Décor et jardinage : Les plantes aussi suivent la mode
Cette petite histoire des plantes, retracée au cours des soixante quinze dernières années, par l’expert en pépinières Michel Grésille, rappelle que les modes ont évolué, de la rareté à l’abondance. Les plantes participent totalement au décor de nos jardins, balcons et terrasses, de nos espaces verts, et donnent envie de jardiner.
Au XIXe siècle et au début du XXe siècle, nos gammes de plantes étaient riches au niveau des genres, des espèces, voire des variétés. Elles l’étaient notamment pour les arbres d’ornement, les conifères, les arbustes et pour les arbres fruitiers, tant au niveau des formes (tiges, demi-tiges, gobelets, espaliers) que des variétés.
1947-1960 : la France jardine
Les circonstances économiques, déjà de l’avant-guerre, puis de la guerre, avaient créé un ralentissement dans la production de l’ensemble des pépinières françaises. La demande de plantes ornementales et, encore plus, celle des plantes fruitières est forte, mais c’est la pénurie ! Il en sera de même pendant ces quinze années de l’après-guerre.
Durant cette période, on trouve plus particulièrement, au niveau des genres et espèces (les noms mentionnés étant ceux employés à l’époque) :
• Pour les arbres dits d’alignement, classés en arbres communs, arbres greffés, arbres à fleurs ou à feuillage coloré : acacia, catalpa, cerisier à fleurs, chêne, épine à fleurs, érables plane et sycomore, frêne, orme, marronnier, peupliers de Hollande et d’Italie, platane, pommier et prunier à fleurs, sophora des oiseaux, tilleul…
• Pour les arbres dits de haute valeur décorative : arbre de Judée, hêtre pourpre, liquidambar, tulipier de Virginie. Ou encore pour les pleureurs : bouleau, cerisier, frêne, pommier, orme, saule à bois doré, sophora. Signalons au passage, les « fameux » alignements du Prunus pissardii ‘Nigra’, avec l’Acer negundo panaché.
• Pour les conifères, Abies concolor, douglasi, excelsa, kosteriana ‘Glauca’, Cedrus atlantica, C. atlantica ‘Glauca’, deodara, Cupressus arizonica ‘Conica’, Cupressus lawsoniana ‘Alumii’, ‘Triomphe de Boskoop’, Pinus austriaca nigra, excelsa, Taxus baccata, Thuya lobbi, lobbi ‘Atrovirens’, occidentalis,orientalis…
• Chez les arbustes à feuilles caduques : aubépine, berbéris à feuilles pourpres, boule de neige, buddleia, céanothe, cerisier à fleurs, cognassier et corète du Japon, cornouiller à feuilles panachées, cytise, deutzia, érable negundo, forsythia, groseillier à fleurs, hibiscus, lilas, noisetier, pommier et prunier à fleurs, seringat, spirée, tamaris, weigélia.
• À feuilles persistantes : aucuba, berbéris, buis, cotonéaster, genêt, laurier-cerise, mahonia, osmanthe, troène vert, laurier-tin, yucca…
• Chez les plantes grimpantes, un grand intérêt est porté au jasmin nudiflore. Quant aux plantes de terre de bruyère, ce sont les mêmes que celles l’on retrouve aujourd’hui.
Ces années voient également le début d’un engouement pour les massifs de rosiers buissons à grandes fleurs (rappelons-nous ‘Mme A. Meilland’, la plus belle rose de France en 1942 qui sera vendue dans le monde entier sous le nom de ‘Peace’), les rosiers nains polyanthas à petites fleurs en bouquets et autres rosiers grimpants, voire pleureurs. Les plantes alpines et de rocailles, les plantes vivaces et les iris sont très présents.
On découvre alors les plates-bandes de plantes vivaces « mixed-border ». Les bulbes à fleurs d’été ne sont pas en reste avec les dahlias, les cannas et les glaïeuls.
Bon à savoir : en 1948, le Metasequoia glyptostroboîdes, un nouveau conifère est introduit en France. Il sera présenté à la SNHF en 1950 par les Éts Vilmorin. En 1956, Truffaut sort une nouvelle variété de fraisier: le fraisier grimpant Truffaut-Prodige. En 1947, paraissent de nombreuses publications : Les beaux fruits de France de Georges Delbard, la 12e édition de Comment on soigne son jardin, de Georges Truffaut, ou encore la 12e édition du Guide Clause.
1960 -1980 : l’engouement pour les plantes
Les grandes Floralies internationales vont mettre les plantes en scène : en 1956, ce sont les 1res Floralies internationales de Nantes, puis, en 1959, celles du Cnit de Paris La Défense, et à nouveau Nantes en 1963. À partir de là, elles prennent une autre dimension, restant temporaires, mais juxtaposées à l’ouverture d’un parc floral permanent : le Parc floral de La Source à Orléans en 1967, le Parc floral de Paris dans le bois de Vincennes en 1969 à Paris, le Parc de La Beaujoire à Nantes en 1971.
