Fusariose de la vanille : un danger planétaire
Michel Dron , Timeri Atuahiva , Sandra Lepers , Pascale Besse , Michel Grisoni
En moyenne annuelle, il est produit 2 000 tonnes de vanille noire (préparée) à l’échelle mondiale dont les deux tiers minimum proviennent de Madagascar. Il s’agit d’un marché tendu car les produits naturels subissent un vif regain d’intérêt depuis près d’une dizaine d’années.
Ainsi, la vanille naturelle, après un remplacement par la vanilline de synthèse au début du XXe siècle dans nombre de produits alimentaires et cosmétiques, a-t-elle reconquis sa place dans nos assiettes, notamment dans les produits laitiers et pâtissiers ainsi qu’en parfumerie fine.
La fusariose, maladie la plus insidieuse
La production annuelle, tant à Madagascar que dans les autres régions géographiques de production tend fortement à régresser. Ceci a abouti ces cinq dernières années à une augmentation considérable du prix au Kilo de la vanille préparée, jusqu’à dix à vingt fois son prix d’il y a dix ans, qu’il s’agisse de la vanille de type Bourbon (Vanilla planifolia) qui représente plus de 95 % de la vanille naturelle commercialisée que de la vanille Tahiti (Vanilla tahitensis) qui en représente 2 % au maximum. Il y a plusieurs raisons à cette situation préoccupante mais l’une d’entre elles, majeure, est d’origine phytosanitaire. La fusariose, dont le champignon responsable, Fusarium oxysporum f. sp. radicis-vanillae, est répandu mondialement dans les sols et substrats utilisés pour la nutrition minérale les lianes de vanille, est la maladie la plus insidieuse.
Les analyses génotypiques, sur plusieurs centaines d’isolats de l’agent pathogène, récupérés dans la majorité des zones de production de vanille, montrent une très grande diversité.
La maladie est donc due à un nombre important de souches différentes génétiquement.
Une production remise en cause
Le champignon, attaque les racines en provoquant une macération des tissus externes, le rhizoderme et le parenchyme cortical, si bien que l’absorption de l’eau et des sels minéraux devient inopérante d’où un dessèchement des racines et des parties aériennes et finalement la mort des lianes en quelques années. Contrairement à d’autres Fusarium pathogènes, l’agent de la fusariose du vanillier ne pénètre pas dans les tissus conducteurs de la sève brute, ni n’envahit les tiges.
La maladie est responsable d’importantes pertes dans toutes les zones de production, bien sûr à Madagascar et dans tout l’océan indien, mais aussi en Asie et dans le Pacifique, que ce soit sur vanille Bourbon ou vanille Tahiti. Actuellement, les pertes sont telles qu’elles remettent en cause le maintien de la production et des producteurs et ce malgré les prix très élevés de la vanille préparée. Les pertes à la production sont le plus souvent supérieures à 30 % de la production normale attendue (300 g par liane en moyenne, selon les systèmes de production dominants dans le monde).
Espoir vers la résistance
Les traitements agrochimiques, souvent chers à l’emploi, sont peu efficaces. Les traitements biologiques, comme l’emploi de compétiteurs microbiens, n’ont pas permis de réels progrès vis-à-vis de la maîtrise de la maladie. Seule la prophylaxie, toilettage permanent des parties symptomatiques notamment, permet de réduire l’incidence de la maladie.
