Des microorganismes au service de nos plantes

Pour les plantes cultivées hors sol, la tourbe a longtemps constitué un très bon substrat. Mais d’autres ressources doivent être envisagées, comme les sous-produits de cultures et les produits de recyclage. Les recherches s’intensifient pour comprendre et optimiser les processus de minéralisation. L’activité des microorganismes du sol est scrutée de près !

On analyse au laboratoire les activités microbiennes impliquées dans les processus de minéralisation en milieu complexe substrat engrais organiques
On analyse au laboratoire les activités microbiennes impliquées dans les processus de minéralisation en milieu complexe substrat engrais organiques © L. Paillat
Le niveau de croissance du basilic après deux semaines de culture dans différents mélanges de substrats organiques alternatifs à la tourbe, en présence d’engrais organique ou minéral, est mesuré
Le niveau de croissance du basilic après deux semaines de culture dans différents mélanges de substrats organiques alternatifs à la tourbe, en présence d’engrais organique ou minéral, est mesuré © L. Paillat

Beaucoup de nos plantes sont produites hors sol sur substrats fertilisés. La tourbe a été largement utilisée comme substrat au cours des dernières décennies en raison de ses propriétés physico-chimiques optimales, telles qu’une faible densité apparente, une grande stabilité bio­chimique, une porosité élevée et une grande capacité de rétention d’air et d’eau, qui rendent ce substrat particulièrement adapté à la culture d’un grand nombre de légumes et de plantes ornementales.

Par quoi remplacer la tourbe ?

Néanmoins, son utilisation est remise en question pour des préoccupations écologiques car les tourbières sont des puits de carbone efficaces mais fragiles, qu’il est nécessaire de préserver. De même, les engrais minéraux de synthèse directement assimilables par la plante sont énergétiquement très coûteux à produire et polluants. Les ressources minières utilisées comme engrais ont également un coût environnemental non négligeable (perte de biodiversité, érosion des sols…), en particulier pour le phosphore (P) dont les réserves naturelles mondiales sont proches de l’épuisement. Or, nous disposons de nombreuses ressources plus durables pour produire nos plantes, avec, d’une part, des substrats organiques, souvent sous-produits de cultures ou d’industries (fibres de bois, écorces, lin…) ou « déchets » (compost des espaces verts) et, d’autre part, des fertilisants organiques issus du recyclage de divers produits animaux et/ou végétaux. Mais pour pouvoir être prélevés par les plantes, les éléments nutritifs contenus dans les fertilisants organiques doivent d’abord être minéralisés, par des micro-organismes hétérotrophes, en composés organiques simples (comme les sucres et les acides aminés) et en formes inorganiques, seules formes assimilables par les plantes.

Par exemple, l’azote organique doit d’abord être transformé en ammonium (NH4+) par ammonification, puis être converti en nitrate (NO3-) par nitrification, cette dernière forme étant la plus efficacement assimilée par les plantes.

Comment utiliser au mieux d’autres ressources organiques durables

Les microorganismes minéralisent la matière organique en premier lieu pour répondre à leurs propres besoins métaboliques en carbone (C), source d’énergie via le catabolisme, et en éléments indispensables aux biosynthèses microbiennes (C, N, P…). Aussi certains éléments peuvent ne pas être disponibles pour la plante, immobilisés dans la biomasse microbienne, générant un phénomène de compétition et un risque de carence pour les plantes. Les ratios C/N et C/P sont généralement de bons indicateurs du potentiel de minéralisation ou d’immobilisation du N et du P. Ainsi, les communautés microbiennes hébergées par les substrats vont avoir des réponses spécifiques quant à la présence d’engrais organiques. Des substrats dont le ratio C/N dépasse 30/1 sont considérés comme pauvres en azote et tendent à immobiliser cet élément. Ce phénomène s’observe en particulier dans les substrats riches en fibres de bois présentant des C/N très élevés (> 300) et dont les formes de carbone sont facilement utilisables par les microorganismes (celluloses, hémicelluloses et dérivés). Dans la pratique, ces substrats sont d’ailleurs souvent compostés avec apport d’engrais azotés, avant d’être commercialisés, pour éviter une trop forte immobilisation de l’azote en cours de culture, en réduisant la part de carbone facilement utilisable par les microorganismes.

