Grasse, centre mondial de la parfumerie d’hier et d’aujourd’hui
José-Luis Adrian
A l’origine, les cuirs, bien que de bonne qualité, sentent mauvais car le tannage est réalisé à l’aide d’excréments de chien, d’urine de cheval, voire d’excréments humains. Jean de Galimard, Seigneur de Seranon, est le fondateur de la corporation des gantiers-parfumeurs et à l’origine de la Parfumerie Galimard qu’il créa en 1747. Il eut l’idée de créer des gants en cuir parfumé dans des « bains de senteur », (eau de rose) et d’en offrir une paire à Catherine de Médicis.
Elle est séduite par ce cadeau et ce gant parfumé se répand à la Cour et dans toute la haute société. La réputation de Grasse est faite ! Elle devient capitale mondiale du parfum, supplantant Montpellier dont la Faculté de pharmacie était la source de création d’onguents et de parfums.
La technique de « l’enfleurage »
Le procédé utilisé à l’époque pour la Rose, comme plus tard pour le Jasmin, est « l’enfleurage ». Cette technique, basée sur l’affinité des parfums pour les graisses, concerne les plantes qui conservent leur parfum après avoir été cueillies, Le principe est simple : les fleurs sont étalées à l’aide de « spatules » sur des cadres en bois appelés « châssis », enduits de graisses inodores. Le parfum des fleurs est absorbé par les graisses jusqu’à saturation. Les fleurs sont ensuite renouvelées, au fur et à mesure de leur récolte.
L’opération est terminée quand un kilo de la matière grasse est saturé par deux à trois kilos de fleurs. Elle peut durer environ un mois. On fait alors fondre la pommade qui sera décantée. Elle sera ensuite traitée à l’alcool et à froid. L’alcool entrainera le parfum seul sans se charger des graisses.
Cette technique d’extraction est pratiquement en voie de disparition en raison de son coût élevé. Elle nécessite en effet une main d’œuvre importante[1].
C’est alors la grande époque des « Gantiers parfumeurs » qui développent le « gant à la frangipane », « à la provençale ». Mais les taxes sur le cuir et la concurrence de Nice font décliner l’industrie du cuir à Grasse et au cuir succède le parfum !
C’est ainsi qu’un grassois nommé Antoine de Chiris devient au XVIIIe siècle, fournisseur de la reine Marie-Antoinette, épouse de Louis XVI. Dès le XIXe siècle, il y avait déjà près de 40 sociétés produisant des matières premières à Grasse !
Des entreprises au « top »
Grasse est encore, et certainement plus qu’avant, le centre mondial de la parfumerie et ce pour plusieurs raisons.
En 2013, 40 Sociétés présentes dans la région grassoise représentaient un CA de plus de 1,65 milliards d’Euros (CA consolidés pour les sociétés internationales dont le siège est en France) dont 72,3 % à l’exportation, en progression de 5 % par rapport à 2012.
Parmi celles-ci, deux d’entre elles figurent dans le « Top Ten mondial » (cf. classement annuel de la revue Perfumer & Flavorist) : V. Mane Fils (7ème) et Robertet (10ème). On notera aussi la présence de deux autres sociétés : Jean Niel et Payan Bertrand, deux autres affaires familiales encore indépendantes.
En termes d’activité, on constate, toujours sur 2014, une progression de plus de 11,1 % du chiffre d’affaires en arômes alimentaires, et de plus de 4,0 % pour la Parfumerie (Source Prodarom)
Quant à l’emploi, l’ensemble des sociétés grassoises emploie près de 4 000 salariés en progression de 3,8% par rapport à 2013.
Une formation en parfumerie
Avec 30 ans d’expérience dans la formation de la filière, l’ASFO-Grasse (Centre de formation des professionnels de la parfumerie) a créé, en 2002, le Grasse Institute of Perfumery (GIP). Cette belle initiative permet, après sélection, à une douzaine d’étudiants de toutes nationalités, de suivre, sur 12 mois, une formation en parfumerie leur permettant de bien connaître les matières premières, d’apprendre à les utiliser, de se familiariser avec le vocabulaire du parfumeur, de classer ces matières premières et d’apprendre à les composer.
