Édito : Bienvenue dans un monde fascinant
Jean Garbaye
La « révolution verte » de la seconde moitié du XXe siècle a permis un formidable bond en avant de la production agricole dans le monde grâce à la mise en œuvre conjointe de l’amélioration génétique des plantes et de l’agrochimie avec les engrais minéraux et les pesticides de synthèse. Ce modèle est actuellement remis en cause du fait de l’épuisement des gisements de phosphate, du souci de préserver la qualité des sols et des eaux et surtout la santé humaine. Les agronomes se tournent donc de plus en plus vers des approches alternatives basées sur la gestion raisonnée des microorganismes qui interviennent à toutes les étapes du développement des végétaux. Parmi ceux-ci, les champignons qui forment des associations symbiotiques obligatoires avec les racines sont les plus prometteurs car ils contribuent de multiples façons au rendement des cultures : protection contre les pathogènes et les polluants toxiques, absorption de l’eau et des éléments nutritifs, mobilisation du phosphore, de l’azote et des oligoéléments à partir de composés insolubles, stimulation hormonale, amélioration de la qualité nutritive et organoleptique des produits végétaux, etc.
Les mycorhizes sont au centre de tous ces mécanismes. On appelle ainsi les extrémités les plus fines des racines qui renferment certains champignons symbiotiques spécialisés assurant les fonctions précédemment évoquées. On a même coutume de dire qu’en fait, les plantes n’ont pas de racines, elles ont des mycorhizes ! C’est pourquoi la Société Nationale d’Horticulture de France a entièrement consacré son colloque scientifique de 2012 aux mycorhizes. Ce dossier de Jardins de France a fait appel aux intervenants du colloque et à quelques autres experts, chercheurs et praticiens de France et du Canada pour présenter un panorama complet des connaissances scientifiques actuelles sur le sujet et des applications que l’on commence à en faire pour améliorer les productions végétales. C’est ainsi que le lecteur découvrira successivement comment les champignons et les plantes ont symbiotiquement coévolué depuis le début de la colonisation des continents il y a plus de cinq cents millions d’années, les différents types de mycorhizes qui concernent les grands groupes de végétaux, les applications pratiques en horticulture, en sylviculture et en grande culture, la production de champignons comestibles, le reverdissement de sites dégradés ou la dépollution des sols. Les implications écologiques de la généralité de la symbiose racinaire sont aussi évoquées, avec en particulier la nécessité d’adapter la création variétale à la réponse symbiotique des espèces et les techniques culturales à la préservation du potentiel biologique des sols. L’accent est également mis, par des aménageurs et des prestataires de services, sur les moyens de détecter, d’observer, de quantifier et de qualifier le statut symbiotique d’une culture afin de prendre des décisions de gestion appropriées. La technologie des inoculants mycorhiziens et le principe de la mycorhization artificielle sont ensuite discutés. Enfin, des groupes de végétaux ornementaux emblématiques, comme les orchidées et les plantes de terre de bruyère, dévoilent leurs affinités très particulières en matière de champignons partenaires et les conséquences pratiques qui s’ensuivent. Mais surtout, le jardinier amateur trouvera dans ce dossier les éléments pour une nouvelle façon de voir et de conduire ses arbres, ses arbustes, ses fleurs et ses légumes avec la satisfaction de se savoir contribuer au maintien à long terme de la fertilité biologique de son sol.
Bienvenue dans le monde fascinant des mycorhizes, et bonne lecture !
mars - avril 2013