Gustave Delchevalerie, quand les jardiniers d’Alphand s’exportaient

Daniel Lejeune

Gustave Delchevalerie fit partie de cette extraordinaire phalange rassemblée par Alphand et Barillet-Deschamps dans l’établissement de production horticole installé porte de la Muette où il était chef multiplicateur.

Né le 16 janvier 1841 à Vedrin, dans la province de Namur (Belgique), il fut un personnage de la diaspora horticole trop méconnu du XIXe siècle !

Au service du Pacha

Delchevalerie affichait une attirance particulière pour le monde des orchi­dées. Son chemin croisa celui d’Édouard André, recruté tout comme lui en 1860 alors que Napoléon III venait de signer le décret d’extension territoriale de la ville de Paris. Il rencontra Isidore Leroy, un autre spécialiste des orchidées, employé de M. Guibert, un riche collectionneur de Passy et Léonce de Lambertye, un botaniste-praticien passionné de plantes à grand effet, notamment de cannas.

Deux jardiniers pour son Altesse

Le canal de Suez fut inauguré le 17 novembre 1869 sous la présidence de l’impératrice Eugénie dont le bateau avait pris la tête d’une véritable flotte internationale. Barillet-Deschamps, qui était là, fut à son tour recruté par Ismaïl Pacha en qualité de « Directeur général du service des promenades et plantations du gouvernement et des propriétés de son Altesse le Khédive d’Égypte ». Autant dire que la hiérarchie parisienne était potentiellement reconstituée.

Portrait gravé au trait de Gustave Delchevalerie, 1897 (collection particulière) – © D. Lejeune

Mais les ambiguïtés dans leurs attributions et les incertitudes managériales du Khédive lui-même rendirent bientôt la vie impossible entre les deux jardiniers.

Un projet de collaboration entre eux pour la création d’un gigantesque jardin d’acclimatation – projet proprement pha­raonique ! – n’aboutit pas et l’expérience s’arrêta là. Barillet-Deschamps, atteint d’une maladie pulmonaire, vint mourir en 1873 à Vichy. Quant à Gustave Delchevalerie, il accepta de voir ses prérogatives réorientées et augmentées en perspective de développements agricoles. Il fut reçu membre de l’Institut d’Égypte en 1872, année où il s’adonna à d’importants travaux agricoles en Haute Égypte.

Débarquement anglais

En 1873, il était délégué à l’Exposition universelle de Vienne où il fit partie du jury international. En 1874, il organisa le stand égyptien à l’exposition internationale d’horticulture de Florence. En 1875, promu officier de l’ordre ottoman de la Medjidieh, il devint inspecteur de l’agriculture en 1877. En 1878, c’est à Paris qu’il représenta l’Égypte à l’occasion de l’Exposi­tion universelle. Il est fait chevalier de la légion d’honneur. Mais l’aventure se terminait, car l’état financier de l’Égypte amena en 1882 un débarquement anglais à Alexandrie et une mise sous tutelle financière et politique. La situation sonna le glas de l’influence française sur le Nil*. Delchevalerie rentra en France.

*La France avait laissé échapper l’opportunité de racheter les actions du Canal de Suez que le Khédive mit en vente alors qu’il lui fallait honorer la dette de guerre imposée par Bismarck à l’issue du conflit de 1870.

Polygraphe horticole

Gustave Delchevalerie serait peut-être resté méconnu à l’ombre des grands jardiniers parisiens mais, libéré du service des promenades, il a su épanouir de belles compétences*. Spécialiste en multiplication des plantes de serre et en culture des orchidées, il confirma en outre ses talents de polygraphe horticole.

La Société Impériale et Centrale d’horticulture ayant mis au concours une « rétrospective historique du bouturage », Delchevalerie répondit sans attendre par un très intéressant mémoire publié in extenso dans les pages du journal de la société et qui lui valut une médaille d’argent**.

C’est à cette époque qu’il adresse aussi à la Revue Horticole des articles sur différentes plantes et leur multiplication. De son côté, la Belgique horticole, d’Édouard Morren, accueille de sa part une série de dix articles sur les squares et les marchés de Paris***.

*Peut-être acquises en Belgique à l’école d’horticulture fondée par Louis Van Houtte à Gand en 1848.

**Journal de la SICH 1868 pp 570, 625, 696 ; Journal de la SICH pp 196, 268, 334

***Belgique horticole 1867 p 332, Belgique horticole 1868 pp 14, 51, 67, 135, 149, 199, 296, 313, 332

Un honneur pour ses trois patries

Arrivé en Égypte, les sujets traités par Delchevalerie se diversi­fient : notices d’acclimatation, description de parcs*, mises au point techniques sur diverses plantes industrielles ou alimen­taires. En 1872, il envoie à la Société Impériale et Centrale d’Horticulture des contributions sur les végétaux d’ornement et d’utilité cultivés en Égypte**. De son côté, la Revue horti­cole reçoit une série consacrée aux jardins arabes de la basse Égypte***. De retour en Europe, il publia des articles de techni­cité générale**** ou de souvenirs égyptiens*****.

Gustave Delchevalerie fut un digne représentant du mouve­ment horticole européen du XIXe siècle. Sa compétence, sa polyvalence, son dévouement aussi, font honneur à la Belgique, à la France et à l’Égypte, qui furent ses trois patries.

*Promenades dans les jardins du Khédive, Belgique horticole 1869 p 290, 344,

**Journal de la SICH 1872 pp 169, 277, 359.

***Revue horticole 1869 pp 305, 393, 436.; Revue horticole 1870, pp 25, 55, 109, 208, 253

****Illustration horticole, décoration des jardins d’hiver, 1882 pp 48, 114, 130, 147

*****Curiosités horticoles de l’Égypte, Illustration Horticole 1884 pp 19, 50, 67, 81, 99, 114.; l’Horticulture dans l’Afrique centrale, Illustration Horticole 1899 pp 47, 57

UN AUTEUR HORTICOLE PROLIFIQUE

Gustave Delchevalerie est l’auteur de diverses monographies parmi lesquelles nous relevons :

– Catalogue raisonné des plantes ornementales qu’il convient de cultiver dans les parcs et jardins, suivi d’une notice sur les squares et les établissements horticoles de la Ville de Paris. Gand, Annoot-Braeckman, 1868.

– Études égyptiennes, les jardins et les champs de la vallée du Nil. Gand, Annoot-Braeckman, 1870.

– Cultures égyptiennes, plantes tropicales utiles, officinales et industrielles qu’il conviendrait d’introduire sous le 30e degré de latitude d’Égypte et ses avoisinants. Namur, typographie de Paul Godenne.

– Flore exotique du jardin d’acclimatation de Ghézireh et des domaines de S. A. le Khédive. Le Caire, typographie fran­çaise Delbos-Demouret, 1871.

– Les orchidées, culture, propagation, nomenclature. Librairie agricole de la Maison rustique 1878.

– Plantes de serre chaude et tempérée, construction des serres, etc. Librairie agricole de la Maison Rustique, vers 1880.

– Le parc public de l’Ezbékieh au Caire, suivi de considérations générales sur les plantations et les anciens jardins vice-royaux et Khédiviaux d’acclimatation en Égypte sous la dynastie de Méhémet-Aly au XIXe siècle après JC, et d’une notice sur les curiosités horticoles de la vallée du Nil. Gand, Annoot-Braeckman 1897.

Plan schématique du jardin de l’Ezbékieh, au Caire. Extrait de l’ouvrage Jardin de l’Ezbékieh de Delchevalerie, 1897 – © D. Lejeune