situé devant le château, il n’en restait plus rien. Heureusement, les archives recèlent de nombreux documents. Le travail de fourmi des archivistes et de l’architecte en chef Philippe Villeneuve a permis d’en retracer les plans exacts. À partir de là, place au paysagiste pour diriger la mise en oeuvre des travaux, en quatre mois seulement, de septembre à décembre 2016.

Ce fut une organisation et un travail d’équipe remarquables. S’il fallait respecter un tracé à l’identique, il n’était pas concevable de mettre les mêmes espèces végétales qu’à l’époque, « sinon, on allait à l’échec ». La tâche a donc été de proposer des végétaux permettant d’obtenir le même effet que ceux d’origine, mais adaptés aux contraintes actuelles. Le cas typique est celui de l’abandon du buis pour les broderies, vu le danger de la pyrale. Le choix s’est porté sur le fusain et sur le thym, plantes résistantes à la sécheresse, aux maladies et supportant bien la taille.

Le plan masse permet de situer le domaine : à gauche, la ville, puis le jardin anglais et, enfin, le château et le jardin à la française - © D.R.
Le plan masse permet de situer le domaine : à gauche, la ville, puis le jardin anglais et, enfin, le château et le jardin à la française – © D.R.
Le jardin à la française en cours de terrassement : 30 000 m3 de terre décapée, stockée et remise en place - © Florian Carré - Agence Thierry Jourd'heuil
Le jardin à la française en cours de terrassement : 30 000 m3 de terre décapée, stockée et remise en place – © Florian Carré – Agence Thierry Jourd’heuil
Instruments scientifiques, tablettes et autres outils informatiques ont permis un tracé et des plantations au centimètre près – © Florian Carré – Agence Thierry Jourd’heuil

Des végétaux adaptés

À l’époque, les arbres d’alignement n’étaient pas taillés. Il a fallu trouver des espèces résistantes gardant cet aspect
« vaporeux » induit par la non-taille. Les marronniers blancs, attaqués par la mineuse, ont été remplacés par Tilia cordata. Les ormes du quinconce ont laissé place à des merisiers à fleurs doubles (Prunus avium ‘Plena’) « mais, prudence, nous ne sommes pas à l’abri de maladies futures », le problème étant toujours le risque de la mono-spécificité que l’on est obligé de respecter.

Le travail du pro a été aussi de bien préparer le sol avant les plantations. La terre était sableuse, sans matière organique. Des amendements ont été apportés, ainsi que des mycorhizes « pour libérer le phosphore bloqué du fait d’un pH élevé ».

Pour respecter la contrainte « à l’identique », le paysagiste a dû conserver la logique de tracé des allées de l’époque. Néanmoins, pour limiter l’aspect très minéral du quinconce et offrir un lieu agréable aux visiteurs, l’herbe a remplacé le gravier prévu initialement. Elle représente, de plus, une solution favorable à la perméabilité des sols et à la gestion des eaux de pluie.

Des solutions contemporaines

Restituer « un jardin à l’identique » n’a pas empêché de recourir à des méthodes modernes. Les jardiniers ont utilisé des tablettes numériques pour planter au centimètre près les végétaux des broderies. Toujours pour éviter l’entretien par la suite, les broderies ont été délimitées par bordures  métalliques « même si cela a été difficile à faire accepter ! »

Le développement durable était aussi un fil conducteur : choix des plantes peu exigeantes en eau (comme le thym en bordure des parterres Est), les plantes vivaces ont été privilégiées face aux plantes annuelles (« elles ont une durée de vie de plusieurs années et nécessitent peu de soin pour prospérer »). Le domaine de Chambord s’est engagé à n’utiliser aucun traitement pesticide, fongicide ou herbicide pour l’entretien de ses jardins. Même la réalisation du chantier a été étudiée pour éviter le moins de déplacements possible des engins (empreinte carbone).

Paysagiste heureux

Coup de chapeau à l’organisation remarquable du chantier et aux qualités professionnelles des intervenants, Thierry reste pudique sur les difficultés qu’il a sûrement rencontrées. Il préfère savourer les bons moments : « Ma plus grande joie est celle partagée avec les ouvriers qui mettent tout leur coeur à leur travail » ou « la belle rencontre avec l’entreprise d’espaces verts Richard (Orléans), ce sont de vrais jardiniers ! »

Il se dit heureux d’avoir participé, avec son équipe, à une telle aventure. « J’ai pu exercer mes compétences de paysagiste dans un environnement professionnel de qualité et à l’écoute. Nous avons aussi été accompagnés par une maîtrise d’ouvrage d’exception, attachée comme nous aux valeurs humaines, clef de la réussite d’un tel chantier. J’espère seulement qu’un jour, un jardinier chef accompagnera ces jardins, comme c’est le cas à Versailles ! »

Pour aller plus loin

SUR LE CHANTIER

https://jourdheuil-paysagistes.com/chateau-de-chambord

www.chambord.org

LES ACTEURS DU DOMAINE NATIONAL DE CHAMBORD

Direction générale du Domaine : Jean d’Haussonville

Direction des bâtiments et des jardins : Pascal Thévard

Architecte en chef des monuments historiques : Philippe Villeneuve

Paysagiste : Thierry Jourd’heuil

Pilotage : Philippe Chauveau

Entreprise Colas Centre-Ouest

Entreprise Espaces verts : J. Richard à Orléans

Entreprise Arrosage : SIREV

Pépiniéristes : Lepage, Châtelain, Lappen (Allemagne)

Le mécène qui a financé cette restitution : Stephen A. Schwarzman, président, P.-d.g. et fondateur de Blackstone