Exubérantes forêts tropicales
Claude Rupé
Les forêts d’Outre-mer offrent une biodiversité exceptionnelle. Elles occupent plus de 8 millions d’hectares, soit plus d’un tiers des surfaces forestières françaises. Leur gestion est tout sauf marginale. Les défis, relevés au quotidien, dépassent ici les enjeux forestiers classiques…
Les forêts des quatre départements français d’Outre-mer (Guyane, Guadeloupe, Martinique et La Réunion) couvrent 8,7 millions d'hectares dont une immense part, environ 7,5 millions d'hectares, appartient à la forêt tropicale guyanaise. Le domaine forestier public de La Réunion représente environ 100 000 hectares, celui de La Guadeloupe et celui de la Martinique 49 000 hectares, soit environ 40 % de leur superficie. L’Office National des Forêts [1] gère les forêts publiques des départements d’Outre-mer (soit 5,7 millions d'hectares) à l’exception de celles de Mayotte qui a cette année accédé au statut de département. Si les principes de gestion durable sont les mêmes qu’en métropole, la conduite de ces forêts présente un certain nombre de spécifi cités qui ne sont pas seulement liées aux essences forestières.
Une biodiversité exceptionnelle mais menacée
Environ 80 % de la biodiversité française réside dans les régions d’Outremer. Un hectare de forêt guyanaise héberge 200 à 300 espèces d’arbres différents et la flore autochtone de La Réunion abrite 35 % d’espèces endémiques. Cependant, cette extraordinaire biodiversité est en même temps très menacée : les Départements d'Outremer (Guadeloupe, Martinque, Guyane, la Réunion) font partie des « points chauds » planétaires de biodiversité. Le taux d’extinction des espèces y est 60 fois plus élevé que dans l’Hexagone. Le cas le plus délicat est certainement celui de La Guyane où l’orpaillage clandestin - l’extraction illégale de l’or néfaste pour l’environnement - entraîne sur le plan forestier des dégâts considérables. La bordure littorale des Antilles est également menacée. Ces terrains, anciennement propriété royale, remis à l’ONF au début des années 80, sont aujourd’hui le siège d’empiètements et de pressions multiples (tourisme, urbanisation anarchique, agriculture). Ils ne sont à ce jour que partiellement régularisés. Pourtant, ils assurent, conjointement avec les terrains du Conservatoire du littoral, le maintien de la fraction naturelle du littoral de ces îles.
La protection des écosystèmes remarquables
Pour bien protéger, il faut aussi bien connaître. En conséquence, l’ONF a entrepris depuis des années, et en partenariat avec de multiples organismes, comme les conservatoires botaniques, les universités, les associations et les instituts de recherche (CIRAD [2], IRD [3], AgroParisTech), un travail de fond au niveau de la connaissance des espèces et des habitats. Si le niveau de connaissance générale est très bon dans les DOM îliens, il reste, en lien avec l’étendue du territoire, un travail considérable à faire en Guyane. Cette protection est indispensable en raison du développement très inquiétant des espèces exotiques envahissantes à l’exemple de l’ajonc d’Europe qui couvre désormais des surfaces considérables à La Réunion. Il s’agit avant tout, selon une stratégie défi nie avec l’État et les Parcs Nationaux, de s’orienter vers une détection et une lutte précoces. Cependant, en lien avec le degré d’envahissement, des actions plus lourdes et plus longues, faisant appel à toutes les techniques du génie écologique, sont souvent nécessaires.
[1] L’Office National des Forêts (ONF) a le statut d’EPIC (établissement public à caractère industriel et commercial).
[2] CIRAD : Centre de Coopération Internationale en Recherche Agronomique pour le Développement.
[3] IRD : Institut de Recherche pour le Développement.
État des lieux
En métropole, la production de bois est le moteur fi nancier de la gestion forestière, procurant au propriétaire et au gestionnaire l’essentiel de ses revenus. Quant aux régions d’Outremer, la situation est assez contrastée. La production de bois est marginale dans les quatre départements sauf en Guyane où elle n’atteint toutefois qu’un niveau modeste (80 000 m3). Dans les DOM, où il n’y a que très peu de revenus forestiers, l’intérêt d’une structure nationale comme l’ONF, serait d’opérer une péréquation entre forêts productives et peu productives. Les forêts jouent également un rôle clé dans le développement économique et touristique au sein de ces départements au fort taux de chômage. Et enfin, pour les trois DOM îliens, les forêts ont un statut de propriété particulier, le statut départemento- domanial : la propriété est en quelque sorte partagée entre l’État (et son opérateur l’ONF) et la collectivité locale. Ce statut, sans équivalent dans l’Hexagone, implique donc des relations quotidiennes et une forte proximité entre l’ONF et la collectivité départementale.
Le tourisme de nature
Il concerne aussi bien l’intérieur des DOM que le littoral. Ainsi à La Réunion, où ce développement correspond à une politique continue depuis plusieurs décennies, près de 1 000 km de sentiers régulièrement entretenus par les ouvriers de l’ONF sillonnent l’île. Plus de 350 aires d’accueil ont été installées et un réseau de 11 gîtes, propriété du département, se répartissent dans Les Hauts (l'ensemble des sites de La Réunion qui ne sont pas littoraux). Les différents produits de découverte, alliant visites guidées et hébergement, ont été mis en place et enfin, différents circuits etde nombreux guides viennent compléter l’offre.
Aux Antilles, les sites de l’intérieur du pays s’associent à ceux du littoral. Ainsi, la forêt domaniale du littoral occupe en Martinique 65 % du linéaire côtier de l’île. Les nombreux aménagements d’accueil obéissent tous à une même logique, à savoir la protection de milieux fragiles en canalisant a fréquentation touristique, tout en offrant des équipements fonctionnels et bien entretenus. Ces différentes actions sont réalisées dans le cadre de partenariats financiers étroits impliquant les collectivités locales (département et région), l’État, essentiellement via les fi nancements européens et l’ONF.
La production réglementée de bois en Guyane
Dans ce département, la production de bois est limitée mais néanmoins importante dans le cadre d’une recherche de développement endogène de ce département. Elle permet également à La France de participer au débat international concernant la protection des forêts équatoriales, en montrant que, dans le cadre d’une gestion durable, il est possible de concilier protection forte et développement économique. C’est ainsi que les forestiers guyanais mettent en oeuvre une gestion d’exploitation à faible impact, définie par la FAO (Food and Agriculture Organisation of the United Nations) comme étant « une opération d’exploitation forestière planifiée, précautionneusement mise en oeuvre et contrôlée afin de minimiser son impact sur le peuplement et les sols forestiers, et se basant habituellement sur une sélection des individus à abattre ». La récolte y est limitée à 4 ou 5 tiges par hectare, représentant 20 à 25 m3, et précédée systématiquement d’un inventaire exhaustif des parcelles à exploiter avec apposition de plaquettes et repérage des arbres par GPS. Un logiciel permet d’optimiser le réseau de pistes. La Certification de la gestion forestière, attendue pour 2012, devrait, au travers de la charte de bonnes pratiques, devenir un élément important dans la démarche d’amélioration continue de la qualité de l’exploitation forestière.