Facteurs et pratiques influençant la vie en vase de la rose
Serge Gudin
La post-récolte chez la rose coupée est un souci récurrent pour le professionnel et l’amateur. En effet l’image de la faible durée de vie en vase de cette fleur gêne terriblement son développement industriel et commercial. A l’heure actuelle, ce problème de post-récolte est ressenti par les professionnels de la rose avec une acuité particulière pour diverses raisons : Les réseaux de commercialisation se complexifient, ce qui contribue à augmenter les durées de rétention des fleurs. Le stockage pendant quelques jours supplémentaires pour des raisons spéculatives est une pratique malheureusement trop répandue. Des espèces florales possédant naturellement une bonne aptitude à la post-récolte, soit traditionnelles soit d’introduction récente, se trouvent de ce fait en position concurrente. La rose ne trouve pas toute sa place dans le marché du bouquet composé, actuellement en expansion, car elle a tendance à moins durer que les autres fleurs présentes dans ces bouquets. Face à cette situation, la recherche a parfois abouti (du point de vue de la connaissance des phénomènes fondamentaux et produits élaborés) à des résultats utilisables par les professionnels mais trop souvent méconnus d’eux. Elle a abouti aussi la mise sur le marché de solutions d’épanouissement à l’usage de l’amateur dont on comprendra l’utilité à la lecture des résultats de recherche présentés dans ce document.
Embolisme gazeux
En partant du moment de la coupe (nous parlerons de l’influence des facteurs précédant celle-ci plus loin), on peut dire que la rose se caractérise, par rapport à la plupart des autres espèces florales, par un déficit hydrique plus important.. Il est dû à une fermeture très lente des stomates entraînant une évapotranspiration conséquente. Les volumes vasculaires laissés libres par l’eau évapotranspirée sont occupés par l’air. Ainsi se créent des colonnes d’air, d’abord vers la base de la tige, puis de plus en plus vers le haut par rupture des colonnes d’eau. C’est le phénomène d’embolisme gazeux. Il résulte de la tension induite par l’évapotranspiration. Ces colonnes d’air créent des zones de blocage pour la montée d’eau vers le bouton et sont difficiles à éliminer. La perte de rigidité du pédoncule, communément appelée « bent neck », est fréquemment observée sur des roses coupées trop tôt. Elle pourrait être dû à une lignification insuffisante des tissus vasculaires du pédoncule accentuant de ce fait les difficultés de circulation de l’eau dans les tiges. C’est à ce niveau que se justifient, premièrement, la recommandation de l’utilisation pour l’hydratation des roses coupées d’une eau tiède ou tirée la veille (ce qui correspond à une eau relativement dégazée) deuxièmement, la présence d’un agent acidifiant (acide citrique ou sulfate d’alumine) dans les produits commerciaux de traitement de l’eau (à utiliser par le producteur) et de conservation en vase (à utiliser par le consommateur). En effet, eau acide comme eau tiède ou dégazée possèdent une viscosité inférieure à celle d’une eau normale ; elles sont donc plus facilement absorbées par une tige et plus aptes à solubiliser les bouchons d’air. Des surfactants introduits dans certains produits commerciaux contribuent, par l’abaissement de la tension superficielle de l’eau qu’ils entraînent, également à une meilleure absorption de l’eau. L’eau acide et les anti-transpirants possèdent un autre effet intéressant ; ils contribuent à une fermeture améliorée des stomates des feuilles, réduisant ainsi le stress hydrique subi. Pour en terminer avec les problèmes de l’hydratation de la rose après sa récolte, il faut ajouter que la cicatrisation naturelle de la surface de coupe de la tige par des pectines et d’autres substances s’ajoute probablement aussi à la liste des difficultés. L’acidification est vraisemblablement intéressante aussi pour la limitation de cette auto cicatrisation. D’autre part, il est évident qu’au niveau du producteur (et de l’amateur), un temps minimum entre cueillette (ou achat) et mise à l’eau de la tige contribuera efficacement à la lutte contre l’embolisme gazeux (dans la pratique, on efforcera à tout prix de ne pas dépasser une demi-heure), ainsi que le fait, dans la serre, de toujours garder les fleurs récoltées à l’ombre (limitation de l’évapotranspiration). Au niveau de l’amateur, on comprend bien la nécessité de recouper les bases de tiges avant de les mettre en vase.
