Des plantes ornementales ? Oui, mais des exotiques !
Daniel Lejeune
Nous sommes en 1861 et l’empereur inaugure le nouveau parc Monceau, ancienne Folie de Chartres, encore récemment domaine de la couronne royale, dont la périphérie a été concédée aux frères Pereire pour créer un lotissement de luxe[1]. Le service des Promenades de la Ville de Paris, dirigé par Alphand et Darcel a constitué une équipe avec le jardinier Jean-Pierre Barillet-Deschamps et l’architecte Gabriel Davioud pour transformer ce qui reste de l’ancien parc à fabriques de Carmontelle et Blaikie, en jardin public…
… Barillet-Deschamps expérimente ici, l’emploi durant l’été, de végétaux exotiques à grand effet jusque-là confinés dans les serres chaudes. C’est pour le public, une découverte des Cannas, des Alocasias, des Bananiers et d’autres plantes ornementales par leurs fleurs quand elles veulent bien les montrer, mais aussi par leur feuillage diversement et richement coloré.
Cette innovation devient rapidement une mode, une référence.
Nous proposons de vous faire découvrir trois auteurs et trois publications contemporaines traitant avec brio du sujet et toutes-trois faisant naturellement partie du fonds patrimonial de la SNHF :
E. J. Lowe et W. Howard : Les plantes à feuillage coloré, histoire, description, emploi.
Ce somptueux livre richement illustré et relié est une traduction de l’anglais publiée en 1865 par un nouvel éditeur : J. Rothschild (sans lien de parenté avec les célèbres banquiers). Ce dernier en dédicace la parution à Joseph Decaisne, professeur de botanique au Muséum, ancien président de la Société Nationale d’Horticulture de la Seine jusqu’en 1854, qui l’a soutenu « dans des moments difficiles ».
Comme le précise l’introduction, Charles Naudin, collaborateur de Joseph Decaisne, a présidé à la traduction et à l’adaptation au climat français du bel ouvrage de Lowe et Howard. Il ne tardera pas à écrire une suite en forme de second volume, dédicacée à Alphand collaborateur direct du préfet Haussmann.
Preuve de son succès, l’ouvrage a été réédité quatre fois, de 1865 à 1880.
Édouard ANDRÉ : Les plantes à feuillage ornemental
Dans les pages du Moniteur Universel de 1864 où la chronique d’Édouard André s’intitule « Revue Horticole », une série de quatre articles préfigure le travail publié chez Rothschildt [2] en 1866 dans une collection de petit format fort intéressante et intitulée « Bibliothèque horticole, agricole, forestière ».
Ce petit livre est encore dédicacé à Alphand qui, il est vrai avait recruté Edouard André en 1860 au moment de la création du « Grand Paris » :
« Vous avez donné à ces repos charmants et populaires de la grande cité, l’aspect tropical des végétations jusqu’ici réservées à nos serres. Grâce à vous, l’horticulture entre dans le domaine des beaux-arts, auquel elle apporte le précieux élément de la flore décorative. Le respectueux hommage de cette première étude vous appartiendrait encore, même si je n’y étais point attiré par le sentiment d’une profonde reconnaissance pour vos bontés ».
L’acceptation d’Alphand est publiée à la suite, ce qui n’est pas franchement l’usage, mais Édouard André a toujours su et saura encore ménager ses soutiens :
« Je n’ai fait que réaliser les intentions du Conseil municipal et celles de l’éminent magistrat qui nous crée un Paris si splendide et si prospère. Enfin, la meilleure part dans le succès obtenu par l’introduction des plantes tropicales au milieu de nos jardins publics, revient aux habiles collaborateurs, qui m’ont secondé dans cette œuvre nouvelle, et parmi lesquels vous occupez un rang distingué. »
Passez-moi la rhubarbe, je vous passerai le séné !
Les illustrations accompagnant le texte sont signées Riocreux, Yan d’Argent et… Ed. André qui, fidèle à sa stratégie du moment, ne dédaigne pas de prendre le crayon lui-même.
Certaines gravures sont le produit d’une imagination qui ne connaissant que des plantes jeunes en culture, ne peuvent qu’en extrapoler l’allure dans leur milieu. Le Ravenala [3] de Madagascar en est un exemple frappant.