En 1967, lors de l’exposition temporaire, les Éts Georges Truffaut reçoivent le Grand prix d’honneur des floralies pour une scénographie dont les plantes retiennent l’attention des visiteurs
professionnels et des jardiniers amateurs : des bouleaux blancs plantés par trois, « en pied de marmite », sont associés à des pins noirs d’Autriche et des conifères nains, accompagnés en masse de rhododendrons, azalées, hortensias, rosiers, plantes vivaces et de rocaille. Toutes ces plantes vont devenir très à la mode dans les jardins, où les amateurs recherchent désormais l’esthétisme autour d’un gazon bien vert.
La culture des végétaux en conteneurs va faciliter leur diffusion et leur plantation: à la fin des années 1960, la production des pépinières françaises s’intensifie et peut désormais répondre à la demande des acheteurs. Le pépiniériste Jacques Derly est le précurseur de cette nouvelle technique importée des États Unis qui sera rapidement adoptée par un grand nombre de ses collègues. Les arbustes, y compris ceux de haies, sont cultivés en masse. Les pépiniéristes et les jardineries (à cette époque « garden-centers ») se développent. Cette nouvelle technique de culture va permettre aux jardiniers de planter désormais toute l’année des végétaux, même en fleurs, avec succès. C’est à cette période que se développent les résidences pavillonnaires, dont les maisons dominent souvent une descente vers le garage. C’est aussi la grande époque des résidences secondaires.
Les plantes alors les plus recherchées sont celles destinées à composer une haie. Celle-ci est mono-espèce et bien taillée, composée de troène, laurier-palme, Thuya plicata ‘Atrovirens’, Chamaecyparis lawsoniana ‘Alumii’ ou ‘Columnaris’, et plus tard x Cupressocyparis leylandii. Les arbres à la mode à cette période sont le bouleau blanc, en cépée ou en groupe, l’érable pourpre, le saule pleureur, le conifère bleu (sapin ou cèdre), les arbres fruitiers, en tout premier lieu le cerisier. Les arbustes à fleurs de printemps et d’été y trouvent aussi leur place. Il n’est pas rare qu’un gynérium soit installé en vedette ! Dans les talus et les descentes de garage, les plantes couvre-sols (cotonéasters et plantes vivaces de rocaille) sont très présentes. Elles se retrouvent également dans des rocailles, dont la mode est alors très répandue. Les bulbes à floraison printanière sont aussi plantés en grand nombre.
Bon à savoir : en 1965, les Éts Georges Truffaut introduisent l’actinidia de Chine, et l’année suivante, les variétés ‘Bruno’, ‘Hayward’, ‘Monty’ de Nouvelle-Zélande. En 1974, ils diffusent sur l’Île-de-France le Lagerstroemia indica (lilas des Indes) des pépinières Desmartis.
1980 -2000 : une offre pléthorique
Les catalogues des pépiniéristes se sont étoffés progressivement au cours de la précédente décennie avec l’importation de nouvelles plantes, venues non seulement des grandes pépinières européennes, mais aussi de nombreux pays du monde entier. Ils vont continuer de s’enrichir, avec l’introduction de nombreuses obtentions horticoles. En France, les recherches en innovation variétale sur les plantes ornementales se développent, en relation directe avec les pépiniéristes, à l’Inra d’Angers à partir de 1972. Les acteurs de la production et de la distribution de la filière horticole s’organisent. Les plantes sont étiquetées individuellement (Truffaut, 1978) et commencent à être accompagnées de « chromos » pour capter les jardiniers amateurs. L’arrivée des fêtes des plantes au début des années 1980, la recherche et les créations des pépiniéristes collectionneurs vont répondre à l’avidité des jardiniers pour les nouveautés. Les jardineries ouvrent le dimanche et deviennent un lieu « de promenade ». Notons que l’hiver rigoureux de 1985 va entraîner un certain « frein » sur l’engouement pour les plantes exotiques de climat doux.
La haie mono-espèce taillée, où l’on trouve aussi l’Eleagnus x ebbengei et le Photinia x fraseri ‘Red Robin’, servant de clôture persistante, évolue au fil des années vers la haie variée plus libre, en associant des arbustes à feuillage persistant (un tiers) et des arbustes à feuillage caduc, à fleurs ou à feuillage décoratif (deux tiers). La haie entre dans la décoration du jardin. Chez les rosiers des nouveautés arbustives voire de haies sont nées : le rosier ‘La Sevillana’ en 1978, le rosier ‘Anne de Bretagne’ de Louisette Meilland en 1979. Les bambous deviennent à la mode. La gamme des topiaires (végétaux taillés selon des formes géométriques), boules et cônes, jusqu’alors composée des genres Buxus, Taxus et Laurus nobilis, peu diffusée, se développe au niveau des formes : cubes, pyramides, spirales, cylindres, voire formes spécifiques et petites tiges. Il en est de même au niveau des genres : x Cupressocyparis leylandii, x Cupressocyparis leylandii ‘Castlewellan’, Ilex aquifolium et Ilex crenata, Ligustrum delavayanum, Lonicera nitida, Pittosporum, Prunus lutisanica, Osmanthus… Et pour les plantes annuelles, on recense de nouveaux genres et espèces, comme Bidens, Brachycome, Diascia, Nemesia, Scaevola, Sutera cordata…
Bon à savoir : Au début des années 1980, naissent les premières fêtes des plantes. En 1982, la première Fête internationale des plantes se tient au parc de Schoppenwihr (Haut-Rhin) et les journées des plantes à Courson (Essonne), puis en 1985, la Fête des plantes du château de Saint-Jean-de-Beauregard (dans l’Essonne également). Elles seront suivies de beaucoup d’autres.
