De l’intérêt des légumineuses compagnes au jardin

Pablo BadinGilles Carcassès

«  Dans tous les grands centres historiques de domestication, il est remarquable que l’agriculture ait toujours émergé accompagnée de la domestication de légumineuses1.  » Pour les agriculteurs comme pour les jardiniers amateurs les légumineuses représentent un allié de taille afin de réduire la fertilisation, notamment azotée, et l’usage des produits phytosanitaires.

Haricot grimpant et maïs © CACP – Gilles Carcassès (https://natureenvilleacergypontoise.wordpress.com/2018/08/24/l.e-jardin-dhelene/)
Haricot grimpant et maïs © CACP – Gilles Carcassès (https://natureenvilleacergypontoise.wordpress.com/2018/08/24/l.e-jardin-dhelene/)

La révolution dite «  verte  » a certes permis d’augmenter significativement les rendements agricoles, mais elle montre de nos jours ses limites, notamment écologiques. Elle a été basée sur trois piliers, l’utilisation de variétés à hauts rendements grâce à leur capacité à exploiter l’azote minéral, l’utilisation de pesticides et d’engrais de synthèse, et la généralisation de l’irrigation.

L’avènement de l’agriculture industrielle coïncide avec une réduction de l’utilisation des légumineuses dans les systèmes de culture. Si leur réintroduction massive, mise en avant par l’agroécologie, est pertinente dans les systèmes agricoles, elle l’est tout autant dans les jardins des amateurs. En effet, dans un contexte de raréfaction des nutriments de synthèse ou naturels, la panoplie des services rendus par les légumineuses retrouve toute sa place.

Une amélioration de la fertilité azotée et de la structure des sols

De nombreuses légumineuses présentent la capacité de fixer l’azote atmosphérique grâce à une association symbiotique avec des bactéries. Ces bactéries sont «  logées  » dans un nouvel organe appelé «  nodosité  » au niveau des racines. L’association d’une culture exigeante, comme la tomate, avec une légumineuse permet d’optimiser la fixation symbiotique car celle-ci s’exprime en conditions de carence azotée. En cours de culture, les légumineuses annuelles «  rhizo­déposent  » jusqu’à 15 % de l’azote fixé, qui se retrouve alors disponible pour la culture associée. Par ailleurs, une légumineuse une fois fauchée restitue les éléments assimilés aux cultures associées. Cette caractéristique de fixation de l’azote permet une densification des plantes cultivées au jardin tout en fournissant d’autres avantages intéressants pour les  jardiniers.

Origines de deux des macronutriments primordiaux : l’azote et le phosphate

L’agriculture industrielle que nous connaissons a été rendue possible notamment grâce aux travaux de Haber et de Bosch. La réaction d’Haber-Bosch permet de fixer le diazote de l’air sous forme d’ammoniac. Mais les conditions nécessaires à cette synthèse nécessitent de fortes pressions atmosphériques et des températures élevées. Cette synthèse est donc consommatrice d’énergie.

Le phosphate est quant à lui d’origine minière. Il s’agit donc d’un élément naturel non renouvelable et pour l’instant non synthétisable. Parmi les macronutriments, le phosphate est certainement celui dont l’estimation de la rareté fait l’objet des controverses les plus importantes. Selon l’USGS (United States Geological Survey) elles étaient de 16  Gt en 2010 et de 71 Gt (gigatonnes) en 2012.

Un couvert végétal diversifié pour une meilleure lutte contre les ravageurs et les maladies

Dès le milieu des années 1980, Miguel Altieri, l’un des pères de l’agroécologie, a mis en évidence qu’une augmentation de la biodiversité cultivée avait un effet positif sur la persistance des prédateurs des ravageurs des cultures. Ainsi, l’introduction d’une légumineuse productrice de nectar peut fournir les ressources sucrées dont certains parasitoïdes ou prédateurs de pucerons ont besoin pour leur reproduction et allonger leur présence dans le jardin.

Par ailleurs, la complexité d’un couvert végétal provoque chez certains ravageurs une confusion aussi bien visuelle qu’olfactive. Cet effet de dilution de la ressource « masque » les cultures et empêche alors les ravageurs de localiser les endroits et les conditions qui leur sont favorables.

Une complexité plus grande du couvert peut réduire la dispersion des spores par effet «  splashing  », grâce à la présence d’une espèce non-hôte du champignon. Il a par exemple été montré une diminution de la dispersion des conidies responsables de l’ascochytose de 39 à 78 % pour une association pois-céréale. Une modification du microclimat du couvert peut aussi expliquer la réduction de l’infestation (Schoeny et al., 2010).

