Fabriquer des sols fertiles à partir de déchets : c’est possible !
Patrice Cannavo , Gaëtan Fourvel
On pense souvent au sol comme à un élément nourricier et naturel. Mais l’artificialisation galopante des terres, due aux activités humaines, nous fait oublier qu’il demeure une valeur qu’il nous faut protéger. Des pistes de réflexion existent.
Le sol est omniprésent dans la majorité des écosystèmes terrestres naturels, agricoles et urbains. Bien qu’il soit parfois relégué au simple rang de support de plantation, il joue un rôle primordial dans de multiples phénomènes naturels (cycles géochimiques des éléments, réservoir de biodiversité, filtre et stockage de l’eau…) qui lui confèrent des propriétés indispensables au développement et à la croissance des plantes. Les sols naturels et agricoles présentent globalement des propriétés favorables aux plantes. Mais cette fertilité peut être altérée par différentes activités humaines, au premier rang desquelles se trouve l’artificialisation des sols. En effet, elle transforme inexorablement les sols fertiles en sols supports d’infrastructures humaines (routes, bâtiments, parkings…) à un rythme plus ou moins soutenu en fonction des pays. En France, 9,3 % des surfaces du territoire étaient déjà artificialisées en 2014 et au rythme actuel, les surfaces artificialisées atteindront 20 % en 2100 (MEEM, 2017). Ce constat inquiétant rend les problématiques de lutte contre l’érosion de la biodiversité et de sécurité alimentaire, dans un contexte d’augmentation de la population, plus difficiles à résoudre qu’elles ne le sont déjà.
Quels sols naturels ?
Les sols agricoles et naturels devraient donc être gérés comme une ressource à forte valeur économique, mais aussi écologique et patrimoniale. À ce titre, ils devraient être protégés de l’artificialisation. Toutefois, les besoins de développement économique et d’urbanisation ne permettent pas de sanctuariser ces sols.
Il existe plusieurs pistes pour favoriser la protection des sols. L’une d’entre elles consiste à stopper l’utilisation de terre végétale pour mettre en place de nouveaux espaces végétalisés en zone urbaine. En effet, jusqu’à présent pour établir un nouvel espace vert ou pour remettre en état une friche industrielle, les aménageurs utilisent de la terre végétale qui n’est rien d’autre que du sol fertile puisé hors de la ville sur la première quinzaine de centimètres de profondeur. Cette pratique contribue à augmenter les menaces sur les sols naturels et agricoles. L’idée est donc d’utiliser d’autres matériaux que la terre végétale. Les matériaux potentiellement utilisables pour cela ont principalement le statut réglementaire de déchet. Ils sont produits par diverses activités humaines et ne sont pas forcément voués à une autre utilisation. Les sédiments de retenues hydroélectriques constituent, eux, de très bons candidats. D’une part, ce sont des matériaux qui présentent le statut de déchet et n’ont pas de voie de valorisation robuste établie. Les valoriser en construction de sol fertile pourrait alors être une solution durable pour leur gestion. D’autre part, ils proviennent de l’érosion naturelle des sols et des roches des bassins-versants. Ils présentent donc des propriétés physico-chimiques proches des sols naturels.
Toutefois, bien que la loi de transition énergétique pour la croissance verte de 2015 incite à la protection des ressources et à la valorisation des déchets, il n’existe pas de réglementation claire permettant de construire des sols fertiles à partir de matériaux alternatifs à la terre végétale. Pour autoriser l’utilisation des sédiments en construction de sol support de végétation, il est nécessaire de prouver leur intérêt agronomique, afin que cette pratique ne soit pas considérée comme un simple stockage de déchets, et il faut également prouver l’innocuité environnementale des sols construits, dans le but d’empêcher toute atteinte à l’environnement.
De l’utilisation des sédiments de retenue hydroélectrique
Une étude menée entre 2015 et 2018 par Agrocampus Ouest et EDF R&D a permis d’apporter de nombreuses réponses quant à l’utilisation des sédiments de retenue hydroélectrique pour la construction de sols fertiles supports de végétation. En effet, du point de vue agronomique, le frein principal à l’utilisation des sédiments pour construire un sol est, d’une part, leur absence de structure qui peut conférer au sol une faible porosité, laquelle limite la circulation de l’eau et de l’air disponible pour les plantes et, d’autre part, une forte masse volumique qui gêne le développement des racines. Cette étude a mis en évidence que les sédiments ont globalement des propriétés chimiques et physiques satisfaisantes pour supporter le développement de plantes. Certains sédiments peuvent même être qualifiés de très fertiles, proposant des propriétés agronomiques meilleures qu’une terre végétale d’origine agricole. Afin d’augmenter la fertilité des sédiments moins fertiles, un apport de matière organique, sous forme de compost de déchets verts s’est avéré très positif, aussi bien sur le plan nutritionnel que sur la fourniture en eau ou encore la structuration du sol construit. L’apport artificiel de matière organique a provoqué l’apparition de phénomènes pédologiques naturels tels que l’agrégation, au sein des sols construits.
Cette étude s’est également intéressée à l’aspect environnemental des sols construits. Les sédiments étudiés, comme la grande majorité des sédiments de retenue hydroélectrique, ne sont pas contaminés. De plus, les quelques traces de contaminants détectées dans les sédiments, comme dans la terre végétale étudiée, proviennent de métaux naturellement présents dans la roche qui constitue ces sédiments. Prisonniers au sein des particules de roche, ces métaux ne se déplacent pas dans les eaux qui percolent dans les sols. Ils ne constituent donc pas un danger pour l’environnement.
Des résultats prometteurs mais des limites réglementaires
Tous les résultats obtenus montrent qu’il est pertinent d’utiliser des sédiments de retenue hydroélectrique pour construire des sols fertiles supports de végétation. En cela, cette étude est une grande avancée pour la réutilisation de matériaux délaissés, comme les sédiments (mais il en existe d’autres) et pour la préservation des ressources naturelles en sol. Toutefois, il reste encore certains verrous à lever pour pouvoir les utiliser concrètement. D’un point de vue réglementaire, il est nécessaire d’apporter des preuves de l’innocuité des sédiments sur la santé humaine, dans le cas où les sols construits seraient utilisés pour produire de la biomasse alimentaire. Ce matériau pourrait alors être utilisé dans le cadre de projets d’agriculture urbaine : produire des aliments à partir de matériaux délaissés. L’une des pistes envisageables serait d’intégrer les sédiments dans la norme des supports de culture (NFU 44-551) qui régit la construction de sols en France. D’un point de vue technique, le verrou principal qui reste à lever pour l’utilisation des sédiments est celui de leur déshydratation partielle. En effet, une fois extraits des retenues, les sédiments sont saturés en eau et ne sont pas utilisables en l’état. Plusieurs techniques de déshydratation sont actuellement testées pour identifier une technique efficace et économiquement viable.
Construire des sols à partir de sédiments de retenue hydroélectrique constitue un bon exemple d’économie circulaire. Ceci permet de préserver les ressources naturelles tout en valorisant des matériaux délaissés. Il reste maintenant à concrétiser cette idée techniquement pertinente, notamment en la diffusant auprès des citoyens, des décideurs et des aménageurs.
À lire
MEEM (2017) Artificialisation : de la mesure à l’action. Ministère de l’Environnement, de l’Énergie et de la Mer, en charge des relations internationales sur le climat. Rapport Théma analyse, 46 p
Gaëtan Fourvel, 2018, Valorisation agronomique des sédiments fins de retenues hydroélectriques en construction d’anthroposols fertiles. Thèse de doctorat d’Agrocampus Ouest, 292 p