Envahissement microbien
Dans la vie de la rose coupée, après les problèmes qui viennent d’être exposés, c’est celui des contaminations microbiennes qui va apparaître. C’est un phénomène connu depuis longtemps. Le développement de colonies microbiennes apportées par l’eau et/ou la tige elle-même va se prolonger dans les tiges et conduire à l’occlusion des vaisseaux, accentuant ainsi le problème de l’embolie évoqué plus haut. Des levures et bactéries en sont les principales responsables. Elles interviennent non seulement en bloquant les vaisseaux, mais aussi en excrétant dans l’eau des métabolites toxiques. L’eau de trempage des tiges devra donc être la plus propre possible, non seulement pour éviter de fournir l’inoculum microbien de départ mais également des particules en suspension (notamment des colloïdes d’origine organique ainsi que des particules minérales) qui apportées dans l’eau peuvent servir de substrat nourricier à des microbes introduits plus tard (en particulier par les tiges ou en cas de bacs et vase mal lavés). La malpropreté de l’eau disponible justifie quelquefois le stockage à sec des tiges avant réception dans les magasins de fleurs. Contre le péril microbien, outre l’utilisation d’une eau filtrée, on peut rappeler l’intérêt que présente l’apport, au travers des produits commerciaux (traitement de l’eau et de conservation des fleurs en vase) de produits bactériostatiques (le plus souvent hydroxyquinoléine ou ses dérivés). Le sulfate d’alumine (constituant de certains produits de conservation) possède également une forte action bactériostatique ; il offre l’intérêt supplémentaire, par agrégation, de faire sédimenter toute particule (organique ou minérale) en suspension. A noter que l’acidification de l’eau va également dans le sens d’une limitation du développement bactérien; l’acide citrique quelquefois utilisé accroît aussi significativement la chlorophylle de la feuille de la rose coupée donc l’aspect qualitatif du produit.
Sénescence et émission d’éthylène
En dehors des problèmes d’hydratation, apparaissent bien sûr, également, des phénomènes de sénescence naturellement inévitables à terme mais que l’on peut retarder. Pour traiter le déroulement des évènements fondamentaux très rapidement, on peut dire tout d’abord que la fanaison se manifeste selon les variétés par des pertes de turgescence des pétales conduisant à leur flétrissement ou à leur abscission, voire à leur dessèchement complet sans chute. Ce type de fanaison du pétale, au niveau cellulaire, correspond à une augmentation de la perméabilité membranaire qui entraîne des changements osmotiques. A l’heure actuelle, la seule solution exploitée dans ce domaine semble être l’adjonction de sucre dans les produits de conservation en vase (et non pas dans les produits de traitement de l’eau, le sucre pouvant entraîner à ce stade une prolifération bactérienne). En effet, alors qu’on pouvait penser que l’intérêt d’une adjonction de sucre était surtout un apport énergétique, on s’est aperçu que le sucre, comme par ailleurs quelques ions minéraux, contribuaient à retarder la sénescence cellulaire en augmentant la concentration osmotique de la cellule. Etant donné que les fleurs coupées souffrent d’une déficience en énergie et sont sensibles à différents stress, la demande pour des sucres simples dans leurs pétales est satisfaite par une hydrolyse des disaccharides et de l’amidon. L’ajout de sucre (saccharose) est de loin le plus souhaitable pour la conservation des roses mais doit s’accompagner de solutions antiseptiques. L’action de l’éthylène (hormone végétale liée à la sénescence), largement étudiée chez tous les organes végétaux faisant l’objet de stockage, doit être envisagée. En effet, s’il a été démontré que la plupart des cultivars de rose ne synthétisent pas d’éthylène, on sait qu’ils y sont très sensibles. Or, l’éthylène va, à un moment ou un autre de la vie post-récolte d’une rose, intervenir ; par exemple dans le camion de transport ou le frigo de stockage qui auront pu auparavant contenir des fruits ou des fleurs (type œillet) libérant beaucoup d’éthylène, mais aussi à cause du botrytis si les roses en sont infestées, ou, tout simplement, dans un appartement occupé par des fumeurs. Une solution pratique existe potentiellement pour retarder l’effet de l’éthylène sur la rose coupée qui est d’incorporer à la solution de trempage du thiosulfate d’argent dont l’effet polluant limite cependant l’usage aux professionnels) ou de l’hypochlorite de sodium (eau de javel)..De même, on sait depuis longtemps que l’hydroxyquinoléine, utilisée comme bactéricide dans la plupart des produits commerciaux de traitement de l’eau, possède un effet inhibiteur de la production d’éthylène. D’autre part, un procédé très simple et bon marché pour piéger l’éthylène est utilisable dans les lieux de stockage et éventuellement les cartons de fleurs. Il est basé sur un piège composé de permanganate de potassium et de perlite.
