Hormones végétales, régulateurs de croissance et horticulture (partie II)
Noëlle Dorion
Le développement[1] d’une plante qui recouvre à la fois la naissance et la croissance des organes, ne se fait pas au hasard ni de façon anarchique. Il existe un système de régulation que l’on soupçonnait déjà complexe dans la seconde moitié du 20ème siècle et qui se révèle de jour en jour encore plus complexe tout en commençant à livrer ses secrets. Ce développement harmonieux et reproductible est rendu possible grâce à des messagers chimiques internes à la plantes qu’on appelle hormones végétales ou phytohormones. Dans le numéro précédent ont été abordées les Auxines et les Gibbérellines. Nous présentons ici les Cytokinines, les Brassinostéroides, l’Acide Abscissique et l’Éthylène.
L'éthylène est une hormone qui influe sur la maturation des fruits comme les pommes - © J.-F. Coffin
Les Cytokinines
En 1941, Van Overbeek et les premiers cultivateurs de tissus végétaux à la recherche de substances capables d’entretenir la croissance des explants[2]in vitro, ont découvert l’effet stimulateur du lait de coco. Le souci d’élucider cet effet et le développement de la culture in vitro aboutissent en 1955 (Skoog et coll) à l’isolement de la première cytokinine[3] dénommée kinétine et extraite de sperme dégradé de hareng. La zéatine est la première cytokinine naturelle connue. Elle est issue de l’endosperme de maïs (1961). Depuis, beaucoup d’autres ont été identifiées dans les plantes, en particulier la kinétine et la benzylaminopurine (BAP) dont les molécules synthétiques sont bien connues des cultivateurs de tissus. Curieusement, ces petites molécules (dites adénines substituées) contiennent, comme les nucléotides d’ADN et d’ARN, de l’adénine (base azotée purique). Les cytokinines sont produites préférentiellement dans la racine d’où elles migrent vers les différents organes. Récemment, des synthèses et des effets locaux ont été mis en évidence dans les zones en croissance, sous l’influence de l’auxine. Les cytokinines favorisent la division et la croissance cellulaires. Elles ne sont efficaces qu’en coopération avec les auxines. Elles stimulent l’initiation des jeunes pousses : ramifications ou néoformations dans la nature comme en culture in vitro. Pour cette raison, on trouve une cytokinine (BAP) associée à la préparation commerciale de GA (4 + 7) pour favoriser la ramification, donc à terme la fructification, chez le pommier. Le développement considérable des cultures in vitro et de leurs applications en horticulture doit beaucoup à l’utilisation des cytokinines et au dogme découlant des travaux de Skoog sur les cultures de tissus de tabac. Dans un milieu de culture in vitro, la prolifération des cellules se fait sous forme de cals si le rapport cytokinine/auxine est équilibré (Figure 1). Si ce rapport est élevé, les cellules se différencient pour donner des pousses feuillées (Figure 1) et, si le rapport est faible, ce sont plutôt des racines qui apparaissent. Ce dogme est à la base du développement de la micro propagation commerciale in vitro, qu’il s’agisse de culture des méristèmes pour l’assainissement des plantes, ou de multiplication accélérée (Figure 2).
1: Figure 1 : bourgeons et cals de tomate - © N. Dorion
2: Figure 2 : micropropagation de ciste (Cistus purpureus) - © N. Dorion
Les Brassinostéroides
Il s’agit de la catégorie la plus récente d’effecteurs de croissance. Le premier brassinostéroïde a été extrait du pollen de colza (Brassica napus) dans les années 70. Ces molécules sont reconnues comme phytohormones par la communauté scientifique depuis 2006 environ, bien qu’on n’ait pas mis en évidence de signalisation à distance. Il s’agit de composés stéroïdiens issus des stérols végétaux et, pour cette raison, c’est le seul groupe d’hormones végétales ayant une structure proche de celle des hormones animales. Leur étude a bénéficié des progrès de la génétique et de la physiologie moléculaires[4] qui ont permis d’élucider rapidement un grand nombre d’actions. Certaines sont du même type que celles des auxines et des gibbérellines mais peuvent se manifester de façon indépendante. Parmi les effets recensés, il faut noter une stimulation de la photosynthèse et de la ramification qui conduit à une augmentation de la biomasse, une précocité de floraison, une augmentation de la fertilité mâle ainsi qu’un remplissage et une qualité des semences améliorés. Autant de facteurs qui influencent positivement les rendements. De plus, des effets sur la limitation de nombreux stress (sécheresse, salinité, maladies, ombrage,…) ont été mis en évidence. Est-on en face de molécules « miracles » ? Il est encore trop tôt pour le dire. Mais les chercheurs imaginent déjà qu’il sera possible de mieux maîtriser le rendement et la résistance des cultures soit par traitement au champ avec ces molécules, soit en sélectionnant des variétés naturellement plus productrices ou plus sensibles aux brassinostéroïdes.
