Jacques Aubourg
Jean-François Coffin
Sauveur de patrimoine génétique
Rien ne laissait supposer qu’un jour Jacques Aubourg deviendrait une figure de la sauvegarde de notre patrimoine génétique, de la pomme à la poire, en passant par la vigne, les légumes et même les animaux de la ferme. Et quand on lui demande de raconter son histoire, difficile de l’arrêter tant il a de choses à dire !
Tout a commencé lors de la rédaction de sa thèse, dans les années 70. Cet ancien enseignant, maître de conférences à l’université d’Angers, âgé aujourd’hui de soixante cinq ans, avait décidé de se mettre au vert pour se changer les idées. Il le fit dans un terrain hérité de sa famille, dans le Bas-Berry, le pays de George Sand. Et là de découvrir un monde insoupçonné : celui des pommes. « Les pommiers locaux étaient magnifiques et leurs pommes délicieuses ! » Mais la plupart poussaient à l’état quasi-sauvage, de plus en plus négligés par les anciens. « Ce patrimoine formidable de variétés locales était abandonné progressivement au profit de variétés destinées aux supermarchés, tandis que les variétés de pays étaient abandonnées aux lapins et aux oiseaux. Lorsque j’étais gamin, on en faisait du cidre et on gardait les plus beaux fruits pour la conservation d’hiver ».
Un trésor à sauver
Il s’est vite rendu compte que les arbres achetés chez les pépiniéristes et plantés dans la région donnaient de mauvais résultats et que les variétés locales étaient meilleures pour les amateurs. « Je voulais des arbres poussant le plus naturellement possible ». Alors il se met en quête de ces variétés auprès des anciens et les greffe sur des sauvageons qu’il a plantés. « Et ça a marché ! » Il fallait sauver ce trésor ! En 84, il crée la Société pomologique du Berry*, organise les Journées de la pomme de Neuvy-Saint-Sépulcre où sont présentées côte-à-côte plusieurs dizaines de variétés de fruits locaux. « Ce fut une révélation pour les visiteurs, alors que ce genre d’expo se faisait déjà dans d’autres régions, notamment par les Croqueurs de Pommes*, sans que nous le sachions ». La création d’un verger conservatoire de pommiers locaux s’impose, ces fruitiers dispersés sur les haies étant menacés par l’indifférence et la destruction par les bulldozers. « Il fallait mettre en sécurité ces variétés anciennes avant qu’elles ne disparaissent à jamais ». Le projet aboutit en 85 : le verger de conservation est créé sur la commune de Neuvy-Saint-Sépulcre, avec une cinquantaine de variétés de pommiers mais aussi une quinzaine de poiriers. Succès total avec augmentation du nombre d’adhérents – l’association recense aujourd’hui 800 sociétaires - et du nombre de visiteurs. Jacques Aubourg cite comme exemple le succès de la pomme « Belle Fille de l’Indre » qu’il estime en mesure de reconquérir les marchés locaux, « sans ambition d’aller jusqu’à Rungis ! »
Du pépin au noyau
Devant ce succès, vient à Jacques Aubourg l’idée de planter à proximité un verger école pour diffuser la technique de la greffe auprès des amateurs, le verger conservatoire étant conçu « non pas comme un sanctuaire mais comme une usine à greffons, pour produire du beau bois de greffe ». Parallèlement est créé un atelier de pasteurisation de jus, boisson fort appréciée. « Il a contribué à redorer l’image de marque de ces variétés locales dont l’aspect ne correspond pas aux standards de supermarchés. Notre démarche a incité les habitants à de nouveau ramasser les fruits des anciens pommiers ». Jacques Aubourg et son équipe, apparemment dopés par le succès de ce verger mais aussi sûrement découvrant d’autres patrimoines à protéger, s’intéresse aux autres fruits comme la cerise, telle la « Petite joue vermeille » dont le seul nom est déjà savoureux. Un verger de fruits à noyau est alors créé.
Une vigne conservatoire
La vigne ne pouvait être ignorée. « Des vignes étaient encore cultivées par des particuliers pour leur consommation de vin personnelle, avec une diversité variétale considérable, hors zone d’appellation. Or, l’on voyait disparaître les paysans-vignerons les uns après les autres, ce patrimoine viticole disparaissant avec eux. Il fallait le sauver ». Avec Robert Guillot, un ancien de l’Onivins, l’Office national interprofessionnel des vins, Jacques Aubourg parcourt les vignes de la région. Ils recensent 106 cépages différents pour les seuls départements de l’Indre et du Cher. « On a même retrouvé en 1994, près d’Issoudun, quatre pieds d’un cépage que l’on croyait disparu à jamais : le Genouillet ». Mais, en France, ne peut planter des vignes qui veut et comme il veut. Il faut l’autorisation des autorités. Malgré tout, elles tolèrent que quelques pieds soient installés dans une vigne conservatoire qui est créée en 1992 sur la commune de Tranzault. Parallèlement, des démarches sont entamées pour inscrire ce cépage au catalogue officiel qui l’ignorait. « Après beaucoup d’obstination et de patience, le Genouillet est inscrit en 2011 ». Dès 2012, un demi-hectare est officiellement planté. « Huit candidats sont en attente pour en planter à leur tour, quand nous pourrons fournir le bois de greffe en quantité suffisante. Mais que les producteurs de Saint-Emilion se rassurent, nous n’allons pas les concurrencer ! » Et d’avouer : « le Genouillet est devenu mon chouchou ».
De l’URGB à l’URGC
Jacques Aubourg quitte en 1998 la présidence de la Société de pomologie du Berry pour se consacrer à la création d’une autre association, l’URGB, Union pour les ressources génétiques du Berry. Son objectif est de regrouper toutes les associations dont le but est de sauvegarder et surtout relancer des variétés végétales ou des races fermières locales comme la « Poule noire du Berry » ou « l’Ane grand noir du Berry ». Depuis mars 2013, l’association a élargi son territoire en devenant l’URGC, Union pour les ressources génétiques du Centre*, qui est soutenue par la Région et l’Union Européenne. Jacques Aubourg en est le président. On se demande où il va s’arrêter dans ses projets ! Le dernier a été la mise en place d’un conservatoire du châtaignier sur la base d’un recensement des variétés locales. Il avoue « c’est par gourmandise que je m’intéresse aux variétés de terroir de fruits et de légumes ».
Les légumes aussi
Faire connaître des légumes rares, en promouvoir la culture et la vente : telle était la mission du " Club Jardins d'antan " lancé par Jacques Aubourg en 1986 à Tranzault. Pendant 25 ans, cette association a organisé le deuxième dimanche d’octobre une " Foire aux Potirons et légumes rares ". C’est là, dans sa commune, que Jacques Aubourg a fait connaître la courge Sucrine du Berry.
« J’ai la fierté d’avoir sauvé cette courge. Aujourd’hui, elle est adoptée par les meilleurs restaurateurs locaux et arrive en restauration collective ! »