Établissements horticoles du Cannebeth : les fleurs de la passion
Jean-François Coffin
Les fleurs de la passion
« Nous avons posé nos valises à Mauguio avec mon mari le 1er décembre 1985 », explique Marie Levaux qui codirige les établissements horticoles du Cannebeth, dans l’Hérault. Tout a commencé à Angers. « Mon mari Philippe, natif d’Antibes et fils d’horticulteurs, était étudiant à l’INH (Institut national d’horticulture et de paysage) et moi, fille d’agriculteurs de la région de Saumur, j’étudiais l’économie. » Ils se virent et ils se plurent…
À la sortie de ses études, Philippe trouve un emploi aux pépinières Rey, dans le Var, où il fait ses armes. Marie le rejoint dans cette entreprise. Elle explique : « Je n’ai pas de formation scolaire mais j’ai acquis des notions de botanique et d’horticulture sur le terrain, de manière empirique. »
Le choix d’une niche
Bien vite est né le désir de bâtir un projet commun, celui de créer une entreprise. « Nous n’avions pas un sou en poche. Nous avons cherché du foncier, d’abord dans le Var mais les prix étaient trop élevés. » Une opportunité se présente près de Montpellier où une exploitation était mise en vente par la Safer, sans repreneur car elle comportait une grande serre de 2 500 m² (multi-chapelles) qui n’intéressait personne (« nous l’avons toujours… »). Le Crédit Agricole accorde les crédits nécessaires à ce jeune couple qui avait établi un plan de développement crédible. L’endroit était bien situé, à proximité de Montpellier, des grands axes de circulation et de l’aéroport.
Le contexte est favorable. Philippe a une idée en tête : cultiver des plantes méditerranéennes, la flore de sa région natale. À l’époque, il s’agit d’une niche intéressante (« Cela a bien changé aujourd’hui, avec la concurrence des pays comme l’Espagne »). De plus, le gel de 1985 a « boosté » le secteur, les particuliers devant regarnir leurs jardins. « Il y a eu une dynamique commerciale hors normes. »
Un couple complémentaire
Philippe et Marie créent leur gamme méditerranéenne avec pour but de produire pour le marché de gros. Ils achètent des jeunes plants, les élèvent tout en rénovant l’exploitation. S’ils n’avaient pas encore réellement de marché, il fallait bien produire pour montrer aux clients la gamme qu’ils leur offraient. Et d’augmenter régulièrement la surface de l’exploitation « pour continuer notre développement et nous assurer des marchés. »
Aujourd’hui, la démarche est plus étudiée. « Si l’objectif initial était d’avoir des lignées méditerranéennes, dès le départ nous visions la qualité, notre fil conducteur, et la satisfaction du client final, même si nous ne lui vendons pas directement. » Les tâches sont bien réparties : « Nous sommes très complémentaires. Mon mari veille à la production. Moi, je m’occupe plutôt de la gestion et j’assume un rôle d’ambassadrice. »
Montée en gamme
La gamme évolue au fil du temps. « Il ne faut pas rester figés. Nous devons suivre l’évolution du consommateur et de la société. Nous devons avoir en permanence des antennes dans la filière et hors filière pour être à l’écoute du marché. »
Le végétal est plein de contrariétés pour notre société éprise de liberté, reconnaît Marie.
Avec les RTT, la cinquième semaine de congé, beaucoup de temps est consacré aux loisirs. Parallèlement, les cités se diversifient. On est dans la verticalité, on revient aux étages, avec des espaces de plus en plus minéraux, artificialisés. « On va avoir besoin du vivant. Et le végétal doit s’adapter à cette complexité. »
Toujours anticiper
« Pour envisager le marché, il faut se transposer à la place du client », estime Marie qui est en permanence dans la prospective. Face à un consommateur souhaitant le moins de contraintes possible, l’entreprise Cannebeth s’adapte. Le concept de « Tijardin Liberté » s’exprime dans une gamme proposant du prêt à poser, dans des pots avec réserve d’eau, assortis d’une mèche qui trempe dans la réserve, « ce qui offre au moins quatre jours de liberté ! » Tijardin Liberté vient, d’ailleurs, d’obtenir un « Innovert d’argent » au Salon du Végétal 2018.
En matière de couleur, pour lancer un clin d’oeil aux tendances, le fond de catalogue est basé sur le coloris de l’année élu par la société Pantone.
Un site internet a été conçu pour la vente par correspondance.
« S’il permet d’élargir un peu notre domaine de vente il contribue surtout à faire connaître la palette de nos différentes variétés. La notoriété est primordiale. »
Et l’entreprise a été la première à mettre les codes-barres imprimés sur les pots en usine. « L’innovation est notre moteur. Nous devons aller de l’avant, c’est notre ADN ! »
Rigueur et qualité
L’entreprise a toujours misé sur la qualité. « En tant que producteur de « nature », le Cannebeth est conscient de son rôle dans la préservation de l’environnement », souligne Marie. Aujourd’hui, plusieurs certificats le prouvent : certification ISO 14001, MPS, certification environnementale officielle qui couvre l’ensemble des familles de produits, « Plante bleue », label national de référence des horticulteurs et pépiniéristes français reconnu HVE niveau 3 et, enfin, le label « Fleurs de France » assurant l’origine française des végétaux.
Au Cannebeth, si le développement durable est une motivation, une volonté, une culture, des actions, les relations humaines en font partie. « Nous avons envie de construire une équipe épanouie, femmes et hommes, de respecter le personnel qui travaille avec nous, même si cela reste un objectif à atteindre. »
Ce qui fait également la fierté de l’entreprise Cannebeth est sa reconnaissance par le CCVS (cf. encadré) pour deux spécialités phares de la maison : Lantana et Bougainvillea. « Être reconnus comme collectionneurs de ces plantes entraîne une légitimité de notre travail, une notoriété, un capital. Au Cannebeth, la quête botanique fait partie des plaisirs de notre métier. »
Une filière à stimuler
Marie ressent le besoin de faire bouger la filière. Elle assure d’ailleurs des responsabilités à la FNPHP (Fédération nationale des producteurs horticulteurs pépiniéristes) et à Valhor (Interprofession horticole). « En France, l’horticulture, telle que nous l’avons connue, est finie. On assiste à une transition sociétale et politique. La filière doit en prendre conscience et s’adapter. Les consommateurs ont besoin de critères environnementaux, de vert, de bio, envie de nature et, paradoxalement, la profession souffre terriblement. On ne saisit pas les bonnes perches », déplore Marie en rappelant que le déficit de la balance commerciale du secteur horticole ne fait que s’accentuer. « À mesure que nous faiblissons, les autres rentrent. On ne gagnera pas la bataille par du dumping. »
Marie reste optimiste pour son entreprise, qu’elle a bâtie avec Philippe sous le signe de l’amour : celui du métier et celui d’un homme et d’une femme. Et de conclure : « J’ai épousé un homme et une passion ! »