Depuis 2000: des plantes tendances qui donnent envie de jardiner
Dans la décennie précédente, les plantes méditerranéennes (palmiers, oliviers, lauriers-roses, cistes, bougainvillées, pittosporums, eucalyptus…), et exotiques (Anisodontea, Callistemon, Diosma, Grevillea, Leptospermum, Leycesteria formosa, Loropetalum, Nandina, Phormium…) sont déjà entrées en scène dans les régions au climat doux, ou cultivées dans de grands pots et bacs, protégés du froid en hiver. Elles deviennent désormais courantes dans les jardins de balcons et terrasses, les petits jardins de ville et, plus largement, plantées en pleine terre. La haie variée, naturelle, entre désormais dans la décoration du jardin et devient « gourmande ». On y trouve des plantes grimpantes et des arbustes fruitiers. Chez les arbustes, ceux aux floraisons ou bractées spectaculaires (Cornus kousa…), aux longues floraisons (Choisya ternata, Hibiscus syriacus, Lavandula, Perowskia, Salvia…), aux silhouettes très graphiques, ont la préférence. Un intérêt tout particulier va aux érables du Japon aux différents feuillages, camellias, magnolias, rhododendrons, azalées et hortensias/hydrangeas. Chez les plantes grimpantes, les clématites, chèvrefeuilles, jasmins d’été, et l’indémodable glycine sont les plus recherchées. Du côté des « topiaires », celles-ci se présentent aussi sous la forme « arbre nuage », forme très particulière originaire du Japon (Cryptomeria japonica ‘Elegans’, Pinus sylvestris, Taxus baccata, Olea europaea…) Elles sont complétées par la présence de plantes en petites tiges. Les rosiers ne composent plus de grands massifs, mais se retrouvent le plus souvent plantés ici ou là en petites quantités en pleine terre, ou dans des pots et bacs. Les rosiers grimpants « tiennent la corde », comme le célèbre ‘Pierre de Ronsard’ ou ‘Eden Rose 85’, ainsi que les nouveaux venus que sont les rosiers paysagers (comme les Décorosiers).
Chez les fruitiers, les formes basses en gobelets retiennent l’attention. Les petits fruits rouges ont la préférence, avec notamment les framboisiers et les fraisiers. Les agrumes ne sont pas en reste (kumquat…). Les aromatiques sont très prisés et ne se limitent plus à la ciboulette, au persil et au thym, mais offrent un choix beaucoup plus large en espèces et variétés : basilics, menthes…
Les plantes vivaces à « l’allure » plus naturelle, plus champêtre, apportent le brin de nature, tant recherché aujourd’hui. Considérées comme faciles à cultiver, faciles à vivre, elles sont devenues tendance. La forme de fleur « marguerite » s’impose ! Parmi les genres qui se sont fortement développés figurent les agapanthes, les gauras, les héllébores, les heuchères et, en couvre-sol, les indémodables campanules muralis et géraniums vivaces. Le Dicentra (cœur de Marie) et la pivoine font toujours rêver. Au cours de ces vingt dernières années, les graminées sont devenues très à la mode, du fait de leur graphisme, du peu d’entretien qu’elles demandent et de leur résistance à la sécheresse, avec désormais de nombreuses espèces et variétés cultivées. Du côté des plantes annuelles qui assurent le fleurissement estival, les anthémis et capucines restent très appréciées, mais de nouveaux genres et espèces sont apparus : Calibrachoa, Ipomoea indica, Mandevilla (Dipladenia) sanderi, Osteospermum… Depuis peu également, des Pelargonium (géraniums) issus de croisement, les « interspécifiques », à la floraison généreuse, sans interruption de très longue durée, ne demandant que peu d’arrosages et d’entretien, sont apparus. Les fuchsias, quant à eux, ne sont pas en reste. Si les cannas et glaïeuls ne sont plus guère plantés, les dahlias sont de nouveau très cultivés, avec l’offre de nouvelles variétés, plus basses, souvent aux fleurs simples, ne nécessitant pas de tuteurage.
Bon à savoir : Dans le monde végétal, le Label Rouge a fait son apparition dans les années 1980 pour le gazon. Il a concerné ensuite les dahlias en 2011, les sapins de Noël et les rosiers en 2016, les géraniums (pélargoniums) en 2017, les arbres fruitiers en 2022. D’autres labels sont en préparation.
Michel Grésille
Spécialiste horticole « pépinières », vice-président de la SNHF