De la graineterie au site web : La distribution jardin a su se transformer

Avant les années 1960, les marchands-grainiers assuraient l’approvisionnement en graines et plants des jardiniers, complété par les catalogues de vente par correspondance. Puis sont apparus les jardineries et les rayons spécialisés des grandes surfaces de distribution, avec un plus large choix, en végétaux mais surtout en articles de décoration. Plus récemment, la vente en ligne est venue bouleverser le secteur. Certes, les grands noms sont toujours là, comme Truffaut ou Delbard, mais les systèmes de vente ont beaucoup évolué. Laure Gry, journaliste horticole, nous raconte cette histoire.

Catalogue
Catalogue de toutes sortes de graines du Sieur d’Andrieux, 1766 © D.R
Marchands grainiers
Les marchands-grainiers occupaient autrefois une bonne place en centre-ville © Photothèque Clause-Vilmorin

Il paraît loin le temps des marchands-grainiers… Pourtant, jusque dans les années 1960, ces commerçants occupaient une bonne place dans les centres-villes, à côté de la boulangerie ou de l’épicerie.
Ces boutiques ont progressivement disparu, les fleuristes ont pris la place, avec une offre différente ! À cette époque, le jardinage n’était pas encore un loisir comme aujourd’hui, mais bien une nécessité. Les marchands-grainiers étaient les seuls fournisseurs de semences et de plants, de tous les articles nécessaires pour produire au jardin, en prodiguant également bien des conseils utiles. Les graines étaient vendues d’abord au poids, puis dans des sachets de quelques grammes, avec un moindre choix de variétés. Des sacs plus volumineux étaient réservés aux plants de pommes de terre. Les plants fleuris et les plants potagers sont apparus plus tardivement. On pouvait trouver aussi dans ces graineteries tout le nécessaire pour le petit élevage, comme la basse-cour.

Du marchand-grainier au garden-center

Le changement majeur du marché jardin durant les cinquante dernières années concerne les circuits de distribution. L’enseigne historique Truffaut, par exemple, a ouvert son premier magasin à Paris en 1927. Les clients venaient s’y approvisionner en graines et engrais pour entretenir leurs potagers en proche banlieue. Par la suite, de nombreuses autres graineteries se sont installées sous cette enseigne dans les grandes villes et à l’étranger. Après la Seconde Guerre mondiale, les établissements Truffaut se sont implantés sur plus de 30 hectares au Chesnay, près de Versailles, pour assurer leurs productions. Mais les plans d’urbanisme vont venir modifier les projets d’extension. Seule une partie des pépinières sera conservée sur ce lieu où sera inauguré, en 1964, le premier garden-center de France, un concept vraiment nouveau.

Du côté de chez Clause, c’est en 1892 que Lucien achète un commerce de graines à Paris, avant de s’installer en 1900 à Brétigny-sur-Orge, dans l’Essonne. Il va développer une activité de production de semences. Très vite, il crée une vraie structure de recherche technique. De grands travaux de sélection vont être engagés, avec les résultats que l’on connaît. Le premier Guide Clause, sorti en 1913, restera le best-seller des traités de jardinage. À partir de 1932, l’entreprise crée un réseau de dépositaires exclusifs « Graines d’élite Clause » sur l’ensemble du territoire, des graineteries bien reconnaissables avec le fameux logo du jardinier à la brouette.

À partir des années 1960, les magasins vont progressivement s’étendre et s’agrandir. En 1967, Clause ouvre à Plaisir dans les Yvelines son premier garden-center, sous le nom de Florélites Clause. Sous une grande coupole, on y trouvait tout ce qui était utile pour le jardin ou les plantes de la maison: graines, amendements, terreaux, produits phytosanitaires… C’est ainsi que les graineteries Clause ont commencé à déserter les centres-villes pour se transformer en jardineries à la périphérie, près des routes nationales. Un réseau qui deviendra Truffaut en 1987.

Un autre nom illustre du jardin est la maison de semences Vilmorin. L’histoire débute en 1743, quand Vilmorin s’installe comme marchand grainier à Paris, quai de la Mégisserie, dans une boutique qui existe encore ! En 1766, paraît le premier catalogue de la maison. La date est mémorable, l’événement est notable : c’est bien Vilmorin, un marchand de graines, qui a eu le premier l’idée de la vente par correspondance, ce nouveau mode de distribution qui allait prendre de plus en plus d’importance, jusqu’à l’arrivée d’internet. Après l’acquisition de Vilmorin par le groupe coopératif Limagrain en 1975, plusieurs entités vont être créées, comme Oxadis (marques Vilmorin, Tézier, Abondance…), qui deviendra Vilmorin Jardin. Mais l’enseigne qui gardait encore ce nom, L’Espace enchanté Vilmorin, a maintenant disparu du paysage de la distribution.

Premiers garden center
L'ouverture des premiers "garden center" en périphérie urbaine va contribuer à dynamiser le marché © Truffaut
Jardiland
Depuis 1982, Jardiland reste un grand nom de la istribution jardin, précurseur d'un nouveau style de magasin, invitant aussi bien à la vente qu'à la promenade © Jardiland

L’épopée réussie de Jardiland

L’histoire de Jardiland commence en 1973. Le marché du jardin connaît une grande demande, parallèlement au développement de la construction individuelle. Trois professionnels passionnés, Jacques Derly, Gérard Lecoq et Charles Monot, décident d’unir leurs compétences et de créer une centrale d’achats spécialisée dans le jardinage, Tripode. Plusieurs grands acteurs du secteur de la pépinière et du paysage leur emboîtent le pas et prennent part au projet. En prenant exemple sur les concepts observés à l’étranger, notamment aux États-Unis, les trois fondateurs mettent en place une enseigne : Jardinery, qui deviendra Jardiland en 1982. Le réseau prend vite de l’ampleur et les magasins sous franchise se multiplient. Les clients sont nombreux à apprécier l’offre large et diversifiée en un seul espace, sous une grande serre en bois, marque architecturale de l’enseigne.

