Darégal : coup de froid sur les aromatiques
Jean-François Coffin
Au départ étaient les plantes médicinales quand Amand Darbonne créée son entreprise de production en 1887 à Milly-la-Forêt (Essonne). « La présence autrefois d’une léproserie à Milly avait stimulé la production de ces plantes aux alentours pour subvenir à ses besoins », explique Luc Darbonne. Alors qu’il savoure des vacances d’été au bord du bassin d’Arcachon, il reste très disponible au téléphone pour parler de son entreprise avec passion.
Asperge vedette et plants de fraisiers
Si la production de plantes médicinales a quasi disparu, due notamment à la concurrence des pays de l’Est dans les années 50, l’asperge reste toujours un produit porteur. « Mon ancêtre, Amand Darbonne, l’avait introduite suite à sa découverte en étant employé dans une entreprise d’Argenteuil. Mon père, Marc, a développé cette production mais aussi celle de plants de fraisiers, jusque dans les années 80, produits phares assurant plus de 80 % du chiffre d’affaires. »
Et l’entreprise poursuit son développement grâce à un certain nombre de rencontres, d’opportunités et de visions de l’avenir.
Voyages et nouveautés
« Grand virage de mon père en 1960 quand il part aux USA pour étudier l’agriculture américaine. En Californie, il découvre une agriculture qui, pour avoir des terres, n’hésite pas à se déplacer plutôt que de rester à un endroit précis. Il revient en France avec deux projets : la vernalisation des plants de fraisiers et l’idée de s’implanter ailleurs qu’à Milly, ce qu’il fait dans la région de Bordeaux et en Espagne (Navarre) pour élargir la production d’asperges. »
La production d’aromatiques est aussi stimulée par des nouveautés. « Mon père a développé, avec Gilbert Ducros, l’estragon déshydraté pour lequel nous sommes toujours leaders. » La déshydratation s’étend à d’autres aromatiques comme le persil. « Nestlé nous a même demandé de lui fournir du cresson déshydraté pour la confection de ses potages ! »
Marc a voulu que sa famille s’ouvre sur le monde dès le plus jeune âge. « Nous étions quatre enfants. Dès l’âge de 11 ans, nous sommes partis à l’étranger non seulement pour apprendre les langues mais aussi pour découvrir d’autres manières de vivre. » Cette démarche d’ouverture a conditionné l’avenir de l’entreprise.
Aromatiques surgelées
Luc et son frère Hubert succèdent à leur père dans les années 80. Hubert, diplômé d’une école de commerce, s’occupe de l’aspect marketing et Luc, ingénieur électromécanicien, reprend la partie développement. « Je voulais industrialiser le secteur plantes aromatiques où on ne faisait que du déshydraté. » Mais Luc ne se satisfait pas de cette technique de déshydratation qui ne permet pas de conserver tout le goût des aromatiques. Et c’est à force de cogitations, et après de nombreux essais, qu’il invente en 1979, les « herbes aromatiques surgelées en flocons saupoudrables ». Peu croyaient au départ en cette invention, à commencer par Ducros qui a finalement tenté une production de surgelés. Mais l’affaire a capoté et les Darbonne l’ont reprise…
« Notre premier client a été Picard surgelés proche de chez nous avec une première commande 30 kg. » Puis les escargotiers de Dijon qui avaient besoin de persil, notamment au moment des fêtes de Noël où ils avaient du mal à trouver du produit. Suivent les marchés de la grande distribution et de l’industrie agroalimentaire. « Nous sommes arrivés en pleine évolution des plats préparés. »
La force de la recherche
L’esprit d’avoir plusieurs sites de production et d’exporter porte ses fruits. « En 1985, j’ai étudié le marché américain qui était vierge. Pour le conquérir, il fallait produire sur place. » Luc implante donc une usine en Californie en 1992 en s’alliant à McCormick avec lequel Darégal est toujours associé.
