Écologie et évolution au service de l’ingénierie des sols
Les citoyens s’intéressent de plus en plus à la qualité de l’environnement (biodiversité, eau, air, sols), à l’impact du changement climatique et à la qualité de leur alimentation. Dans ce cadre, la connaissance des organismes du sol et leur mobilisation sont essentielles pour l’agriculture comme pour le jardinage.
Des sols vivants
Les sols hébergent une biomasse supérieure à celle de la partie épigée(1*). Le nombre d’espèces bactériennes estimées par gramme de sol est compris entre 104 et 107, soit 1 à 4 % du carbone du sol. La taille de ces organismes peut varier d’un facteur 106 entre les plus petits et les plus grands (2*). La biodiversité joue un rôle central dans les fonctions de l’écosystème global. Ainsi, une plus grande diversité de champignons mycorhiziens s’accompagne d’une diversité végétale accrue, d’une meilleure utilisation des ressources et donc d’une meilleure productivité. Inversement, la réduction de diversité conduit à un amoindrissement de fonctions telles que la minéralisation de la matière organique et la dénitrification.
La qualité des sols, dépendante de la distribution spatiale des organismes.
Connaître cette répartition est une tâche difficile du fait de la grande variété des types de sols, de climats, de végétations et de modes d’usage des sols. Les principaux paramètres impactants sont tout d’abord les propriétés physico-chimiques, en particulier le pH, puis le mode d’usage des sols, notamment la diversité végétale. Pour les vers de terre, le climat est le déterminant majeur de la richesse spécifique. Pour les communautés microbiennes, la présence de zones riches en matières organiques au sein d’un profil de sol se traduit par une promotion de leurs activités. Mais ces zones résultent d’abord de l’activité de macro-organismes tels que les plantes et les invertébrés du sol. Les relations entre macro organismes et micro-organismes sont donc déterminantes pour le fonctionnement du sol.
L’influence des organismes du sol sur la croissance des plantes
La matière organique du sol est dégradée par les micro-organismes après avoir été préalablement fragmentée par la mésofaune ou enfouie par la macrofaune. Des nutriments, azote, phosphore et potassium, indispensables à la croissance des plantes, sont ainsi mis à disposition des végétaux. On estime que les bactéries minéralisent plus de 50 % de l’azote organique (4,5 g N/m2/an). Les fourmis, les termites ou les vers de terre sont responsables de modifications physiques jouant sur l’équilibre entre l’eau et l’air, indispensables aux plantes.
Par ailleurs, les organismes du sol influencent les plantes en modifiant leur développement et leur immunité via des molécules signal. L’effet des vers de terre sur le développement des plantes serait principalement dû à l’émission de composés proches des auxines. On considère que les vers de terre améliorent en moyenne le rendement des cultures de 25 % et le lombricompost de 26 %. Les plantes ont développé des stratégies pour s’adapter à leur environnement. Leurs rhizosphères sont colonisées par un microbiote diversifié qui contribue à leur adaptation aux stress abiotiques (déficit en eau et nutriments) et biotiques (pathogènes). La composition des exsudats racinaires favorise celle du microbiote associé. On peut citer l’importance des flavonoïdes dans l’établissement des symbioses bactériennes fixatrices d’azote. Au vu de la spécificité du microbiote rhizosphérique et de son importance pour la plante, et réciproquement de la plante pour ce microbiote, il a été proposé de considérer la plante et son microbiote comme un supra-organisme appelé holobionte. Les boucles de rétroactions positives entre plante et microbiote associé auraient ainsi permis d’accroître la performance de la plante et du microbiote associé sous l’effet de la sélection naturelle. Les holobiontes bénéficiant des boucles positives se disséminent plus facilement. Inversement, la présence de micro-organismes néfastes serait limitée par la sélection naturelle. Sur la base de ces processus évolutifs, le microbiote fonctionnel rhizosphérique serait donc globalement bénéfique pour la plante-hôte (Figure n° 1).