[1] On regroupe sous le terme de développement différentes phases de l’évolution d’une plante telles que la bipolarisation de l’embryon, le géotropisme positif de la racine et négatif de la tige, la germination, l’apparition ordonnées des feuilles et leur croissance, la mise en place des vaisseaux et l’allongement de la tige, la régulation de la dormance, la floraison, la fructification, la sénescence…
[2] Explants : petits fragments extraits d’une plante ici cultivé in vitro
[3] Cytokinine, de cytokinèse : multiplication cellulaire via la séparation des cellules filles
[4] En particulier l’étude des mutants déficients ou insensibles aux brassinostéroïdes
L’Acide Abscissique
Cette hormone a été découverte de façon simultanée, en1960, par deux chercheurs Wareing (Pays de Galles) et Addicot (Californie) qui travaillaient sur deux phénomènes différents, respectivement la dormance des bourgeons et l’abscission des feuilles. La caractérisation de la molécule est effective en 1966, on lui donne le nom d’acide abscissique (ABA). Cependant, même si son rôle dans la chute des feuilles est indéniable, il n’est pas majeur. Ses lieux de synthèse sont la racine et les cellules stomatiques[5]. L’ABA est une hormone mixte : d’une part elle joue un rôle dans le phénomène de sénescence (chute de feuilles), d’autre part elle se comporte comme un inhibiteur de croissance anti stress. Ainsi, dans une réaction rapide et localisée, elle contribue à la fermeture des stomates en cas de stress hydrique. On la trouve accumulée dans les bourgeons et dans les graines dormantes contribuant à la protection de leurs structures pendant la mauvaise saison. Elle disparaît quand la dormance est levée. Dans ce cas précis elle a un rôle antagoniste des GAs. Peut-être à cause de ses effets mixtes, mais surtout à cause de son prix de fabrication, l’ABA n’a pas à ce jour d’application horticole.
Figure 3 : enracinement de Ciste : croissance et enracinement favorisés sur le milieu contenant du charbon actif (piège à éthylène) - © N. Dorion
L’Éthylène
L’Éthylène est un gaz (C2H4) dont les effets sur les végétaux sont connus depuis la fin du 19ème siècle lorsqu’on observait la sénescence et la chute anticipée des feuilles d’arbres à proximité des becs de gaz. C’est après qu’on ait eu la preuve de sa synthèse par les plantes (1969), grâce à la chromatographie en phase gazeuse, que l’éthylène a acquis le statut d’hormone. C2H4 est synthétisé au niveau des fleurs, des fruits, des feuilles âgées et des graines. Puisqu’il s’agit d’un gaz, la signalisation à distance se fait dans la plante mais aussi à l’extérieur vers des plantes ou des organes voisins. Les concentrations efficaces sont extrêmement faibles. Comme l’ABA, C2H4 est une hormone à effets mixtes promoteur ou inhibiteur du développement. D’un côté elle participe à l’induction florale et est utilisée en tant que telle pour la mise à fleurs des broméliacées ornementales ou fruitières comme l’ananas. Elle est impliquée dans le déterminisme sexuel (fleurs femelles, mâles ou hermaphrodites) en particulier chez les cucurbitacées (concombre, melon, courge). Elle contrôle la maturation puis la chute et la sénescence des fruits. C’est pourquoi, les professionnels essaient de s’en débarrasser pour prolonger la période de conservation (pommes, poires,…), ou au contraire de l’utiliser pour homogénéiser la maturation (tomate et agrumes) et faciliter la récolte des cerises. D’un autre côté, c’est une hormone de stress. Synthétisée en situation défavorable, elle peut accélérer la sénescence (cas des fleurs coupées), et limiter la croissance face au vent ou l’augmenter en zones fréquemment inondées assurant ainsi la survie de la plante. En fonction de son objectif, le professionnel a maintenant à sa disposition des molécules comme l’éthéphon qui libère de l’éthylène après hydratation ou au contraire le 1-MCP (1-methylcyclopropène) qui est un inhibiteur gazeux de l’action de l’éthylène. Contrairement aux nanifiants qui bloquent la synthèse des GAs, le 1-MCP agit dans la dernière phase du transport empêchant C2H4 de se fixer sur ses récepteurs. Ce produit est homologué en France sur certains fruits climactériques (poires, pommes, kiwis, nashis,...)[6], mais il est aussi très efficace et homologué par exemple aux USA, pour protéger les fleurs coupées lors du transport hors des zones de production. Il est utilisé en complément des autres méthodes physiques appliquées au niveau des emballages ou dans les chambres de conservation : froid, atmosphères appauvries en oxygène et enrichies en CO2, ventilation associée, pièges à C2H4 (Figure 3).
