Jacques Derly, un passionné de nature
Jean-François Coffin
« Je suis né près de la ville des bêtises », avoue Jacques Derly avec un petit air malin et ses yeux bleus pétillants. Ce fils d’agriculteur du Nord a vu le jour non loin de Cambrai. Son parcours dans le domaine de la pépinière et de la jardinerie a marqué le monde de l’horticulture. Sa passion pour les animaux et la nature est toujours aussi vive aujourd’hui où il arbore ses 83 printemps avec superbe.
Ses parents ont joué un rôle important dans son parcours, en particulier son père agriculteur qui ne lui a jamais accordé un seul compliment. On dirait aujourd’hui que le petit Derly a été élevé « à la dure » mais il ne le regrette absolument pas, au contraire. Dès son plus jeune âge, il a compris que, pour progresser, il ne fallait pas être rivé à son territoire, comme le lui a fait comprendre son père. Voulant agrandir son exploitation, ce dernier ne trouvant pas de terrain à un prix abordable dans le Nord, vend sa ferme pour en acheter une de 240 hectares en Normandie, dans le Vexin, pour le même prix mais deux fois plus grande.
Poussé par ses parents
A l’âge de 17 ans, se pose pour Jacques Derly la question « quelle voie prendre ? » Ses parents, voyant son intérêt pour les végétaux et soutenus par un ami pépiniériste le poussèrent dans la voie de la pépinière à une époque où le marché était en plein croissance, « alors que je ne savais pas faire la différence entre un bouleau et un tilleul ». Son père met en pépinière une parcelle de 6 ha dans le but de la lui céder après ses études. Car pas question de se mettre à travailler sans avoir un bagage. Jacques Derly intègre donc l’école d’ingénieurs horticoles de Versailles, l’ENSH, d’où il en sort 4e sur 41. Vient le service militaire qui a marqué sa vie, en choisissant les EOR (officiers de réserve) d’où il en sort sous-lieutenant. « Là, j’ai appris le management social, la psychologie humaine. Un dirigeant doit être honnête, juste, proche des hommes mais sans excès pour ne pas rompre l’efficacité. » Retour à la vie civile. Son père lui vend sa parcelle de pépinière, non pas qu’il soit un mufle, mais dans un but pédagogique. Et Jacques de se mettre à la recherche de crédit auprès des banques. A l’époque, celle des fameuses trente glorieuses, il était plus facile de trouver du crédit qu’aujourd’hui ! L’entreprise prend progressivement de l’ampleur.
Les voyages forment la jeunesse
Voyager, aller voir ailleurs ce qui s’y passe et en rapporter des idées est un leitmotiv. Il invite les promotions de l’ENSH chez lui non pas pour parler pépinière mais gestion d’entreprise, point faible de l’enseignement. En 1964, élu président du cercle national des jeunes horticulteurs et pépiniéristes, il organise pendant 10 ans des voyages aux USA (ses seules vacances…) « pour les faire sortir de leur coquille ». Lui-même se donne un mot d’ordre : au retour, retenir quatre idées à appliquer dans l’entreprise. Le concept de « jardinerie » vient de là et il en crée une en 1966, la troisième en France ! Il a même fondé, par la suite, la première centrale d’approvisionnement des jardineries, Tripode, reprise plus tard par Jardiland.
Je dois quitter ma Normandie
En 1975, Jacques Derly est à la tête d’une pépinière de 100 ha en Normandie, employant 120 personnes. A l’époque, on commence à parler de la crise de l’énergie qui se dessine, de la concurrence avec les pays de l’Union Européenne qui va s’accroître. Alors comment rivaliser avec les pays comme l’Espagne, le Portugal ou l’Italie bénéficiant d’un contexte climatique et de nature du sol beaucoup plus favorables ? Pourquoi s’entêter à produire de la pépinière en Normandie, région humide, à la terre fréquemment gorgée d’eau retardant souvent les travaux, avec des températures peu clémentes?
