Édito : « Le sol : un capital à protéger »
Gilles Carcassès
Ouf ! J’ai fini d’emménager dans ma belle maison toute neuve. Maintenant, je m’attaque au jardin.
Je fais le tour du désastre. Ça ne va pas être simple. Le sol est à peu près plat, on voit encore les traces de godet de l’engin de terrassement. Mieux que plat, lissé. Mais qu’est-ce que c’est que ce sol ? Je n’ai rien contre l’originalité, mais un sol gris-bleu, cela m’inquiète tout de même un peu. Goguenard, mon voisin paysan m’explique : c’est normal, le terrassier a mis la mauvaise terre par-dessus la bonne. La bonne terre ? Il faudra que je demande un jour à Jardins de France de nous faire un dossier là-dessus.
Je creuse, pour voir. Effectivement, à 20 centimètres de profondeur, le sol est radicalement différent : marron foncé et il ne colle pas aux outils. Je m’attelle donc à une tâche titanesque : remettre les couches dans le bon ordre. J’invente pour cela une technique de bêchage manuel à double jauge. J’ai bien fait de commencer par le coin potager, car je ne suis pas allé plus loin.
Sous la terre marron foncé, il s’en trouve une autre plus claire. A la limite de ces deux couches, un caillou bizarre attire mon attention. Je le nettoie, c’est un silex taillé par un homme préhistorique ! Mais que fait-il enterré si profond ? J’ai bien vu que les taupes remontaient des petits cailloux du sous-sol, mais non, je ne crois pas qu’elles auraient enterré un gros silex. J’ai lu qu’au fil des siècles et des dépôts de poussières, le niveau du sol finissait par monter. Sous le sol, le paléosol ?
Pour le petit potager, le sol est prêt, je peux semer mes radis. Pour le reste du terrain, je ratisse comme je peux et je fais dans un coin du jardin un bon tas de grosses pierres. Il paraît que c’est formidable pour abriter les lézards.
Ne doutant de rien, je sème le gazon sur la glaise écorchée. Devant l’ampleur de l’échec, et ayant entendu parler des vertus de la matière organique pour créer un sol vivant, je me fais livrer deux camions de compost mûr. Le camionneur dépote là où il peut, c’est-à-dire devant la porte du garage. Si je veux un jour récupérer ma voiture, par exemple pour aller au travail, je dois débarrasser cette énorme montagne à la brouette. Sous la pluie, la corvée tourne au bagne. Glissades intempestives et blocages de la roue de la brouette engluée dans la glaise ponctuent un week-end mémorable.
Depuis, la verdure a poussé. Je fais régulièrement la chasse aux grosses touffes de rumex. Cette plante adore mon jardin. Serait-ce une plante indicatrice des sols lourds ?
J’ai planté des arbres, mais certains sont morts, laissant la place à une foison de champignons, des armillaires couleur de miel, même pas comestibles. Mon voisin paysan m’explique : j’ai attrapé le pourridié, c’est ce qui arrive quand on enterre du bois sous la glaise…
Jardins de France, au secours ! Au moins éclaire ma lanterne !