Figure 4 : l'Ethylène est impliqué dans le nanisme des plantes. Ici, l'influence du vent sur la croissance des pins maritimes - © N. Dorion
Revenons sur l’effet du vent. Par exemple, dans les zones ventées du littoral, les pins maritimes sont d’autant plus grands et moins tortueux qu’ils sont loin de la mer ou protégés par deux ou trois cordons de dunes (Figure 4). De nombreuses études montrent que l’éthylène est impliqué dans ce nanisme. Par exemple, en 1994, des chercheurs travaillant sur un écotype montagnard de Stellaria longipes ont prouvé que le nanisme du au vent peut être annulé en traitant les plantes par un inhibiteur d’action de l’éthylène ici le thiosulfate d’argent. Or un enjeu majeur de la pratique horticole actuelle est la limitation de l’utilisation des produits chimiques. Ainsi, au lieu d’utiliser les nanifiants ou l’éthéphon pour limiter le phénomène d’étiolement, on peut tenter d’appliquer une ventilation. Cette méthode est déjà pratiquée en production sous abris de jeunes plants de légumes destinés aux particuliers.
Un enjeu majeur
Dans les lignes qui précèdent, nous avons focalisé notre attention sur les hormones, le résultat de leur action et leurs applications agronomiques bien établies pour cinq d’entre elles, en devenir pour les brassinostéroïdes. Cependant, un enjeu majeur est la réduction des intrants en horticulture et deux voies sont possibles : on continue de les utiliser mais en limitant les doses et en ciblant très précisément le phénomène à maîtriser ou on crée des variétés dont le développement est optimisé en fonction de l’objectif agronomique. Dans les deux cas, il faut connaître le mieux possible l’étape de signalisation, c'est-à-dire la cascade d’évènements moléculaires et cellulaires qui conduit des récepteurs membranaires à l’effet physiologique en passant par l’activation des gènes. Depuis une vingtaine d’années, les chercheurs travaillent activement sur ce sujet. Les résultats sont spectaculaires, tous les récepteurs ont été identifiés de même qu’une partie des gènes activés ou réprimés au cours de cette étape de signalisation. Il en résulte l’apparition de relations complexes, jusqu’alors insoupçonnées, entre les différentes hormones. Par exemple, il est clair maintenant que toutes les « vieilles » hormones ont un rôle à jouer dans les situations de stress biotiques (maladies, ravageurs) ou abiotiques. Toujours concernant les stress, les chercheurs ont mis en évidence des molécules qui, même si elles ne sont pas toujours reconnues comme hormones, y ressemblent beaucoup. Il s’agit de l’acide jasmonique et de ses dérivés (jasmonates) dont certains sont gazeux (methyljasmonate) et de l’acide salicylique si proche de notre aspirine (acide acétylsalicylique). L’acide jasmonique est impliqué notamment dans les réactions de défenses contre les parasites nécrotrophes qui tuent les cellules végétales avant de se nourrir et contre les insectes herbivores mais aussi dans la résistance à la salinité. L’acide salicylique intervient dans le phénomène de « résistance systémique acquise », phénomène par lequel une plante est protégée non seulement d’une première attaque mais des suivantes, en particulier contre les parasites biotrophes.
Pour en savoir plus et mieux comprendre ces signaux (« paroles ») qui déterminent le développement harmonieux et la défense des plantes, la SNHF organise en mai 2014 à Paris, son colloque scientifique intitulé « Quand les plantes se parlent ».
A lire...
- Partie 1 : dans le numéro précédent
- http://www.ressources-pedagogiques.ups-tlse.fr/physiologie-vegetale/M8G08/CHAPITRE%20III.pdf
Biologie (tout le cours en fiches) 2ème édition sous la Direction de Daniel Richard, éd. Dunod, p 420-433
[5] Un stomate se compose d’un orifice de petite taille (ostiole) entouré de deux cellules particulières de l’épiderme des végétaux, le plus souvent à la face inférieure des feuilles. Il assure les échanges gazeux entre la plante et l’air ambiant. En cas de stress hydrique, les cellules stomatiques changent de forme et ferment l’ostiole, limitant l’évaporation de l’eau par la plante
[6] Les fruits climactériques, de même que certaines fleurs coupées (œillet,..), produisent naturellement une importante quantité d’éthylène lors de la maturation. De plus, ils sont très sensibles aux pollutions extérieures par l’éthylène qui déclenche prématurément cette synthèse endogène et la sénescence. On sait aujourd’hui que la maturation des fruits dits non-climactériques (cerise,..) est aussi sous contrôle de l’éthylène.
janvier-février 2014
j’aimerais savoir a quel moment(condition défavorable avant et après) utiliser ses hormones AIA,GA3,cytokinine,ABA