Japon… Culture… Horticulture…
Daniel Lejeune
Durant deux siècles, seuls les commerçants de la compagnie hollandaise des Indes et leurs médecins eurent des contacts avec un Japon entièrement replié sur lui-même. L’ultimatum du commodore américain Perry provoqua une ouverture large et rapide du pays sur le monde occidental, ses techniques et ses armements. Les Japonais décidèrent de retourner la situation à leur profit en accueillant des experts européens sur leur territoire, en envoyant des stagiaires et étudiants dans les différents pays d’Europe et en participant aux Expositions Universelles successives. A partir de 1878, surtout, le monde occidental découvrit ainsi une nouvelle expression artistique. Il découvrit aussi l’horticulture japonaise et ses ressources végétales, tant ornementales qu’alimentaires.
Durant deux siècles, le Japon s’est tenu soigneusement abrité des relations avec l’occident. Seuls, les commerçants de la Compagnie Hollandaise des Indes étaient exceptionnellement tolérés dans l’îlot de Dezima, face à la ville de Nagazaki. Il en résulta que, durant cette longue période, la connaissance du Japon et de ses plantes se limita à peu près aux récoltes des médecins de la Compagnie, herborisant sans s’éloigner des jardins de Nagasaki auxquels leurs compétences spéciales leur donnaient parcimonieusement accès. Le collecteur le plus ancien fut ainsi l’allemand Kaempfer (1690-1692). Puis vint le suédois Thunberg (1775-1776), l’un des « apôtres » de Linné.
Mais ce superbe isolement ne pouvait s’éterniser :
L’ouverture au XIXe siècle
Au XIXe siècle, le développement de la marine à vapeur amena les puissances occidentales à rechercher des escales de ravitaillement dans toutes les mers du globe. Le commodore américain Matthew Perry (1794-1858) négocia avec la manière forte, celle de la diplomatie des canonnières et obtint du Shogun en 1854 l’ouverture internationale de trois ports (Shimoda, Hakodate, Nagasaki…). Dès lors, différents, scientifiques accédèrent au territoire japonais, précipitant l’entrée de ce dernier dans une assimilation très consentie de la culture et des techniques occidentales. L’anglais Blariston effectua une visite méthodique des côtes de l’île de Yeso en 1871. L’allemand Riou visita la plus grande partie du territoire nippon en 1874 ; il en fut de même de son compatriote Naumann, qui initia les Japonais à la topographie à partir de 1875 pour accompagner le développement du chemin de fer introduit depuis 1870… et de bien d’autres !
La fameuse vigne de madame Coignet
Le gouvernement japonais rémunérait très généreusement les techniciens étrangers, porteurs d’un savoir précieux, utilisable immédiatement, mais surtout assimilable à très court terme. Les différentes nations européennes furent mises à contribution, chacune selon leur domaine d’excellence. Il semblerait que les ingénieurs des mines français aient été spécialement recherchés. Nous devons ainsi à Monsieur Coignet, parti dans le cadre d’une mission consulaire, diverses introductions très intéressantes. Il était le gendre de Jean Sisley, ancien soyeux lyonnais passionné d’horticulture qui assura les relations avec le Muséum. La vigne d’Ishikari, dorénavant mieux connue sous le nom fameux de Vigne de madame Coignet, en est l’exemple le plus connu.
Les introductions de Siebold
Une autre importante contribution indirecte fut celle de Paul Amédée Ludovic Savatier qui passa dix ans au Japon (1866-1876) en qualité de médecin de la marine française. Il envoya de nombreuses plantes à Adrien Franchet, alors aide-naturaliste au Muséum, qui en tira une flore du Japon en deux volumes[1].
Mais celui qui, le premier, avait véritablement fait découvrir le Japon aux européens, fut Philipp von Siebold qui à l’issue de deux séjours (1823-1829 et 1859-1862), introduisit de nombreuses plantes en Europe[2], ainsi que dans différentes colonies bataves, par exemple l’arbre à Thé dans l’île de Java. Puis nous citerons les anglais John Gloud Veitch (1860-1861), Robert Fortune (1860-1862) et Charles Maries (1877-1879) tous trois botanistes-collecteurs professionnels de premier plan auxquels nos jardins sont redevables de nombreuses espèces. Ce fut ensuite le tour de l’américain Sargent, puis celui d’Ernest Henry Wilson, (1876-1930), collecteur de l’Arnold Arboretum, de s’illustrer dans la « découverte » de la flore et de nouvelles merveilles horticoles japonaises.
[1] Franchet et Savatier, Enumeratio plantarum in Japonia sponte cresccientum…, Paris, 1875-1879.
