Hortillonnages d’Amiens. Un potager embarqué
Jean-François Coffin
Des légumes qui poussent dans des barques : cela peut paraître insolite ! Mais il s’agit du parti pris d’un jeune paysagiste, Florent Morisseau, invité à participer au festival Art, villes & paysages dans le cadre des hortillonnages d’Amiens, jadis surnommés « la Venise des légumes ». Destiné à être éphémère, l’espace d’une saison, la qualité de ce « potager embarqué » lui a permis d’être pérennisé depuis trois ans. Vous pouvez donc encore le visiter…
Il faut d’abord prendre une barque pour se rendre dans le jardin créé par Florent Morisseau. Il se trouve sur l’un des multiples îlots constituant les hortillonnages d’Amiens, site composé d’eau, de canaux, d’îlots flottants. Florent fait partie des jeunes paysagistes de moins de 35 ans invités à concourir au festival, « Art, villes & paysages », organisé par la Maison de la culture d’Amiens. « Tout en étant un lieu de soutien à la jeune création, le festival permet aux artistes de questionner les liens qui nous unissent à la nature, de réfléchir sur ces espaces en mutation et de porter un regard différent, curieux et parfois provocateur sur ce site exceptionnel », précisent les organisateurs. Fort de ce concept, Florent Morisseau a laissé libre cours à son imagination, en collaboration avec Grégory Morisseau, tous deux artistes paysagistes issus de l’Ecole du Paysage de Blois.
Réhabiliter le marais
« Le marais est un lieu où l’homme a été fabricant de terre ferme » : d’emblée, Florent Morisseau cite Lamartine en introduction à la visite de son jardin où l’on vient à peine de débarquer. C’est toute l’histoire du marais qu’il veut réhabiliter dans un contexte moderne. « Jadis impénétrable et longtemps considéré comme insalubre, les hommes ont su assurer sa mise en valeur : ils ont assaini, drainé, défriché les terres sorties de l’eau et les ont mises en culture pour en faire un véritable atout de développement. Ils les ont sculptées pour les rendre utiles et accueillantes ».
C’est ce processus qu’a voulu reconstituer le paysagiste en concevant son jardin.
De la friche aux légumes
Mais le projet de Florent Morisseau est aussi de le replacer dans un contexte actuel d’évolution de la société et de l’agriculture en particulier. « Il faut retrouver la légitimité nourricière des hortillonnages », précise-t-il. D’où le clin d’œil voulu pour associer à nouveau le « produire local » et le « consommer local », pour montrer que du marais à la ville, il n’y a qu’un pas, « surtout si ça flotte » !
Une conception en six séquences
Le jardin est composé en six séquences rappelant le processus de maîtrise d’un marais.
L’endroit où l’on débarque constitue la première séquence. Il est constitué d’un boisement en friche reconstitué, état originel du lieu, ici une « saulaie » (1). Puis l’on chemine progressivement vers la deuxième séquence, un espace de plus en plus maîtrisé, avec l’usage du « plessage », technique traditionnelle de taille des haies vives. « Une haie plessée est constituée en fendant les troncs des arbustes qui la constituent à proximité du sol. Les arbustes ainsi fendus sont ensuite inclinés et tressés avec des piquets espacés de 40 cm ou bien avec certains arbustes laissés verticaux », explique le dictionnaire Wikipédia (2). La troisième séquence se compose d’une parcelle de neuf carrés jardinés dans un labyrinthe de fascines en constituant l’ossature. Dans chacun de ces carrés sont plantées des variétés spécifiques de légumes, fleurs ou plantes aromatiques (3). Dans la séquence quatre, la trame végétale devient un labyrinthe composé de terre et d’eau (4). La phase cinq représente les réseaux d’eau et de barques cultivés (5). Enfin, la séquence six est l’aboutissement : des barques où sont plantés les légumes évoquant les jardins flottants, point final du cheminement depuis la friche de départ (6). Et Florent Morisseau de conclure la visite de son potager embarqué : « Ainsi naissent et vivent les légumes, de l’empilement de la terre et de l’eau, mobiles, du marais au marché. Consommer rime avec récolter et faire son marché, c’est comme partir en cueillette ! »
12
34
56
Répartis sur les communes d'Amiens, Rivery, Camon et Longueau, ces 300 hectares de terres alluviales constituent un site privilégié pour la culture maraîchère. Un sous-sol argileux, recouvert d'un mélange de limons et de tourbe déposés par le fleuve Somme donne une terre extrêmement fertile et riche permettant plusieurs récoltes par an. C'est ainsi que naturellement nos ancêtres les romains se sont installés sur ce site pour leurs cultures.
Hortillonnages et Hortillons
Au début du XXe siècle, un millier de maraîchers, les Hortillons, vivaient de la culture des légumes et des fruits dans les Hortillonnages. Chaque hortillon accède à sa propre parcelle de terre par des petits canaux appelés "les rieux"; il se déplace dans une barque longue d'une dizaine de mètres - le "batieu" - dont les extrémités sont relevées en cornet permettant d'accoster sans détériorer les berges.
Enfin, la préparation de la production maraîchère et la vente de cette production conditionnent également la vie de l'hortillon. En effet, 3 jours par semaine avait lieu à Amiens un grand marché sur la quai de la Place Parmentier au pied de la Cathédrale. La veille du marché, le maraîcher et sa femme chargeaient leur "batieu" jusqu'à ce qu'il soit plein "à rond" avec des mannes remplies de fruits et légumes. Chaque bateau pouvait accueillir une centaine de mannes. Les productions étaient ensuite conduites à quai et vendues...par l'hortillonne. A l'époque, c'était plus un marché de gros - pour commerçants et revendeurs - qui alimentait même les Halles de Paris
Source : Somme tourisme, http://www.somme-tourisme.com