Dans les années 1980, on assiste à une véritable explosion du marché du jardin. Les rayons des jardineries n’ont plus rien à voir avec ceux des petites graineteries de centre-ville. On y trouve graines et plantes, mais aussi accessoires pour jardiner et articles d’animalerie, sans oublier une boutique décoration et ses idées cadeaux. Suivant cette vague de succès, de nombreuses pépinières se transforment en jardineries et les réseaux de franchises se multiplient. Suite à son rapprochement avec l’enseigne Vive le Jardin, créée en 1984 par le groupement Semaphor, Jardiland va prendre en 2006 la place de leader en France, avec une nouvelle identité visuelle : le lever du soleil, signe de l’épanouissement floral. Créée dans les années 1990 par des horticulteurs savoyards, l’enseigne botanic a suivi un parcours original. Engagée ouvertement dans le développement durable et le secteur bio, elle a devancé la réglementation, en arrêtant dès 2008 la vente de produits phytosanitaires de synthèse. Rappelons que cette vente est interdite dans toute la distribution jardin depuis le 1er janvier 2019. Les jardineries ont connu leur plus grand essor dans les années 1980, suffisant à peine à combler l’appétit grandissant des Français pour le jardin et de nombreuses enseignes, créées par des groupements, vont répondre à leurs attentes, comme Delbard, Jardinerie du Terroir, Baobab, VillaVerde…

La concurrence dope le marché

Ce marché florissant va évidemment attirer un autre type de distributeurs : les grandes surfaces alimentaires (GSA) et les magasins de bricolage (GSB). Les ventes occasionnelles du début deviennent régulières et les rayons jardins de ces magasins non spécialisés ne cessent de croître, entraînés par la multiplication des promotions et des publicités commerciales. En milieu rural, le boom du jardinage va venir également bouleverser la distribution. Avant 1970, ce sont les coopératives agricoles qui assuraient la distribution de ces produits. Les lisas (libres-services agricoles) consacraient un peu de place aux accessoires et articles jardins.

Progressivement, les points de vente spécifiques vont gagner tous les territoires, notamment sous l’enseigne Gamm vert, filiale d’InVivo, premier groupe coopératif agricole français. Suite aux nombreux regroupements, cessions et rachats, c’est aujourd’hui le réseau Gamm vert qui est le plus puissant, avec la reprise de l’enseigne Delbard, en 2014, et de Jardiland, en 2018.

Enseigne botanic
L'enseigne botanic a apporté d'emblée un souffle nouveau dans le paysage des jardineries © botanic
gammes de semences
Tandis que les gammes de semences s'étoffent, les jardiniers ont également à leur disposition des jeunes plants vendus en mottes. © Semae-Paul Dutronc

De la VPC à la vente en ligne

Impossible d’évoquer la distribution jardin sans parler de la vente par correspondance (VPC), qui va devenir progressivement la vente à distance (VAD), avec l’avènement du e-commerce. Après le précurseur Vilmorin, en 1766, les catalogues de graines font florès dans les années 1900. Même avec le développement des jardineries, de nombreux clients sont restés fidèles à ces fournisseurs de grande renommée, dont certains n’ont jamais eu de point de vente physique : Bakker, Briant, Hortico, Meilland, Willemse… De la VPC à la vente en ligne, le chemin est tracé. Au tournant des années 2000, alors que le nombre de foyers connectés à Internet ne cesse de croître, le commerce en ligne connaît un mouvement similaire. Les sites se multiplient. Encore une révolution dans la distribution, le web va favoriser un nouvel essor des ventes, dans le secteur du jardinage, comme de la décoration. Pour autant, le modèle de la VPC par catalogue papier résiste, mais il s’accompagne le plus souvent d’une offre en ligne. Les grands réseaux traditionnels ont adopté une approche « omni-canale » pour dynamiser leurs ventes. Du marchand-grainier au site web, plusieurs maisons de graines ont parfaitement réussi leur transformation. Le spécialiste Promesse de fleurs est un très bon exemple de cette continuité.

NOUVEAU CONCEPT, LES VÉGÉTALERIES SE DISTINGUENT

En complément des jardineries, la distribution jardin est enrichie par l’offre directe des horticulteurs pépiniéristes. Ce réseau de producteurs s’est formé en 2001, à l’initiative de la Fédération nationale des producteurs de l’horticulture et des pépinières (FNPHP). Baptisés « Artisans du végétal », ils produisent et vendent en direct sur leur lieu de production. Les végétaux proposés par ces commerces de proximité ont l’avantage d’être parfaitement adaptés au climat et au sol de la région, et n’ont pas eu à subir de longs transports et entreposages. À la différence de la jardinerie, ce sont bien ici les végétaux qui sont mis en vedette, d’où le nouveau nom donné à ce concept : les « végétaleries ». Cette dénomination sera réservée à ces lieux de production et de vente, qui se veulent aussi lieux de découvertes et d’échanges.

Laure Gry
Journaliste, membre du comité de Jardins de France