L’espoir est fondé sur l’utilisation de variétés de vanilliers génétiquement résistants à la maladie, soit au sein d’une espèce particulière, par exemple Vanilla planifolia, soit via l’exploitation de descendances de croisements inter-espèces, par exemple entre Vanilla planifolia dont la majorité des génotypes sont sensibles et Vanilla pompona dont la majorité des génotypes sont résistants au champignon. Ces deux voies ont été explorées. Ainsi, une variété « Handa » de Vanilla planifolia se comporte, pour l’instant, bien en situation de sols contaminés en présence d’une diversitéde souches de Fusarium oxysporum f. sp. radicis-vanillae. Cette nouvelle variété, en cours d’enregistrement auprès de l’Office Communautaire des Obtentions Végétales, est en phase de test préindustriel dans l’océan Indien. Par ailleurs, des hybrides entre Vanilla tahitensis et Vanilla pompona présentent également un bon comportement en sols contaminés, en Polynésie. Là, des rétrocroisements, ayant pour but de co-sélectionner la résistance issue de Vanilla pompona et les qualités organoleptiques remarquables de Vanilla tahitensis sont en cours pour proposer de nouvelles variétés résistantes à la maladie et assurant une bonne production de vanille de haute qualité.
Séquence du génome
Ce processus d’amélioration génétique par les méthodes conventionnelles est long et fastidieux. Chez le vanillier, il faut sept à huit ans de soins pour obtenir des fruits à partir d’une graine et la reproduction sexuée génère beaucoup d’individus non viables. C’est pourquoi les sélectionneurs comptent beaucoup sur le séquençage en cours du génome du vanillier pour identifier les gènes d’intérêts et ainsi accélérer la production de nouveaux génotypes dotés de caractéristiques aromatiques et de résistance plus favorables.
Surveillance épidémiologique
Les variétés résistantes ne résoudront probablement pas tous les problèmes. L’expérience acquise sur des pathologies similaires touchant d’autres espèces végétales davantage étudiées, incite à la prudence. En effet, au sein d’une telle diversité génotypique parasitaire, il est probable que certaines souches minoritaires mais capables de contourner la résistance soient favorisées et viennent ainsi à bout de la variété résistante sélectionnée contre d’autres souches. Afin de préserver la résistance, il faut donc minimiser les risques de contournement.
Et cela est possible en étudiant et en comprenant les facteurs environnementaux, climatiques, nutritionnels… favorisant le développement de la maladie. Ainsi, par le biais d’une surveillance épidémiologique pluriannuelle sur plusieurs dizaines de parcelles dans les îles Sous-le-Vent en Polynésie française, il a été possible d’identifier une relation positive entre présence d’éclaboussures de pluie et développement des symptômes de la maladie. Des essais d’installation de demi-tunnels au-dessus des ombrières, évitant la chute directe de la pluie, donnent des résultats prometteurs, le besoin en eau de la liane étant compensé par un système d’arrosage au pied. Des analyses de la microflore des composts, substrats organiques utilisés pour l’alimentation racinaire par minéralisation, permettront également de surveiller la présence et l’évolution de l’agent pathogène.
Trouver les bonnes combinaisons
Comme recommandé. en protection intégrée, il faudra combiner l’utilisation des nouvelles variétés résistantes, à des modalités de conduite agronomique diminuant les risques, telles que toilettage des plantations, utilisation des demi-tunnels, surveillance de l’inoculum pathogène dans les composts…, ce qui permettra de poursuivre le développement de la production de vanille majoritairement sous label AB.
A lire
- Koyyappurath, S., Atuahiva, T., Le Guen, R., Batina, H., Le Squin, S., Gautheron, N., Edel Hermann, V., Peribe, J., Jahiel, M., Steinberg, C., Liew, E. C. Y., Alabouvette, C., Besse, P., Dron, M., Sache, I., Laval, V., and Grisoni, M. 2015. Fusarium oxysporum f. sp. radicis-vanillae is the causal agent of root and stem rot of vanilla. Plant Pathology 65 : 612–625. doi 10.1111/ppa.12445.
- Koyyappurath, S., Conéjéro, G., Dijoux, J. B., Lapeyre Montes, F., Jade, K., Chiroleu, F., Gatineau, F., Verdeil, J. L., Besse, P., and Grisoni, M. 2015. Differential responses of vanilla accessions to root rot and colonization by Fusarium oxysporum f. sp. radicis-vanillae. Frontiers in Plant Science 6. doi 10.3389/fpls.2015.01125.