Édito : Eaux et Jardins
Daniel Lejeune
L'EAU, SOURCE DE VIE A RESPECTER
Il n'y a pas de vie sans eau. L'eau salée tout d'abord, celle de la mer, d'où sont sortis les premiers végétaux, puis les animaux qui gardent dans leurs humeurs internes le souvenir de la salinité originelle. C'est pourtant désormais l'eau douce qui est précieuse aux êtres vivants.
Nymphea © J.-F. Coffin
Il faut beaucoup d'eau pour baigner les cellules, pour les faire fonctionner, pour assurer un milieu favorable à la reproduction. L'eau, merveilleuse lorsqu'elle est pure et jaillissante d'un torrent, lorsqu'elle forme des baignades naturelles, froides ou chaudes, comme c'est le cas en Islande ou au Japon. L'eau inquiétante, lorsqu'elle dort et que l'on en ignore la profondeur et les perfidies. L'eau joyeuse et amusante lorsqu'elle jaillit en gouttes capricieuses et en courbes élégantes... L'eau des anciens Grecs, qui avaient caché des Dieux et des Déesses derrière toutes les manifestations de la nature et qui avaient fait la part belle aux arbres et aux eaux. L'eau du jardinier, vivrière et symbolique dans le paradis des Perses, les jardins hispano-mauresques ou les cloîtres médiévaux. L'eau, témoin de la civilisation, depuis les Romains, grands maîtres du captage, de l'acheminement et de la gestion des eaux publiques, thermes, fontaines et piscines, jusqu'aux ingénieurs et hygiénistes du XIXe siècle sans lesquels les villes seraient invivables. Pensons à l'œuvre remarquable de l'ingénieur Eugène Belgrand, génie du Paris souterrain autant qu'Alphand fut celui du Paris aérien. Nous n'aurons non plus garde d'omettre les superbes réalisations techniques mais aussi paysagères que furent les canaux, celui du Midi, dû au célèbre Pierre-Paul Riquet et qui en est l'emblème fameux.
L'eau, symbole parfois dispendieux du pouvoir et de ses caprices et dont les excès seront bien près de ruiner le pays, à part égale avec les guerres : à Hesdin ou à Saint-Germain, on se contentait de gâter malicieusement les robes de dames. A Versailles, on se posera sérieusement la question de détourner la Seine pour mieux approvisionner le domaine royal.
Avec le jardin paysager, l'eau, toujours indispensable, se fera évocation plutôt qu'exhibition.
"Il y a entre le réel et le convenu, entre l'art et la nature, un milieu nécessaire à la jouissance sédentaire du grand nombre. Combien de pauvres citadins n'ont jamais vu et ne verront jamais les sites pittoresques de l'Espagne, de la Suisse et de l'Italie, et les enchantements de la perspective particulière aux grands accidents de la montagne et de la forêt, du lac et du torrent, qu'à travers les fictions de nos théâtres et de nos jardins ? Il est impossible de leur en présenter des spécimens réels ; il faut se borner à copier un détail, un recoin, un épisode. Je ne puis vous apporter l'Océan, contentez-vous d'un récif et d'une vague."[1]
Enfin, jardins au bord de l'eau, dans l'eau ou sur l'eau...que de prouesses et d'étonnement ! De la part des plantes dont les stratégies adaptatives sont multiples mais aussi de la part du jardinier qui a inventé jusqu’aux jardins flottants. Les auteurs qui nous ont accompagnés dans la réalisation de ce dossier sont des spécialistes et des passionnés. Vous prendrez plaisir à les lire. Vous n'aurez cependant garde d'oublier qu'une part importante de l'humanité est privée ou rationnée en eau potable et qu'une marche de plusieurs kilomètres est parfois le préalable à sa cuisine minimaliste. Gaspiller l'eau est une irresponsabilité. La polluer est un crime. Refuser de la partager, une source de guerre. Fidèle aux principes du développement durable, le jardinier agira localement mais pensera globalement. Il sera respectueux de cette merveilleuse source de vie : l'eau.
[1] George Sand, Paris-Guide, 2e partie "La vie" : la Rêverie à Paris, pp 1196-1203 , Bruxelles, Lacroix, Verboeckhoven et Cie, 1867.