[2] Les plantes furent introduites dans un établissement spécialisé qu’il fonda à Leyde et dont les ventes étaient essentiellement réservées aux membres de la Société royale d’horticulture des Pays-Bas (Revue horticole, 1847, p. 224).
L’influence des expositions universelles
Le Japon avait compris qu’il valait mieux organiser les relations avec l’Occident plutôt que les subir. Cette attitude se concrétisa par une participation aux Expositions Universelles. Les Français découvrent ainsi le pays du soleil levant et ses produits dès 1867. Mais c’est l’exposition de 1878 qui sera décisive par l’importance de la délégation japonaise présente et l’abondance des produits et végétaux apportés. Jusqu’à la fin du siècle, les livraisons successives de la Revue Horticole permettent de constater un intérêt croissant pour les plantes japonaises ornementales ou utilitaires.
Le Comité de l’Art des jardins de la Société Nationale d’Horticulture de France, comporte au moment de l’Exposition universelle de 1900, les membres suivants : E. Touret (président), E. Redont (1er vice-président), G. Le Breton (2e vice-président), A. Loizeau (secrétaire, ancien élève de la promotion 1892 de l’ENH de Versailles), H. Riousse (vice-secrétaire), C. Marcel, A. Péan, P. Quénat, J. C. N. Forestier et H. Fukuba (délégué du gouvernement japonais, directeur des jardins impériaux). Durant son séjour en France, Fukuba réside à Versailles.
Alain Durnerin, Ingénieur Horticole,
Ingénieur en chef honoraire du génie rural et des eaux et forêts
Cépages français au Japon
Le gouvernement japonais n’envoyait pas que de futurs chimistes, biologistes ou industriels en Europe. Dans son intéressante biographie de Charles Baltet[3], Jean Lefèvre relève l’arrivée à Troyes (en redingote et chapeau melon !) de deux jeunes japonais qui, en 1877, venaient apprendre les arts de la viticulture et de la viniculture. Au bout de deux ans et après un passage chez Pierre Dupont, un fabricant de champagne, ils repartiront avec une centaine de pieds de différents cépages de vigne. Charles Baltet, dont les ouvrages ont par ailleurs été traduits en japonais, recevra l’ordre du Trésor sacré du Japon. La viticulture française fut ainsi exportée au pied du Fuji Yama. Il reste de cette période un musée du vin à Katsunama où les souvenirs troyens figurent en bonne place[4]. Il y eut d’ailleurs bien un intérêt ouvertement déclaré des Japonais pour l’horticulture européenne et, en tout cas française puisqu’on relève qu’en 1878, deux élèves, Saméshima et Hiraï furent admis à l’école d’Horticulture de Versailles, à titre étranger [5]
Prune, crosne et chrysanthème
Au fil des pages de la Revue horticole, Elie-Abel Carrière, ancien responsable des pépinières du Muséum et collaborateur de Decaisne décrit, analyse et juge les « nouveaux » fruits tels que les kakis[6] ou les prunes.
Paillieux, amateur passionné de plantes légumières, expérimente les radis Daïkon et surtout une labiée tubéreuse qui séduira les gastronomes et finira par être connu sous le nom du village où il cultive son potager expérimental : ce sera le crosne[7].
[3]Jean Lefèvre, Charles Baltet, un génie de l’horticulture, 2010, Les éditions de la Maison du Boulanger à Troyes.
[4] Notons qu’à l’occasion du centenaire de cette mission pédagogique, une délagation de 12 Japonais revint à Troyes rencontrer la descendance de Charles Baltet.
[5] Revue horticole, 1878, p. 382.
[6] C’est d’ailleurs à propos de la classification des Kakis, que Carrière et Decaisne se brouilleront définitivement par Gardener’s chronicle interposé. Revue Horticole, 1869, p. 284.
[7] Pailleux reçut en 1887 un prix de 500F de la part de la Société d’acclimatation pour ses efforts (Revue horticole, 1887, p. 338).
> en savoir plus sur les expérimentations de Pailleux
Les horticulteurs européens importent de grandes quantités de plantes japonaises[8] aux étiquettes incompréhensibles. Ils rebaptisent sans vergogne pivoines[9] et autres chrysanthèmes !
L’art floral, mis en œuvre par des artistes japonaises étonne les parisiens mais ne les rebute pas[10], alors que les subtilités culinaires des shushis partagent les opinions[11].
