Des espèces légumières venues du monde entier
Michel Pitrat
Quelle est l’origine des légumes consommés régulièrement en France et en Europe ? Depuis les travaux de de Candolle, Vavilov, Harlan, nous avons beaucoup d’éléments de réponse à cette question, même s’il subsiste des incertitudes, en particulier à cause de la grande diversité des espèces légumières.
Le tableau ci-dessous présente les zones d’origine des espèces de légumes les plus consommés en France ou en Europe. Cependant, il faut distinguer l’aire de répartition de l’espèce sauvage, la zone où cette forme sauvage a d’abord été cultivée et domestiquée et enfin la région où le type variétal qui nous intéresse a été sélectionné.
Prenons l’exemple du haricot qui est d’origine américaine. Phaseolus vulgaris se trouve à l’état sauvage sur une grande zone allant du Mexique au centre des Andes. Deux domestications indépendantes ont eu lieu : l’une en Amérique centrale et l’autre en Amérique du sud. Ces deux sous-espèces sont parfois difficilement interfertiles. Un autre exemple est fourni par la tomate originaire d’Amérique du Sud, qui a été domestiquée en Amérique centrale et qui s’est diversifiée après son introduction en Europe.
Origine des types variétaux
On peut affiner l’analyse au niveau des types variétaux résultant de la sélection et de la diversification à l’intérieur d’une espèce donnée. Pour certaines espèces deux types très différents peuvent avoir été sélectionnés dans la même zone géographique. C’est cas pour le céleri rave et le céleri branche, de même la betterave et la côte de bettes, ou bien l’artichaut et le cardon. Inversement, pour l’espèce Brassica rapa, la forme « navet » a été sélectionnée pour la racine en Europe et au Proche Orient alors que la forme « chou chinois » a été sélectionnée pour les feuilles (Pe tsaï ou Pak choi) en Chine. Parmi les choux européens (Brassica oleracea), le chou-fleur et le brocoli seraient originaires de l’est de la Méditerranée alors que le chou de Bruxelles serait originaire de l’Europe du Nord. Dans l’espèce Cichorium intybus, les chicorées rouges (Radicchio) ont été développées dans la basse vallée du Pô alors que la chicorée à café et les chicons de Bruxelles l’ont été en Belgique. Prenons enfin l’exemple de la carotte. La forme sauvage s’étend sur une grande partie de l’Europe, l’Asie occidentale et centrale, la bordure sud de la Méditerranée. Dans les prairies naturelles, ainsi que sur les côtes atlantiques et méditerranéennes françaises, les carottes sauvages sont très fréquentes. Mais la carotte a été domestiquée en Afghanistan. De là les premières formes cultivées, qui étaient pourpres, ont été transportées par l’homme vers l’Europe et vers l’Extrême-Orient. La première carotte cultivée orange est apparue en Hollande au XVIIème siècle et s’est ensuite répandue dans le monde entier. Donc, bien qu’il y ait des carottes sauvages en France, les carottes orange que nous consommons sont originaires d’Afghanistan via la Hollande.
Des échanges enrichissants
Si nous ne devions consommer que les légumes originaires d’Europe, notre alimentation ne serait pas très diversifiée ! Ceci est également vrai non seulement pour les légumes, mais pour la plupart des autres plantes alimentaires (blé du Proche-Orient, riz de l’Asie, maïs et tournesol d’Amérique, pêcher, abricotier, pommier, poirier d’Asie…). Les échanges internationaux ont enrichi notre alimentation dès l’invention de l’agriculture et l’antiquité. L’apport de l’Amérique à partir de la Renaissance est particulièrement frappant : tomate, pomme de terre, haricot, courge, piment, topinambour, maïs doux…
De presque tous les continents
En termes de nombre d’espèces, tous les continents sont représentés sauf l’Australie-Nouvelle Zélande qui n’a fourni qu’un seul légume : la tétragone. On peut constater que de nombreux légumes-graines (pois, pois chiche, lentille, fève…) sont originaires de la zone Méditerranée et Proche Orient, sauf le haricot et le maïs doux d’Amérique et des Vigna d’Afrique ou d’Asie. D’Amérique ont été introduits de nombreux légumes-fruits (tomate, piment, courges mais aussi chayotte, pépino…), peu de légumes-racines (pomme de terre et topinambour ainsi que la patate douce) et très peu de légumes-feuilles. L’Afrique n’a fourni à notre alimentation que très peu de légumes-racines ou de légumes-feuilles.
Des espèces restées localisées
Cependant si l’on considère non plus les légumes consommés en France ou en Europe mais l’ensemble des légumes consommés dans le monde, on s’aperçoit que de nombreuses espèces sont restées localisées. Ceci est particulièrement vrai pour l’Extrême-Orient et l’Asie du Sud-Est où de nombreuses espèces consommées localement sont inconnues ou quasi-inconnues dans le reste du monde comme les bulbes de nombreuses espèces de lys (Lilium sp.) ou bien les feuilles de moutarde brune (Brassica juncea). Pourquoi ces légumes ne se sont-ils pas répandus plus largement ? Est-ce pour des raisons techniques ou culturelles ?
Les zones d’origine et/ou de domestication d’une espèce sont souvent, mais pas toujours, connues. Il est difficile de rentrer dans le détail des types variétaux à l’intérieur d’une espèce donnée.
Zones d’origine des espèces de légumes les plus consommés en France ou en Europe
A lire …
– A. de Candolle, 1883. Origine des plantes cultivées (Réédition Laffitte reprints, 1984)
– G. Gibault, 1912. Histoire des légumes (Réédition Menufretin, 2015)
– M. Pitrat et C. Foury, 2003. Histoires de légumes, des origines à l’orée du XXIe siècle, Editions Quae
Sans oublier le Méditerranée : manger méditerranéen c’est aussi très bénéfique 😉