Histoire d’un livre
Pierre Lemattre
En 1826 était publié, par Louis-Claude Richard, un traité sur les Confères et les Cycadées qui a été a son époque reconnu comme la somme des connaissances dans ce domaine. Cet ouvrage a été publié à titre posthume par son fils, Achille, qui voulait rendre hommage à son père.
Les Richard
Louis-Claude et Achille sont les derniers maillons de sept générations de jardiniers-botanistes qui travaillèrent dans les jardins royaux, d’abord à Saint-Germain, puis à Versailles lors de la création du parc par Le Notre. Sous Louis XV, Claude, jardinier à Trianon, fut remarqué par Jussieu qui l’initia à la botanique. Disciple studieux et passionné, il transmit à ses enfants non seulement son savoir, mais aussi son sens de l’observation et sa curiosité. Son fils aîné, Claude, quitta Versailles pour le château de la Muette, son autre fils, Antoine, resta à Trianon en charge des collections botaniques, puis participa à la création du jardin anglais de Marie-Antoinette. Claude eut seize enfants, dont l’aîné, Louis-Claude (né en 1754), d’une intelligence vive et remarquablement doué pour dessin, développa très tôt une véritable passion pour la botanique, encouragée par les nombreuses visites qu’il faisait à son oncle à Trianon. Ne voulant pas rentrer dans les ordres, il refusa la protection de l’archevêque de Paris et, à 14 ans, quitta le domicile paternel pour Paris où il vécut de la maigre pension versée par son père et de son travail de dessinateur pour plusieurs architectes créateurs de jardins. Il publia plusieurs notes à l’Académie des Sciences qui le firent remarquer par Bernard de Jussieu. En 1781, l’Académie le propose à Louis XVI pour une mission en Guyane avec promesse au retour, de remboursement des frais, d’attribution de pension et d’un poste selon ses goûts. La mission consistait à développer la culture des plantes à épices, en particulier d’Eugenia expetita (giroflier) dont les fruits, les clous de girofle, étaient alors très recherchés. A Cayenne, il se heurte au Gouverneur qui considère la production et surtout le commerce des épices comme son privilège personnel et refuse de collaborer avec un simple jardinier, même envoyé par le roi. Ne pouvant accomplir sa mission, Louis-Claude parcourt la Guyane et réalise un véritable travail de naturaliste décrivant, dessinant, récoltant tout ce qu’il rencontre au cours de ses expéditions. Mais supportant mal le climat, il quitte la Guyane et regagne la France en 1789, via les Antilles, avec un herbier de 3 000 plantes et de nombreuses caisses de coquillages, minéraux et insectes. De retour en France en pleine période révolutionnaire, Louis-Claude se trouve complètement ruiné et isolé. Il reprend ses activités de dessinateur et de botaniste, se lie avec Antoine de Jussieu qui reconnaissant ses compétences le fait nommé professeur de botanique de la toute nouvelle Ecole de Médecine de Paris. Quelques années plus tard il sera nommé Membre de l’Institut comme zoologiste, puis en 1817, élu à l’Académie Royale des Sciences. Il publie plusieurs traités, fruits de ses nombreuses observations[1]. De plus en plus handicapé, il fait appel à son fils pour le seconder dans son enseignement. Il meurt en 1821 dans une grande détresse physique.
Né à Auteuil en 1794, Achille Richard fils unique de Louis-Claude, va dès sa naissance être nourri de botanique. A la fin de l’Empire, enrôlé comme pharmacien-botaniste à Strasbourg, il contracte le typhus dont il guérira, mais en gardera une grande faiblesse. Il devient en 1815 conservateur du musée botanique de Benjamin Delessert, quelques années plus tard il est nommé démonstrateur à l’Ecole de Médecine et seconde son père dans son enseignement. Il a la charge des travaux pratiques et des excursions botaniques que son père malade, ne peut plus assurer. Il rédige et édite en 1819 un manuel de botanique destiné à l’enseignement : « Nouveaux éléments de botanique », qui sera réédité et mis à jour sept fois, puis réédité trois fois après sa mort. Il soutient en 1820, sa thèse de docteur en médecine « Histoire naturelle et médicale des différentes espèces d’Ipecacuanha » ; en 1823 il est nommé à son tour professeur à l’Ecole de Médecine. Il publie une série d’ouvrages[2] dont, en 1826 à titre posthume en hommage à son père : « Comentatio botanica de coniferis et cycadeis ». Dans l’impossibilité physique de voyager, beaucoup de ses collègues font appel à lui pour analyser et classifier les nombreux échantillons provenant du monde entier. C’est ainsi qu’il participe à plusieurs publications[3] et laisse inachevée une flore de Cuba. Il meurt en 1852 après une vie entièrement consacrée à la botanique.