Favoriser la régulation des herbes indésirables

La diversification des espèces cultivées, que ce soit dans le temps ou dans l’espace, est un outil majeur pour la gestion des herbes indésirables au jardin. Il est connu depuis longtemps que les rotations culturales permettent de briser le cycle de certaines d’entre elles. L’association dans l’espace, quant à elle, est moins bien connue. L’idée est de priver les herbes indésirables des ressources dont elles ont besoin. Par exemple, un dense couvert de trèfle entre les rangs limitera la germination des plantes indésirables en les privant non seulement de la lumière et des nutriments mais aussi, plus simplement, en occupant l’espace. Par ailleurs Meiss et al.2 ont mis en évidence en 2010 que l’implantation d’un couvert végétal favorisait la prédation des semences d’herbes indésirables par la faune auxiliaire, via les carabes notamment.

Accroître l’activité biologique des sols

Nous savons que la présence de vers de terre favorise la mise à disposition des nutriments pour les plantes cultivées. Il a été montré, également, que la culture de trèfle comme plante de couverture induisait une augmentation des populations de vers de terre. Une culture permanente de trèfle, par exemple, limite non seulement les différents types d’érosion mais offre aussi le gîte et le couvert à toute une partie de la faune bénéfique au sol.

En outre, de nombreuses études ont été menées autour des associations symbiotiques avec des mycorhizes3. Le trèfle (Trifolium repens) est mycorhizotrophe, c’est-à-dire qu’il a une affinité très forte avec les mycorhizes et peut donc servir d’unité de production des souches mycorhiziennes naturel­lement présentes dans les sols des jardins. La culture de plantes mycorhizotrophes à proximité de plantes qui le sont moins permet de transmettre la mycorhization via le réseau mycélien du sol.

En 1982, Johnson et Menge ont estimé qu’en favorisant cette symbiose mycorhizienne, les dépenses d’engrais pourraient être réduites de 30 à 40 % pour l’azote et de 70 % pour le phosphore. En 1995, Jackobsen avance le chiffre de 80 % de réduction d’application de phosphate !

Nous savons que la présence de vers de terre favorise la mise à disposition des nutriments pour les plantes cultivées. Il a été montré, également, que la culture de trèfle comme plante de couverture induisait une augmentation des populations de vers de terre. Une culture permanente de trèfle, par exemple, limite non seulement les différents types d’érosion mais offre aussi le gîte et le couvert à toute une partie de la faune bénéfique au sol.

En outre, de nombreuses études ont été menées autour des associations symbiotiques avec des mycorhizes3. Le trèfle (Trifolium repens) est mycorhizotrophe, c’est-à-dire qu’il a une affinité très forte avec les mycorhizes et peut donc servir d’unité de production des souches mycorhiziennes naturel­lement présentes dans les sols des jardins. La culture de plantes mycorhizotrophes à proximité de plantes qui le sont moins permet de transmettre la mycorhization via le réseau mycélien du sol.

En 1982, Johnson et Menge ont estimé qu’en favorisant cette symbiose mycorhizienne, les dépenses d’engrais pourraient être réduites de 30 à 40 % pour l’azote et de 70 % pour le phosphore. En 1995, Jackobsen avance le chiffre de 80 % de réduction d’application de phosphate !

Les légumineuses utilisables sont alimentaires : petits pois (Pisum sativum), haricots (Phaseolus vulgaris), fèves (Vicia faba), pois chiches (Cicer arietinum), lentilles (Lens culinaris), fenugrec (Trigonelle foenum-graecum), soja (Glycinemax), ou fourragères : luzerne (Medicago sativa), sainfoin (Onobrychis viciifolia), lotier (Lotus corniculatus), mélilot (Melilotus officinalis), trèfles violet, hybrides, blanc, etc.

Conclusion

Le grand avantage des associations avec des légumineuses consiste en leur indépendance vis-à-vis de l’azote. À l’avenir, les légumineuses retrouveront toute leur place dans les jardins et permettront de se passer d’engrais chimiques mais aussi de produits phytosanitaires de synthèse.

1 Bérangère Lecuyer et al. : https://prodinra.inra.fr/ft?id=%7b2E4F7305-C347-49AA-A576-87A39196C8B7%7d&original=true, 2013

2 Helmut Meiss : https://sci-hub.tw/10.1016/j.agee.2010.03.009, 2010.

3 Voir aussi dans Jardins de France : https://www.jardinsdefrance.org/category/les-numeros/mycorhizes-auxiliaires-discretes-du-jardinier/

Bibliographie

Lecuyer B., Chatellier V., and Daniel K. (2013). Le marché des engrais, la volatilité des prix et la dépendance de l’agriculture européenne, 47 p.

Meiss H., Le Lagadec L., Munier-Jolain N., Waldhardt R., Petit S. (2010). Weed Seed Predation Increases with Vegetation Cover in Perennial Forage Crops. Agriculture, Ecosystems and Environment, 138 (1-2), 10-16., DOI : 10.1016/j.agee.2010.03.009

https://prodinra.inra.fr/record/35265

Schoeny A., Jumel S., Rouault F., Lemarchand E., Tivoli B., 2010. Effect and Underlying Mechanisms of Pea-Cereal Intercropping on the Epidemic Development of Ascochyta Blight. European Journal of Plant Pathology 126 (3):317-331.