De plus, depuis quelques années, le GIP organise des voyages d’études permettant à ces mêmes étudiants de voir les matières premières de visu, pendant leur récolte : immortelle, en Corse (juin 2014) et lavandes, lavandins et sauge sclarée (juillet 2014), Lavande et rose bulgare (mai 2015) et à nouveau lavandins et sauge sclarée (prévu en juillet 2015).
Une production stratégique
Grasse produit encore des matières premières naturelles. Le tableau donne un aperçu de leur nature et de l’évolution de leur tonnage depuis le XIXème siècle.
Bien qu’en très forte diminution, cette production est stratégique pour des maisons comme Chanel et Dior. C’est le cas pour le Jasmin (J. grandiflorum) et la Rose (R. centifolia), mais aussi pour l’Iris (Iris pallida).
Enfin, des parfumeurs, et non des moindres comme Jean-Claude Ellena de la maison HERMES, ont décidé de s’installer à Cabris à 6 km de Grasse.
Un musée International de la Parfumerie
Musée de Société, musée de Beaux-Arts et musée Technique, le Musée International de la Parfumerie est tout cela à la fois. Ses collections plongent dans le passé le plus ancien des civilisations humaines et émergent au cœur du XXIe siècle. Lieu de découverte et d’initiation ouvert à tous les publics, de toutes nationalités, c’est encore un espace d’excellence, d’expertise et d’échanges pour tous les professionnels de la parfumerie.
Le Musée International de la Parfumerie a ouvert ses portes à Grasse en 2008, rénové et agrandi avec 3 500 m² d’espaces disponibles. L’architecte Frédéric Jung a conçu un projet d’extension orignal parfaitement intégré dans le tissu urbain de la vielle ville autour de l’imposant Hôtel Pontévès construit un peu avant la Révolution Française, tout en dévoilant l’ancienne enceinte médiévale de Grasse. Les collections, constituées dès les années 1920 par François Carnot, le fondateur du musée, n’ont cessé de s’enrichir et comptent aujourd’hui près de 50 000 objets formant un ensemble historique consacré au parfum sur plusieurs milliers d’années et provenant de tous les continents. Mais l’ambition était aussi de présenter l’aventure du Parfum à Grasse depuis le XVIIIe siècle : une réussite humaine exceptionnelle, à la fois technologique, industrielle, économique et financière.
Un nouvel écrin
Le musée est désormais reconnu comme la vitrine internationale, patrimoniale et culturelle de la parfumerie par un public nombreux et par les professionnels du parfum et de la cosmétique qui lui apportent un mécénat significatif et utilisent régulièrement ses espaces.
L’acquisition, en 2010, des Jardins à Mouans–Sartoux, un nouvel écrin de plus de deux hectares, permet d’élargir et d’approfondir notre propos en tissant des liens avec nos œuvres muséales et les plantes à parfum, collections vivantes et éphémères. Avec les Jardins, nous explorons une dimension nouvelle, novatrice et originale au sein du monde des musées.
Deux axes de développement, dans la continuité du projet initial : l’art contemporain, d’abord qui aborde de plus en plus l’olfaction comme thématique centrale, va devenir un hôte régulier de nos expositions et de nos cimaises. Pour suivre l’évolution continue de l’univers du Parfum, nous allons dès 2016 entamer la refonte complète de l’espace dédié au XXIe siècle. Ces salles, qui clôturent la visite du musée, seront ainsi le point d’orgue et la conclusion d’un parcours qui débute par l’Égypte des Pharaons.
www.museesdegrasse.com
[1] Pour connaître les méthodes modernes, se reporter à l’encadré sur la rose dans ce dossier et à l’article de Jardins de France paru dans la rubrique « histoire de plantes » : Baudino et coll, Les roses et la production d’huiles essentielles en parfumerie.