Esquisse pour une histoire des jardins publics

Daniel Lejeune

Succédant à l’urbanisation ouverte des Romains, les vagues d’insécurité médiévale entraînent une très forte contraction des villes à l’intérieur des fortifications. Les seuls espaces ouverts à tous se résument alors aux flores de pierre des églises et cathédrales, héritées de Constantinople.

Le jardin du Luxembourg au XIXe siècle
La Renaissance propose de nombreux et riches jardins, pour la plupart privés, à l’exception peut-être des tout nouveaux jardins botaniques entièrement dédiés au savoir (Montpellier 1593, Paris 1635). Au service de la pharmacie, les jardins botaniques se multiplièrent durant les XVIIIe et XIXe siècles, constituant par la suite un patrimoine public précieux à de nombreux égards.
 

Longtemps interdits

Jusqu’au XVIIe siècle, hors places et foirails, ou « tour des remparts », le public n’est admis qu’avec parcimonie à pénétrer dans les grands parcs royaux ou seigneuriaux. Si l’on en croit pourtant le témoignage du docteur Lister, ami de l’ambassadeur d’Angleterre, le public parisien fréquente facilement et même nuitamment les Tuileries, les jardins du Palais Royal, ceux du Luxembourg, de l’Arsenal, ceux des Chartreux, des Célestins ou de Sainte-Geneviève. Il faudrait y adjoindre le pré aux Clercs, situé près de Saint-Germain-des-Prés et naturellement, le Jardin du Roi, futur Jardin des Plantes.

En Angleterre, si souvent citée en exemple, l’accès du public aux parcs des nobles était non moins parcimonieuse et ce jusqu’au XIXe siècle. Loudon indique à propos du célèbre parc Saint-James : « Jusqu’en 1832, le public était exclu de la plus grande partie de ce parc déjà fort limité ; depuis cette époque, quelques allées sablées, ornées de groupes d’arbustes exotiques, sont livrées aux promeneurs à pied… tout dans les jardins publics est sacrifié à ceux qui ont des chevaux et des voitures… ». «Tout ce que ce parc (du Régent) renferme d’agréable, frais gazons, épais ombrages, le public en est exclu par des barrières et des portes fermées… ».
 

Flâneries vertes…

Nous retiendrons deux aménagements parisiens qui ont marqué l’histoire des promenades de la capitale. Le premier est la restauration des jardins des Tuileries par André Le Nôtre. Le second est la création en 1804 du cimetière de l’Est parisien ou « Père Lachaise » par l’architecte Théodore Brongniart (1734-1813). Ce cimetière, établi d’abord sur 17 hectares et porté progressivement à 43 hectares, est le premier témoignage parisien d’une réalisation dans laquelle la promenade a toute sa place. Pour ce qui est de la province, de hauts fonctionnaires entreprennent dès la fin du siècle la réalisation de promenades à l’occasion d’aménagements utilitaires. En Languedoc, ce sont des nécessités hydrauliques qui sont à l’origine des monumentaux jardins de la Fontaine à Nîmes (1745) ou de la promenade du Peyrou à Montpellier (1766 -1777). Puis, la Révolution, transformant de nombreux parcs en biens nationaux, provoqua leur ouverture au public. Ce fut le cas des 800 hectares du « petit parc » de Versailles ou de Monceau, ancienne propriété des Orléans. Il en fut ainsi dans toutes les villes.
 


D’une époque à l’autre : premiers jardins publics…

Le Directoire, le Consulat et le premier Empire ne brillèrent pas par des créations de jardins publics. Leurs soucis les portaient ailleurs. Il fallut attendre la Restauration et  surtout la Monarchie de Juillet pour voir quelques réalisations, d’ailleurs encouragées par la naissance du mouvement horticole (la Société d’Horticulture de Paris a été créée en 1827). En 1844, Ysabeau et Bixio peuvent encore écrire : « Nous avons en France bien peu de jardins publics. Nous n’en comptons pas un par chef-lieu. La plupart de ceux qui ornent nos villes du second ordre servent en même temps à réunir les plantes nécessairesà l’étude de la botanique… ».