Des scènes japonisantes
Les chrysanthèmes à grosses fleurs, les arbres nanifiés mais aussi les jardins japonais sont sources d’interrogations pour nos jardiniers…
Les premières créations de jardins japonais en France semblent avoir été le fait de riches amateurs ayant visité le Japon plutôt que de professionnels. Il s’agit la plupart du temps de scènes spécifiques insérées dans des parcs traditionnels. C’est le cas dans la propriété de Lord de Saumarez à Guernesey, c’est encore le cas chez la duchesse de Persigny, Villa les Lotus, à Cannes, deux conceptions d’ensemble de l’atelier d’Edouard André, dont on ne connaît pas l’avis en matière de japonisme.
Cette même démarche sera à l’origine de la scène japonisante dans le jardin Kahn.
Le jardin d’Hugues Krafft aux Loges-en-Josas, baptisé Midori no Sato (colline de la fraîche verdure) est lui, une réalisation japonisante à part entière.
Les propriétaires n’hésitent pas à importer des pavillons en pièces détachées et faire venir la main d’œuvre voulue pour en assurer le remontage correct.
Il en est de même des jardiniers japonais dont on ne saurait se passer pour tailler convenablement les végétaux mis en scène.
Emballés par Hokusaï
Le journal des Goncourt et plus particulièrement sa seconde partie, rédigée par Edmond, nous livre quelques anecdotes artistiques ou horticoles fort significatives…
Leur intérêt pour l’art de l’estampe est la découverte de l’imprimeur parisien Delâtre de plusieurs œuvres d’Hokusaï miraculeusement sauvées d’un usage iconoclaste (emballage de porcelaines de Chine !).
Edmond de Goncourt nous relate des démonstrations de peintures japonaises chez la princesse Mathilde. Il nous apprend également que le singulier Robert de Montesquiou avait acquis, fait rarissime pour l’époque, une collection de bonzaïs[12].
Quant aux peintres, ils s’emparent avec enthousiasme des estampes d’Hokusaï et autres Hiroshige. Ils en rassemblent des collections, explorent et réinterprètent le japonisme[13]
La fin du XIXe siècle verra aussi la littérature et la musique s’emparer d’un exotisme nippon reconstruit (1887 : Pierre Loti, Madame Chrysanthème ; 1904 : Puccini, Madame Butterfly) alors même que le Japon, dont les élites se forment en Europe a déjà atteint une expertise industrielle et militaire lui permettant d’anéantir la flotte Russe à la célèbre bataille navale de Tsushima (28 mai 1905) et que, dans un registre plus pacifique, les étudiants japonais ont déjà acquis les techniques de microbiologie auprès de Koch.
C’est finalement l’Art nouveau et tout particulièrement l’Ecole de Nancy qui réalisera pour les jardins la meilleure synthèse de l’Orient et de l’Occident. Mais c’est une autre histoire…
La France a également influencé le Japon. Voir en annexe la lettre du 11 avril 2011 d'Alain Durnerin à Melle Yoko MIZUMA, sur les auditeurs libres japonais à l'Ecole Nationale d'horticulture de Versailles.
Outre la Revue horticole, principalement pour les années allant de 1878 à 1900 et recouvrant ainsi trois grandes expositions universelles, on consultera avec intérêt les Annales de la Société Nationale d’Horticulture de France, ainsi que le Journal des Goncourt dans lequel Edmond nous livre de très intéressantes observations sur divers aspects du japonisme.
Parmi les documents annexés à ce dossier, on pourra consulter quelques éléments iconographiques choisis par l’auteur dans les revues d’époque, ainsi qu’une relation de la visite qu’Edouard André fit au Colonel Siebold en 1865, un essai d’Elie-Abel Carrière sur l’horticulture japonaise présentée à l’exposition universelle de 1878 et une appréciation formulée par Decaisne sur la précision botanique du graphisme japonais…
[8] La maison HAYASHI et Cie, importation de produits horticoles japonais ouvre ses portes à Londres dès 1884 (Revue horticole, 1884, p. 459)
[9] La maison Vilmorin rebaptise ainsi une pivoine japonaise ‘Comtesse d’Estienne d’Orves’ (Revue Horticole, 1898, p. 327).
[10] Démonstrations d’art floral japonais à la SNHF en 1897 par madame Marimoto (Revue horticole, 1897, p. 303 et 399).
[11] Journal des Goncourt, mercredi 6 novembre 1878.
[12] Journal des Goncourt, 1891, mardi 7 juillet 1891.
[13] Selon René Huygues (La relève du réel, Flammarion, 1974), Van Gogh découvrit les estampes japonaises à Anvers où les marins venus d’extrême-orient en débarquaient des quantités, parfois des ballots complets servant de lest ! Il relate également avoir connu à Dieppe un vieux pêcheur qui, enfant, rôdait autour des bateaux à quai pour obtenir quelques-unes de ces merveilleuses images chatoyantes de couleurs. Manet collectionnait aussi les estampes.