Le livre
Comme il le dit fort bien dans son introduction, Achille Richard veut à la fois rendre hommage à son père et publier un ouvrage qui tienne compte des dernières avancées de la botanique. Il remercie les Botanistes français et étrangers avec lesquels son père était en relation et « qui souvent lui ont sacrifié les échantillons uniques qu’ils possédaient » pour l’aider dans son travail. Ce livre comprend deux sections : les Conifères et les Cycadées, qui se développent chacune en quatre parties suivant le même plan. Une première partie introduit chaque section par un rappel des nombreuses discussions sur la définition des genres chez les conifères et sur la place des Cycadées dans la classification. Sur la définition des genres des Conifères, Richard suit les recommandations de Linné : « Tournefort avait distingué et considéré comme genres différents les Pins, les Sapins et les Mélèzes. Linné, dans son Genera plantarum, adopte le genre Pinus de Tournefort, mais réunit ensuite, sous le nom d’Abies, les deux genres Larix et Abies du botaniste français. » Il ne sera pas surprenant de trouver dans la deuxième partie, consacrée à l’étude précise des végétaux, six espèces du genre Abies : A. cedrus, A. larix, A. excelsa, A. pectinata, A.balsamea, et A. canadensis. La troisième partie est consacrée à l’examen des différents organes et des modes de développement. Ces deux parties sont illustrées par vingt-neuf planches de dessins d’une très grande finesse. Dans la quatrième partie sont présentés de façon formelle, les caractères permettant de distinguer les genres et les espèces de chaque groupe.
Les dessins
Les archives de la Société d’Horticulture des Yvelines renferment un véritable trésor : une boite d’archives datant de la fin du XIXe siècle, avec fermoirs en laiton, étiquetée : « Dessins originaux de Louis-Claude Richard et Achille Richard » et porte le numéro 13ter. Cette boite contient non seulement presque tous (il en manque trois) les dessins originaux des planches illustrant le livre sur les conifères, les factures du graveur M. Plée et de l’éditeur et également de nombreux dessins de végétaux et de coquillages ainsi que le compte rendu d’une sortie botanique en forêt de Sénart. Les planches sont soit composées de dessins découpés dans des carnets d’observation et assemblés, (planches 5, 8, 15) soit dessinées directement (planches 3, 22, 23) ; la plupart des dessins sont au crayon, quelques-uns à la plume, ils sont tous d’une grande finesse et d’une précision remarquable.
Les Richard n’ayant pas été membres de la société d’Horticulture de Seine-et-Oise, la présence de ces documents dans les archives pose problème, par qui ont-ils été transmis ? La lecture de nos anciens bulletins permettra peut-être d’y répondre.
Bibliographie
1852 - Cuvier G., Eloge historique de Monsieur Richard. Bibli. MNHM.
1854 - Brongniart A., Notice historique sur Achille Richard, Séance publique de rentrée de la Société Impériale et Centrale d’Agriculture, séance du 8 novembre 1854
1843 (2e édition) - Biographie universelle ancienne et moderne, pp. 588-596, T. XXXV, C. Desplaces ed.
2004 - Lamy Gabriella, « Antoine Richard Jardinier de la Reine », DESS Jardins historiques, Patrimoine et Paysage, Ecole d’Architecture de Versailles - Univ. Paris 1.
[1] « Dictionnaire élémentaire de botanique » en 1800, « Commentatio de Convallaria japonica » en 1807, « Démonstrations botaniques, ou analyse du fruit », en 1808, « Analyse botanique des embryons endorhizes ou monocotylédones », en 1811, « De Orchideis europeis annotationes » en 1817.
[2] un traité de « Botanique médicale » en 1823, en 1826, un « Dictionnaire des drogues simples et composées » en 1827, « De musaceis commentatio botanica » en 1831.
[3] « Florae senegambiae tentamen » en 1831, « Voyage de découvertes de l’Astrolabe » en 1833, « Tentamen florae abyssinicae » 1847.