L’ingénierie agroécologique ou comment améliorer la durabilité des agrosystèmes
L’ingénierie écologique en contexte agronomique consiste à minimiser les intrants de synthèse et à promouvoir les services attendus en valorisant la biodiversité et les interactions entre organismes, en particulier entre plantes et organismes du sol. Les études permettent d’établir des référentiels indiquant, pour un type de sol et un mode d’usage, la gamme de variations normales. Nous pouvons alors réaliser un diagnostic de l’état des sols basé sur des mesures d’abondance, de diversité, de réseau d’interactions des communautés (bactéries, champignons, nématodes, vers de terre…). Une fois ces diagnostics réalisés, il est possible d’envisager différentes options d’intervention.
Dans les situations où il n’y a pas d’érosion majeure de la diversité, l’enjeu est alors de conserver la biodiversité et les activités correspondantes. Lorsque les mesures décrivant les communautés d’organismes du sol ne sont pas conformes à la gamme de variations normales, une première stratégie repose sur le choix des génotypes végétaux favorables au recrutement de populations microbiennes bénéfiques qui pourraient être inclus dans les programmes d’amélioration variétale afin de réduire l’usage d’intrants de synthèse. Une autre stratégie est de prendre en compte les couples plantes/micro-organismes, par exemple, pour améliorer l’efficacité de la symbiose. Une autre stratégie consisterait à profiter de l’impact de la macrofaune sur les micro-organismes pour modifier les communautés microbiennes de la rhizosphère dans un sens favorable à la plante. Afin de limiter l’usage d’intrants de synthèse, il est également possible de tirer parti de la complémentarité entre espèces cultivées qui mobilisent différents micro-organismes rhizosphériques. Ainsi, la fixation biologique de l’azote atmosphérique par une légumineuse (le pois, la luzerne…) permet à la culture qui suit d’utiliser les ressources en azote laissées disponibles par la culture précédente. Outre la production agricole ou horticole, il peut être pertinent d’orienter les communautés microbiennes et leurs activités vers le stockage de carbone dans les sols en relation avec la régulation climatique.
L’objectif est alors de limiter la minéralisation, qui s’accompagne de dégagement de CO2, aux seules périodes de prélèvement de la plante. Enfin, lorsque l’on souhaite compenser une fonction déficiente du sol, il est possible d’inoculer un organisme dit « d’intérêt ». Cette opération demeure délicate car elle doit veiller à ne pas rompre les mutualismes construits entre espèces « indigènes ». Par exemple, dans le cas des champignons mycorhizogènes (3*) à arbuscules, l’inoculation de souches plus performantes que celles indigènes reste envisageable. Les concepts de l’écologie et de l’évolution sont nécessaires pour développer des outils de diagnostic et proposer des stratégies d’ingénierie écologique des sols valorisant la biodiversité et les interactions biotiques au sein des agroécosystèmes.
Noëlle Dorion
Membre du comité de rédaction de Jardins de France
Sincères remerciements à Manuel Blouin et Philippe Lemanceau
pour leur relecture attentive.
(1*) Toute la biomasse qui se trouve au-dessus des sols (plantes,
animaux, microorganismes).
(2*) Mésofaune (100 µm à 2 mm), notamment acariens, collemboles… Macrofaune (> 2 mm), par exemple larves de coléoptères, limaces et escargots, vers de terre, divers vertébrés…
(3*) Champignons mycorhizogènes : champignons qui, en symbiose avec la plante, produisent des mycorhizes (on dit quelquefois champignons mycorhiziens).
POUR EN SAVOIR PLUS
Blouin M et Lemanceau P. 2021 Comprendre et valoriser les
interactions plantes-organismes du sol, p. 229-247. La transition
agroécologique: Quelles perspectives en France et ailleurs dans le
monde? (Tome I). Presses des Mines, série Académie d’Agriculture
de France (ISBN: 978-2-35671-620-0)