Le greffage des légumes : l’intérêt et la pratique
Michel Javoy , Michel Pitrat , Jean-Daniel Arnaud
Une pratique ancienne
La plus ancienne description de greffage de plantes légumières provient du livre chinois « Fan Sheng Zhi Shu », du premier siècle av J.C, et décrit le greffage de calebasse (Lagenaria).
Mais le greffage des Solanacées et des Cucurbitacées n’a vraiment pris son essor que depuis les années 1920 au Japon avec le greffage de la pastèque sur courge (Cucurbita), puis dans les années 1930, l’aubergine, suivie par le melon (1950), le concombre (1960), la tomate (1970) et, plus récemment, le piment.
Le greffage, une alternative pour les légumes sous serre
Contrairement aux cultures maraîchères de plein air où il est possible de pratiquer des rotations de cultures, la panoplie réduite des légumes cultivés sous serres induit une répétition de cultures de plantes de mêmes espèces ou d’espèces très voisines sur un même sol, modifiant progressivement sa microfaune et sa microflore. Une fatigue des sols, résultant de phénomènes physico-chimiques et biologiques complexes, s’installe. Le biotope réduit sa diversité, le plus souvent au profit du développement de bioagresseurs des plantes : champignons, bactéries responsables de maladies telluriques et aussi ravageurs des racines, principalement larves d’insectes et nématodes.
La désinfection des sols, physique utilisant la chaleur de la vapeur d’eau ou chimique avec de puissants biocides, a été longuement utilisée. Ces méthodes sont aujourd’hui remises en cause, voire interdites. La production de vapeur d’eau nécessite des sources de chaleur productrice de CO2 et les procédés chimiques sont causes de pollution de l’atmosphère et des eaux.
Le greffage parmi les trois voies de substitution
Trois voies de substitution se sont engagées parallèlement contre la fatigue des sols et le développement des bioagresseurs :
– La culture hors sol, qui fait appel à divers substrats minéraux ou organiques régulièrement remplacés ou même l’absence de substrat dans le cas des cultures hydroponiques, avec des solutions nutritives désinfectées et recyclées.
– L’introduction de gènes de résistances aux bioagresseurs dans des variétés fixées mais le plus souvent dans des hybrides F1. Ces gènes sont issus d’espèces sauvages, dans le cas de la tomate, ou de l’espèce cultivée dans le cas du melon.
– Le greffage d’une variété aux caractéristiques agronomiques optimales sensible à un bioagresseur connu (le greffon) sur un système racinaire, le plus souvent issu d’une espèce sauvage repérée dans la nature, tolérante, voire résistante, (le porte-greffe). Il peut s’agir d’une espèce sauvage comme Solanum torvum, utilisée comme porte-greffe de l’aubergine ; d’une espèce cultivée voisine comme Lagenaria siceraria (calebasse), porte-greffe de la pastèque ; d’hybrides interspécifiques entre deux espèces domestiquées comme Cucurbita maxima x C. moschata, porte-greffe du melon ; ou bien d’hybrides interspécifiques entre l’espèce cultivée et une espèce sauvage comme la tomate (Solanum lycopersicum) x Solanum habrochaites.
La limite physiologique à la technique du greffage est la compatibilité porte-greffe/ greffon. Le porte-greffe peut être de la même espèce que la plante cultivée (on parle alors de greffage intra-spécifique) ou issu d’espèces très voisines (greffage interspécifique). Le greffage d’une variété d’aubergine sur un porte-greffe tomate est le cas le plus fréquent.
Des combinaisons mondiales
Les principales combinaisons utilisées au niveau mondial sont :
Pastèque / Lagenaria ; Concombre / Courges (C. ficifolia ou hybrides C. maxima x C. moschata) ; Melon / Courges (hybrides C. maxima x C. moschata) ou Melon ; Tomate / Hybrides tomate x sauvage ; Aubergine / Hybrides tomate x sauvage ou Solanum torvum.