C’est lors d’un voyage aux USA que le déclic s’est produit. Jacques Derly y a vu des pépiniéristes dans l’est du pays ne pas hésiter à déménager à plusieurs milliers de kilomètres pour trouver de meilleures conditions de production. Il décide d’en faire autant en France, « là où l’on considère que cela est impossible et qu’il faut être cinglé ne serait-ce que d’y penser ? ». Il prospecte en Camargue, vallée du Rhône pour finalement porter son dévolu dans les Landes. « J’y ai trouvé un biotope idéal tout en me demandant pourquoi il n’y avait pas de pépinières ? » Il achète 200 ha près du bassin d’Arcachon et se dit « super, l’Angleterre a un marché déficitaire, je vais faire la pige aux Espagnols ! » Il a même impliqué ses cadres dans ce projet en les faisant voter. « Sur les seize, quinze on été favorables ! ». Anecdote qu’il savoure : un congrès professionnel se déroule dans le coin en 1979. Jacques Derly invite à cette occasion une centaine de pépiniéristes à visiter son entreprise. Le lendemain, le président de la fédération lui dit : « 50% ont bien dormi, les autres très mal. Les premiers sont sûrs que tu vas te casser la figure, les seconds sont certains que tu vas réussir »
Peu de loisirs mais des passions
Arrivé à 77 ans, Jacques Derly décide de vendre son entreprise qui a atteint une dimension internationale. Il conserve cependant deux jardineries. Son bonheur est de voir aujourd’hui ses deux enfants en reprendre les rennes, eux qui avaient emprunté un tout autre chemin professionnel que leur père. Son métier ne lui a pas laissé beaucoup de loisirs, quand on lui demande quels sont ses hobbies en dehors de son entreprise. Ses passions ont été orientées vers la nature : le golf, la pêche et la chasse dont il explique son goût par l’atavisme et de préciser aussitôt « chasse dans le bon sens du terme : je ne tue que dix animaux quand j’en fais naître 100 ! ». Il a en parallèle assumé de nombreuses responsabilités, notamment dans des organismes professionnels. « J’ai eu beaucoup de chance, avec un très gros privilège : ne pas être issu de la pépinière, donc sans le handicap des traditions, des habitudes », souligne ce patron pour expliquer en partie la réussite de son entreprise. Il n’a pas de regrets même s’il reconnaît avoir commis des erreurs. Il déplore cependant avoir dépassé la limite d’âge de 80 ans pour être actif à l’Académie d’Agriculture dont il est correspondant. C’est le règlement ! Il le comprend et le respecte ! S’il a abandonné son activité professionnelle, il est toujours prêt à donner de conseils mais « si on me le demande ». Pour lui qui a eu des idées nouvelles, voire révolutionnaires durant sa carrière, « innover à mon âge, ce serait de mauvais goût ». Pas si sûr… Et malgré sa volonté de modestie, on décèle bien chez Jacques Derly une petite fierté. Quoi de plus normal ?
- On connait Jacques Derly comme le pionnier du conteneur, activité qu’il considère presque secondaire dans toute sa vie professionnelle. Il revient de son premier voyage aux USA avec l’idée du conteneur qu’il met en place en France en 1964, laissant ses collègues dubitatifs. Il achète 5 000 récipients métalliques à la cantine Renault de Flins, grands pots de confiture destinés à la décharge. Il y cultive des végétaux de pépinières comme des plantes en pot. Sa méthode est décriée pendant plus de trois ans par les plus grands pépiniéristes de l’époque ! Le conteneur a conquis aujourd’hui toute l’Europe.
- Une de ses réussites est le Ginkgo biloba, l’emblème de la maison. Jacques Derly est devenu maitre de sa culture, avec une très grande rigueur dans la sélection. Un spécimen atypique a été repéré dans la production, avec un port pyramidal. Il est aussitôt protégé et multiplié, spécialement produit pour les petits jardins et baptisé «Ginkgo biloba fastigiata ‘Blagon’», un des fleurons de la pépinière.
Bonjour Monsieur Jacques DERLY,
Je suis un de vos anciens stagiaire-d’octobre 1975 à mai 1977.
J’ai beaucoup appris sur le métierà votre contact durant les nombreuses heures de vente dans le « Hall des végétaux »!
J’ai beaucoup aimé que vous m’aviez accordé de votre temps lors de mon départ de votre entreprise,j’ai mis en valeur les conseils que vous m’aviez prodigués!
Monsieur,je vous aime et je vous estime et regrette de n’avoir eu qu’un seul patron comme vous durant toute ma vie !!!
Bonne vie et à une future rencontre là haut!
JACQUES BROCAIL
Cela me fait très plaisir de trouver sur le web mon vieil ami Jacques Derly. Nous étions de la même promotion à Versailles. Jacques a accompli une très belle carrière. La dernière fois que nous nous sommes rencontrés, c’était en Aquitaine, j’étais avec mon ami Guy du Boisdulier, décédé depuis. De mon côté, j’ai exercé pendant 17 ans au jardin des plantes de la faculté de médecine de Montpellier, puis j’étais enseignant chercheur, chargé de la conservation des collections botaniques (surtout botanique tropicale) au Muséum national d’histoire naturelle à,Paris, cela pendant vingt-trois ans.
J’aurais bien sûr grand plaisir à recevoir des nouvelles récentes de Jacques Derly. Je vis avec mon épouse, à Fontainebleau.