Donné par l’auteur à la bibliothèque de la Société impériale et Centrale d’Horticulture, l’ouvrage a fait l’objet d’un rapport de lecture par les soins de Louis Neumann, responsable des serres du Muséum.
« Grâce aux somptueuses innovations de la Ville de Paris, qui donne maintenant le ton en horticulture, ce sont les végétaux à grand feuillage, aux coloris plus ou moins excentriques, qui forment le principal ornement des nouveaux jardins, des plus grands comme des plus petits… En présence de cette tendance que n’avaient pas prévue nos prédécesseurs, il était devenu nécessaire que quelqu’un entreprît de guider les nouveaux amateurs, dans le choix des plantes à feuillage décoratif, ainsi que dans les soins nécessaires à leur culture et à leur conservation. Un de vos zélés collègues, dont le style élégant vous est bien connu, M. André, jardinier de la ville de Paris, s’est dévoué à cette tâche… » [5] Mais les compliments ne sont suivis… que de remerciements [6]
Comte Léonce de Lambertye : Les plantes à feuilles ornementales en pleine terre. Botanique et culture
Cet ouvrage est le plus modeste des trois : l’indépendance du comte Léonce de Lambertye par rapport aux rouages du pouvoir, en fait sans doute aussi le plus sincère.
Edité chez Auguste Doin en 1866, c’est-à-dire à peu près simultanément à celui d’Édouard André, il est dédicacé au véritable auteur de ce nouveau système de fleurissement.
« À monsieur Barillet-Deschamps, jardinier en chef de la ville de Paris, créateur de la décoration des parcs par les plantes tropicales ».
Nous notons dans l’avant-propos :
« J’ai toujours aimé à reconnaître la valeur des hommes qui se rendent utiles ; or, personne, selon moi, n’a fait plus pour l’art moderne des jardins que M. Barillet-Deschamps. Il a créé par l’introduction des plantes tropicales en pleine terre, pendant l’été, un genre d’embellissement grandiose qui frappe et que l’on admire. »
Léonce de Lambertye, malgré la différence d’âge qui les séparait, fut par ailleurs un ami d’Édouard André. Ils étaient tous deux d’origine berrichonne et une habitude désintéressée d’échange de plantes s’était instaurée entre eux.
Une pensée pour Barillet-Deschamps
Pris individuellement, les trois ouvrages dont il est aujourd’hui question, ne seraient que des monographies techniques.
Leur mise en parallèle et un certain décryptage des dédicaces et avant-propos met en évidence une hégémonie montante du service des Promenades de la ville de Paris, face au Muséum qui était à l’époque la seule référence reconnue en matière horticole. Le développement de la nouvelle maison d’édition J. Rothschild s’inscrit en creux dans cette concurrence et Édouard André s’y meut avec aisance et diplomatie : Il a suivi les cours de botanique de Decaisne, il a été recruté par Alphand, il travaille sous les ordres de Barillet-Deschamps, il exerce sa future activité de publisciste au Moniteur Universel et il s’emploie à conquérir des responsabilités au sein de la Société Impériale d’horticulture… que d’intérêts divers à concilier !
Mais un homme modeste et doux se trouve quelque peu oublié : c’est pourtant le véritable auteur de cette nouvelle décoration végétale à la mode : Jean-Pierre Barillet-Deschamps.
A lire …
– Édouard André : Articles parus dans le Moniteur Universel 1863-1868. Textes recueillis et présentés par Daniel Lejeune. SNHF, 2011.
– Dominique Cesari : Les jardins des lumières en Île de France. Parigramme, 2005
– Adolphe Alphand : Les Promenades de Paris, Histoire et description des embellissements… J. Rothschild, 1867-1873 (reprint Connaissance et Mémoires, Paris, 2002)
[1] Où la villa du chocolatier Menier inspirera Emile Zola pour décrire l’hôtel du banquier Saccard, dans son roman La Curée.
[2] La mode en horticulture – Les plantes à feuillage ornemental, description, histoire et culture. Moniteur Universel 1864 pp 1069, 1240, 1276 et 1438
[3] Arbre du voyageur
[4] Arbre du voyageur
[5] Journal de la Société Impériale et Centrale d’Horticulture, 1866 p 163
[6] Ce n’était qu’un petit livre modeste, mais la SICH n’appréciait que modérément la collaboration d’Édouard André au Moniteur Universel, journal ouvertement bonapartiste