Basses températures
Pour ce qui est de l’action bénéfique de la basse température (2-5° C) en cours de stockage et transport, son intérêt est tellement évident qu’on en dira que quelques mots. Pour résumer, au froid, l’activité métabolique de la fleur se trouve globalement très abaissée, ce qui entraîne un ralentissement certain du processus de sénescence. Ceci dit, on veillera à stocker les fleurs au froid le moins longtemps possible car, plus une fleur a subi de froid, plus vite se déroulera son processus de sénescence une fois remise à température ambiante, chez le consommateur. D’autre part, il est important de veiller à ce que la chaîne du froid (qui commence chez le producteur) subisse le moins possible de fluctuation par la suite, surtout pendant le transport. Une précaution que peut prendre le producteur dans ce domaine consiste à ajouter dans les cartons de fleurs qu’il expédie, des sachets plastiques contenant de la glace, ou mieux, des gels aqueux congelées. Une précaution que peut prendre l’amateur est de mettre tout les soir sont vase de fleurs dans un endroit frais. Par ailleurs, on sait que plus vite la fleur coupée sera amenée à une température basse, plus facilement elle se conservera. Pour réfrigérer très vite les fleurs, plusieurs procédés dont l’air froid forcé et la pré-réfrigération par le vide ont été mis au point et sont apparemment efficaces. Ils mettent cependant en jeu des équipements relativement onéreux à l’heure actuelle. Associée ou pas à la pré-réfrigération, on a parfois recours, également avec efficacité mais à coûts assez élevés, à l’utilisation dans les cartons de fleurs d’une atmosphère contrôlée, c'est-à-dire à faible teneur en oxygène qui a pour effet la limitation de la respiration des fleurs en cours de stockage et transport et donc de ralentir la sénescence. On peut noter à ce stade que l’atmosphère contrôlée a été signalée comme susceptible aussi de limiter le développement du botrytis en cours de stockage. Pour être le plus complet possible en ce qui concerne le stockage, signalons qu’il peut être néfaste de stocker différentes espèces florales dans un même conteneur (avec un effet particulièrement désastreux sur les roses).
Pré-récolte
Comme vous l’avez constaté, n’ont été abordé jusqu’ici que les solutions d’accompagnement des roses coupées permettant la prolongation de leur durée en vase, celles-ci n’intervenant qu’après la récolte. Pourtant, il est évident que l’amont de la récolte, par l’intermédiaire du choix du cultivar, d’une part, et des conditions de culture (environnement, fertilisation) d’autre part, détermine de façon prépondérante la qualité post-récolte à venir. Le choix du cultivar est déterminant. Lors de la sélection de roses, nous avons abordé ce problème, à l’aide de quelques tests physiologiques. Le pH du pétale avant récolte, apparaît comme une excellent critère de prédiction de la tenue en vase des variétés. En ce qui concerne l’influence culturale, on ne connaît que d’anciens résultats montrant que l’enrichissement en dioxyde de carbone pendant la culture a peu d’effet sur les longévités de roses. Par contre, il y a une légère réduction de la vie en vase quand les roses sont cultivées à des températures relativement basses. De plus, les fleurs cultivées à températures basses (15°C) possèdent un nombre supérieur de pétales, des boutons plus gros comparées aux fleurs cultivées à 18°C.
La lumière artificielle durant la culture amène une meilleure vie en vase que la lumière naturelle au Canada. Le déficit lumineux hivernal est donc en général néfaste à la survie en vase. De même, une humidité relative élevée pendant la culture est néfaste à la post-récolte des fleurs car elle ralentit la fermeture des stomates et accélère de ce fait le déficit hydrique. Un effet d’une fertilisation au calcium (CaCl2) des rosiers sur la vie en vase des fleurs a aussi pu être montrée.
En guise de conclusion, nous proposons simplement le tableau suivant qui résume les pratiques utilisables par les professionnels et les amateurs de la rose et susceptibles d’optimiser la qualité post-récolte de cette fleur.
> Tableau : Pratiques disponibles pour optimiser la qualité post-récolte de la rose.
> Bibliographie
(Avertissement : les résultats et applications pratiques présentés dans cet article sont extrapolables dans leur majorité aux autres fleurs coupées).
janvier-février 2013