Deux techniques de greffe pour les pros
Différentes techniques de greffe sont utilisées par les professionnels :
– par approche,
– par insertion en fente, avec une aiguille, ou en tube.
Des robots ont été développés dans plusieurs pays pour réduire le coût du greffage mais ils sont encore relativement peu utilisés.
Pour une plus grande vigueur végétative
Le greffage des légumes fruits induit très souvent et, plus particulièrement dans le cas de la tomate, une plus grande vigueur végétative des plantes, ce qui nécessite une adaptation de leur conduite. Les porte-greffes actuellement utilisés sont responsables de cette grande vigueur qui, si elle n’est pas équilibrée par une plus grande charge en fruits, procure des plantes à grosses tiges et grandes feuilles produisant souvent des fleurs stériles et donc très peu de fruits. Il est impératif pour le jardinier d’augmenter le nombre de branches productives sur une même plante, soit en achetant des plantes greffées à deux têtes, soit en laissant rapidement un ou plusieurs axillaires productifs se développer à partir de la tige principale. Ainsi, pour une même production, voire pour une production supérieure espérée, il est possible de diviser le nombre de plantes achetées par deux, ce qui compense en grande partie leur surcoût.
Ce surcoût provient de plusieurs postes qui s’additionnent :
– Deux graines (porte-greffe et greffon) au lieu d’une ;
– opération manuelle délicate de greffage ;
– temps d’occupation plus long des serres de production ;
– faible pourcentage de plants greffés non conformes.
La recherche du rendement
Le greffage n’a pas seulement pour but de lutter contre les maladies du sol (même si c’était son premier objectif). On greffe aujourd’hui des plantes cultivées hors-sol, donc théoriquement sans agent pathogène lié au sol. C’est l’augmentation de vigueur et de rendement qui est alors recherchée.
Le greffage a été rapidement adopté par les professionnels pour la production de tomates sous serres. Le développement de l’utilisation de plants greffés par les amateurs est beaucoup plus lent. De nombreux jardiniers amateurs sont découragés par le prix d’achat qui leur semble exagéré par rapport aux plants classiques. Par ailleurs, les jardiniers amateurs hésitent à modifier leurs pratiques et ne peuvent alors bénéficier des progrès apportés par les plants greffés.
Conseils pour cultiver un légume greffé
Pour une pleine réussite assurée, la modification du mode de conduite de la plante doit être accompagnée d’une adaptation de la densité de plantation qui peut être au minimum divisée par deux. Il convient en outre de proscrire tout excès d’apport d’azote qui renforce le risque d’excès de végétation et rend la plante fragile. L’irrigation doit également être limitée afin de favoriser l’apparition de fleurs au détriment d’un feuillage trop abondant.
Pour greffer un pied de tomate sur un pied d’aubergine
– Prélever délicatement un gourmand sur un pied de tomate
– Choisir un plant d’aubergine et le couper à 2-3 cm.
– Fendre le plant d’aubergine qui sera le porte-greffe.
– Tailler le greffon de tomate en biseau.
– Glisser le greffon à l’intérieur de la fente de l’aubergine.
– Fixer avec une pince, du raphia ou du gros scotch.
– Placer à l’abri avec soins pendant une semaine.
Les plants greffés se plantent généralement de mi-mars à fin avril sous abri et du début à la fin du mois de mai à l’extérieur, comme les autres plants des mêmes espèces.
Ne jamais enterrer la cicatrice de la greffe, qui se repère à un léger bourrelet à la base du plant.
Une conduite différente selon les légumes
– Tomates : sur deux têtes, à tuteurer (faire partir les deux branches si cela n’a pas déjà été fait par le fournisseur ou en buisson).
– Aubergines greffées : sur trois têtes, à tuteurer.
– Concombres greffés : sur une tête à tuteurer.
– Melons greffés : libre, pas de taille.
– Poivrons greffés : sur trois têtes, à tuteurer.