Jardin de La Bricarde à Marseille : Un espace gagné sur des lieux délaisses

C’était auparavant une décharge sauvage, avec des carcasses de voitures et des encombrants, où un parking était prévu à l’intention des immeubles avoisinants. Grâce à l’ambition d’une association, c’est devenu un creuset de végétation et un jardin partagé, au plus grand bénéfice de leurs habitants : le jardin partagé de La Bricarde à Marseille.

Le jardin de La Bricarde est maintenant un parc de 3 000 m2, havre de paix et de détente pour les habitants de la cité, avec ses espaces communs et ses parcelles privatives
Le jardin de La Bricarde est maintenant un parc de 3 000 m2, havre de paix et de détente pour les habitants de la cité, avec ses espaces communs et ses parcelles privatives © Régie Services Nord Littoral

Le jardin partagé de La Bricarde a été le premier du genre à Marseille (Bouches-du-Rhône), installé au pied des immeubles d’une cité des quartiers nord de la ville. Il a été créé au début des années 2000 sur une surface de 2 000 m², sur une initiative de Kamel Dahchar, directeur de la Régie de quartier Service Nord Littoral. Agrandi à 3 000 m², c’est aujourd’hui « un havre de paix dans un environnement hostile », visité par d’autres responsables de jardins partagés, comme un exemple de réussite.

Un aménagement au pied d’immeubles

Chargée de l’entretien et du nettoyage par le bailleur social, avec un statut juridique associatif, la Régie Service Nord Littoral est appelée à la fin des années 1990 à s’impliquer aussi dans l’amélioration du cadre de vie de ces quartiers difficiles. Le constat de l’indifférence des habitants les uns par rapport aux autres et de l’individualisme exacerbé dont ils témoignent a conduit Kamel Dahchar à réagir. « Je souhaitais créer une activité qui permette aux différentes générations de se retrouver, qui crée des échanges entre les habitants et casse l’isolement des personnes âgées », se souvient-il.

Il y avait alors à proximité des immeubles, entre écoles et points de deal, un lieu en friche, véritable dépôt sauvage, que certains souhaitaient transformer en parking. « J’ai proposé d’y aménager un espace de jardinage partagé, raconte Kamel Dahchar, un projet ambitieux, mais qui a été accepté en 1999. » Avec l’aide de la ville, qui a fourni notamment de nombreux végétaux, l’espace a été nettoyé, aménagé et planté, en conservant des arbres et une partie de la végétation spontanée. Ronces et déchets ont laissé ainsi la place à des plantations méditerranéennes. Un petit chemin ombragé mène à des jardins potagers, bien clôturés pour éviter le chapardage et les dégradations. En 2006, une employée de la Régie, Danielle Dumonet, est déléguée à temps partiel sur le site, pour en assurer l’animation et dynamiser les utilisateurs du jardin.

Le jardin partagé de La Bricarde participe au développement du végétal en ville et au maintien de la biodiversité
Le jardin partagé de La Bricarde participe au développement du végétal en ville et au maintien de la biodiversité © Régie Services Nord Littoral

Une bulle d’évasion

Les habitants – et surtout les habitantes – se sont rapidement emparés du lieu, apportant chacun sa pierre à l’édifice, en fonction de ses moyens et des trouvailles de bric et de broc. Le jardin de La Bricarde leur offre à la fois un espace de détente, de partage et d’échanges, avec ses bancs de récupération, sa pergola, son barbecue et ses chaises longues, et une douzaine d’espaces privatifs. Les femmes de la cité y produisent leurs propres légumes pour améliorer le panier alimentaire de la famille, mais font aussi des échanges de produits et découvrent d’autres cultures culinaires. Au cœur d’une cité sensible, voici « un poumon vert, une bulle d’oxygène et d’évasion pour ceux qui n’ont pas les moyens de voyager… »

Pour Danielle Dumonet, il s’agissait de retrouver un peu de l’île de La Réunion, dont elle est originaire, mais aussi d’évoquer le Maghreb et leurs pays d’origine pour le plaisir de ses jardinières. Les femmes d’une dizaine de familles se retrouvent là, « loin des hommes, des trafics et des soucis ». Les bancs ne sont pas disposés pour jouir de la vue, pourtant très belle sur la rade de l’Estaque, mais face à face pour d’interminables discussions. D’autres, disposés en gradins, forment le « Parlement », devenu un lieu de convivialité. Le réseau des jardins partagés des quartiers nord vient y tenir ses réunions mensuelles. Les enfants des écoles de la cité sont largement mis à contribution. Ils viennent en voisins y jardiner régulièrement et ils y ont aménagé des roches et quelques plantes pour matérialiser au sol les nations entourant la Méditerranée. Un travail fédérateur pour ces enfants issus de diverses origines. « Et lorsqu’ils grandissent, apprécie Kamel Dahchar, ils se souviennent de ce qu’ils ont fait ici et conservent un grand respect pour ce lieu et ce qu’ils y ont créé. »

Un retour de végétation en ville

En dehors de sa fonction sociale, le jardin partagé de La Bricarde participe au développement du végétal en ville et au maintien de la biodiversité. Outre les plantes méditerranéennes et réunionnaises qui y sont reines, on y trouve de la bourrache pour attirer les abeilles, du tournesol pour nourrir les oiseaux, des capucines pour monopoliser l’attention des pucerons, du chèvrefeuille pour garnir les grillages, des rosiers pour prévoir des confitures de cynorhodons… La faune sauvage y est la bienvenue, attirée par les nombreux hôtels à insectes et des tas de branches laissés au sol.

« Plus les années passent et plus cet espace est beau », se réjouit Kamel Dahchar. Avec une végétation qui a réinvesti un lieu laissé en friche, le jardin partagé de La Bricarde est devenu un parc-jardin au cœur d’une cité difficile, et attire un nombre croissant de ses habitants. Ce lieu est appelé à perdurer, au bénéfice de tous : « Il y a bien eu un projet immobilier pour récupérer cet espace, se souvient Kamel Dahchar, mais le plan a été revu pour intégrer le jardin, sans le toucher… »

UN JARDIN PLUSIEURS FOIS RÉCOMPENSÉ

Danielle Dumont

 

Danielle Dumonet a présenté en 2022 le jardin de La Bricarde au Concours national des Jardins potagers organisé par la SNHF, Semae (l’interprofession des semences et plants), l’association Jardinot et la FNJFC (Fédération nationale des jardins familiaux et collectifs).

Elle y a reçu un premier prix dans la catégorie des potagers partagés cultivés par une association.

L’année précédente, le jardin avait également reçu un premier prix au concours Marseille en Fleurs relancé par la ville.

Le jardin est un lieu de partage, de repos et de convivialité, dans un environnement difficile
Le jardin est un lieu de partage, de repos et de convivialité, dans un environnement difficile © Régie Services Nord Littoral

Marie-Hélène Rocher-Loaëc

Journaliste horticole, membre du comité de rédaction de Jardins de France