La R&D est aussi un point fort de Darégal. Deux centres de recherche ont été implantés à Milly et en Espagne, axant leurs travaux de sélection sur les qualités gustatives, agronomiques « et autres qualités sensorielles. » Le tout en relation avec plusieurs organismes de recherche internationaux.
Maîtrise de la production
« Nous maîtrisons la totalité de nos besoins, via des contrats avec une soixantaine d’agriculteurs car cela nécessite des surfaces énormes vu la nécessité d’effectuer des rotations de 7 à 10 ans ! » L’entreprise apporte aux agriculteurs la technique issue de sa recherche, les plants et les graines, le suivi des cultures et de la récolte tout en restant propriétaire des plants produits. Elle en produit elle-même une partie, un peu moins de 10 % de la production totale de 1 500 ha.
La transformation s’effectue dans les usines de Milly, de Bretagne, du Sud de l’Espagne et de Californie. « Notre volonté est d’avoir des usines situées à moins d’une heure des terroirs de production pour assurer une transformation rapide afin de préserver toutes les qualités des herbes aromatiques que nous venons de récolter. »
Une entreprise toujours familiale
Darégal est une entreprise familiale, détenue à 100 % par la famille où chaque héritier a contribué à son succès. « A une époque, nous avons eu besoin de financements extérieurs qui nous ont permis de respirer, capitaux que nous avons repris depuis », explique Luc qui ne cache pas avoir vécu des moments difficiles. Mais aujourd’hui, il est serein et a bien préparé, avec son frère, leur succession afin de sauvegarder l’entreprise familiale et éviter son éparpillement car, selon lui, le fisc français ne prévoit pas de sauvegarder la transmission de ce type d’entreprises.
« L’entreprise familiale permet de garder cet esprit formidable de liens, de connaissance des hommes. Elle est aussi une assurance pour prendre des décisions rapidement. Et nous sommes attachés aux employés. Mon fils a su garder cette ambiance tout en faisant évoluer l’entreprise.» Luc reste d’ailleurs impliqué dans la « Family business network France » (www.fbn-france.fr), association qu’il a présidée jusqu’à il y a six mois et dont l’objectif est de travailler sur la pérennité de l’entreprise familiale.
Place aux jeunes
Au niveau caractère, Luc se dit être quelqu’un de parole. « J’ai toujours tenu compte de l’avis des autres. Mon principal défaut : je ne sais pas rester calme, ça me dessert. Il faut que je prenne du recul. »
Il souligne la nécessité de savoir passer très vite la main à la génération suivante. « En vieillissant, on garde des a priori. Il faut savoir se remettre en cause, ce que peut faire un jeune. Mon objectif étant bien de m’éloigner le plus possible de l’entreprise pour laisser les mains libres à mes successeurs. » Luc a transmis son entreprise à ses trois enfants il y a deux ans. Son fils Charles, 38 ans, en est devenu le PDG. Luc, âgé aujourd’hui de 66 ans, assume cependant la présidence du conseil de surveillance de Darome, holding du groupe
Retraite active
Luc est sensé être à la retraite depuis deux ans. Il peut maintenant savourer de vraies vacances mais ne reste pas inactif. « Je peux enfin me consacrer à d’autres occupations qui me passionnent comme le coaching de mon autre fils et, bien sûr, la famille entrepreneuriale. » Et de marteler encore ce qui fait la réussite d’une entreprise familiale : être proche des collaborateurs, savoir écouter et s’ouvrir au monde. »
Darégal en chiffres
- 128 ans
- 500 collaborateurs
- 110 millions de chiffre d’affaires en 2014
- 75% à l’export
- 3 marchés : Industrie, Restauration Hors-foyer et Grande Consommation
- 27 distributeurs
- 4 usines
- 1 500 hectares cultivés
- 80 fermiers
- 100 000 tonnes de capacité de production
- 10 lignes de transformation
- 7 lignes de conditionnement
- N°1 mondial des herbes aromatiques surgelées