Culture de basilic en serre dans différents mélanges de substrats organiques alternatifs à la tourbe en présence d’engrais organique ou minéral
Culture de basilic en serre dans différents mélanges de substrats organiques alternatifs à la tourbe en présence d’engrais organique ou minéral © L. Paillat

La minéralisation, un phénomène complexe

D’autres facteurs environnementaux tels que la température et l’humidité du substrat influencent grandement l’activité des microorganismes. L’élévation de la température conduit à un accroissement de la minéralisation des engrais organiques. La température de référence considérée comme confortable pour les microorganismes est de 20 °C. Toutefois, une élévation de 10 °C conduit à un accroissement de 10-15 % de cette activité. C’est ce qui a été observé dans un projet financé par le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation (Casdar, projet OptiFaz), dans lequel les substrats étudiés avaient une réponse commune aux variations de température. En revanche, l’effet de l’humidité sur la minéralisation n’a pas montré de tendance générique : les substrats ont des réponses différentes qui peuvent s’expliquer par leurs différences de disponibilité en eau et air, principalement dues à la granulométrie.

Cette problématique de gestion de la minéralisation des éléments nutritifs dans les cultures hors sol avec substrats et fertilisants organiques a été étudiée dans le cadre de la thèse de Louise Paillat, réalisée à l’Institut Agro en partenariat avec l’entreprise Premier Tech. En conditions contrôlées, la minéralisation des engrais organiques et les fonctions microbiennes associées (activités enzymatiques, catabolisme) dépendaient avant tout du type de substrat. Dans l’ensemble, la minéralisation de l’azote a été le processus le plus limitant dans les substrats étudiés, mais ces processus de minéralisation pourraient libérer des quantités excessives d’autres éléments minéraux, potentiel­lement dommageables pour les cultures, par les risques de salinité excessive et de toxicité pour les racines qu’ils induisent. Avec la tourbe, une accumulation d’ammonium a été constatée, liée à une nitrification limitée par un pH acide du substrat et un taux élevé de phosphore. Au contraire, un substrat à base d’écorces de pin compostées a présenté une forte capacité de nitrification, limitée par la disponibilité en ammonium. La fibre de coco a présenté un profil intermédiaire entre ces deux autres substrats.

L’écologie microbienne reste à explorer

Ces résultats montrent l’intérêt de constituer des substrats issus du mélange de plusieurs matières renouvelables. Leur comportement a été testé en serre sur une culture de basilic, pour évaluer l’efficience d’utilisation par la plante de l’azote et du phosphore disponibles dans le substrat, en présence de différents types d’engrais organiques. Les deux types d’engrais testés n’ont pas permis d’atteindre les niveaux de croissance obtenus avec un engrais minéral à dose d’azote équivalente. Comme pour l’activité microbienne, les performances de croissance des plantes, avec fertilisation organique, sont principalement déterminées par la nature du substrat. Sans surprise, la tourbe a fourni les meilleures conditions de croissance pour le basilic mais un mélange 70 % tourbe-30 % fibre de coco a donné des performances de croissance très proches du 100 % tourbe. Le remplacement complet de la tourbe semble donc difficile, surtout si on utilise principalement comme matériaux de remplacement des constituants ligneux. Ces matériaux présentent l’avantage de pouvoir être produits localement, mais ils fournissent les conditions favorables à une compétition élevée pour les éléments nutritifs entre la plante et les micro-organismes, en particulier pour l’azote, compétition qui s’est maintenue sur toute la durée de la culture. La gestion de la fertilisation nécessite donc d’être ajustée par rapport à une conduite conventionnelle. Par exemple, des suppléments en éléments nutritifs sous forme d’engrais organiques liquides en cours de culture pourraient être envisagés. De plus, l’introduction dans les substrats de matériaux à plus faible rapport C/N, comme le compost de végétaux, pourrait être une solution pour valoriser par l’horticulture des sous-produits à fort C/N.

Le projet Optifaz offre de nouvelles perspectives

La gestion de la disponibilité des nutriments dans ces substrats en fertilisation organique est donc une question d’écologie microbienne, c’est-à-dire d’interactions plantes-microbiote des supports de culture au niveau de la rhizosphère. C’est un domaine de recherche dans lequel il reste beaucoup à explorer, mais qui offre de nombreuses perspectives d’application dans le domaine horticole. La maîtrise de la prédiction de la minéralisation de l’azote des engrais organiques serait un outil d’aide à la décision précieux pour les producteurs afin de mieux planifier leurs itinéraires culturaux. Le projet OptiFaz a permis de développer un tel outil, dont les données d’entrée se veulent faciles d’accès (teneur en azote de l’engrais apporté, teneur en azote initiale du substrat, température du substrat). Il nécessite cependant d’être testé et validé sur davantage de couples substrats-engrais organiques.

 

Lydie Huché-Thélier
Ingénieure de recherches Inrae, IRHS

Louise Paillat
Chargée de projet, Premier Tech, Québec

René Guénon
Enseignant-chercheur, Institut-Agro Angers-Rennes, EPHor

Patrice Cannavo
Enseignant-chercheur, Institut-Agro, Angers-Rennes, EPHor