La notion de jardin public, exposée pour la première fois dans les années 1830 par Loudon, est contemporaine de la révolution industrielle et des premières concentrations urbaines. Elle procède d’un mouvement d’urbanisme hygiéniste et social. Les Anglais s’en préoccupèrent donc de bonne heure, mais les Allemands furent  emarquablement actifs et finalement mieux décidés avec les réalisations spécifiques du trop méconnu Peter-Josef Lenne dont le célèbre parc de Magdebourg (1824) livrait au public l’intégralité de ses 60 hectares. Il faudra néanmoins attendre plus de deux décennies pour que le préfet Rambuteau réalise le premier vrai jardin public de Paris : le jardin de l’Archevêché. Mais c’est avec l’avènement de Louis Napoléon Bonaparte et les immenses travaux de l’équipe d’Haussmann qu’apparaissent la plupart des parcs et jardins publics, luxueusement vantés dans la prestigieuse publication « Les Promenades de Paris ». Les objectifs de ces aménagements sont simples : se divertir, se rencontrer, se montrer dans un décor codifié et proposant un résumé des scènes la nature. Il s’agit aussi de répartir les parcs et jardins de manière à satisfaire
l’ensemble des quartiers et de leurs couches sociales. Cette politique urbaine qui avait une valeur sociale certaine fut confirmée par la IIIe République.
 

L’urbanisme végétal

La plupart des villes de province imitèrent Paris : la Tête d’Or à Lyon, le Thabor à Rennes, les Prébendes d’Oë à Tours (Bühler), le parc Borély à Marseille, le « Bois de Boulogne » à Lille ou le parc Barbieux à Roubaix (Barillet-Deschamps) les parcs de Monte-Carlo (André)… Le Second Empire est à l’origine de ce que l’on appelle aujourd’hui l’urbanisme végétal. Ce dernier s’exprime dès la fin des années 1850 avec brio dans les villes d’eau, dont Vichy reste le meilleur exemple, mais aussi dans l’intéressante expérience de De Choulot au Vésinet. Le chapelet des gares de chemin de fer est aussi un chapelet de mini-jardins publics. Il n’est plus de programme d’aménagement qui ne comporte un volet horticole. Nous observerons encore qu’à cette même époque, la neutralisation de certaines fortifications (Luxembourg, Belgique) fut l’occasion de grands renouvellements urbains où promenades et jardins publics trouvèrent leur compte. L’école française d’Art des Jardins fut largement mise à contribution dans toute l’Europe, depuis le réaménagement du Prater à Vienne, en passant par la création de squares dans les villes de la jeune Italie et même…en Angleterre, puisque le deuxième parc public de Liverpool fut confié à Edouard André dès 1867.
 

Et ailleurs…

Une autre approche du parc public concerna le continent américain où les villes-champignons offrirent un terrain d’expérimentation original à Frederick Law Olmsted dont les parcs, réalisés à une périphérie urbaine provisoire, se trouvèrent rapidement englobés dans l’habitat Olmsted appliqua cette stratégie à travers treize États américains (Central Park à New York, Prospect Park à Brooklyn, South Park à Chicago…) et fut imité à Montevideo par Edouard André en 1890.

Système… le mot est lancé ! Ce fut dorénavant une préoccupation urbanistique majeure que de s’efforcer de répartir et surtout de relier les différentes surfaces vertes entre  elles. Signalons à ce sujet la pensée féconde de Jean-Claude Nicolas Forestier, paysagiste et urbaniste à la Ville de Paris. C’est sur son insistance qu’en 1904, Bagatelle  (l’ancienne folie d’Artois !) fut acheté aux héritiers de sir Richard Wallace, donnant le coup d’envoi à la politique foncière au service des espaces verts publics. Une nouvelle étape d’intégration des parcs et jardins publics se mit en route à l’occasion des reconstructions succédant aux deux conflits armés du XXe siècle (Reims, Caen…). Aujourd’hui, avec le Grenelle de l’environnement et la montée en puissance de la prise en compte environnementale, les préoccupations sont les mêmes mais le vocabulaire a changé. On parle de trame verte, de couloirs de biodiversité…

Les parcs d’attraction s’intéressent désormais à la botanique : Terra Botanica prend le relais de la Source, de Vincennes ou de la Beaujoire.

Autres temps…

Autres jardins publics !