Cucurbitacées : une sexualité complexe et variée
Michel Pitrat
Difficile de s’y retrouver dans la sexualité diversifiée des cucurbitacées. Qu’il s’agisse de melons, de bryone, de concombre d’âne ou de chayottes, Michel Pitrat nous dévoile leur intimité via leur biologie florale.
La biologie florale des plantes est complexe et passionnante. Linné l’a utilisée comme base pour la classification. Charles Darwin a écrit plusieurs ouvrages sur le sujet.
La plupart des végétaux supérieurs sont hermaphrodites, toutes les fleurs étant bisexuées. La famille des Cucurbitacées offre une assez grande diversité. Les formes sauvages sont très majoritairement monoïques et quelques unes sont dioïques (voir Tableau). Cette situation nécessite la présence de pollinisateurs (abeilles ou bourdons) pour assurer le transport du pollen des fleurs mâles vers les fleurs femelles, les Cucurbitacées étant à pollinisation entomophile. Ainsi, pour les deux espèces de Cucurbitacées spontanées en France, la bryone (Bryonia cretica) est dioïque et le concombre d’âne (Ecballium elaterium) est monoïque, mais il existe des écotypes d’Ecballium dioïques. Les formes sauvages des espèces cultivées sont très souvent monoïques. C’est le cas des courges (genre Cucurbita), pastèques (Citrullus), melons et concombres (Cucumis), calebasses (Lagenaria), éponges végétales (Luffa), concombres amers ou margose (Momordica), chayottes ou christophines (Sechium), courges cireuses (Benincasa). Cependant quelques espèces sauvages de Cucumis comme Cucumis heptadactylus sont dioïques.
Diversité chez le melon et le concombre
C’est chez le concombre et le melon que l’on observe la plus grande diversité. De plus, au cours des 50 dernières années, des variétés présentant de nouveaux types de biologie florale ont été créées.
Les variétés traditionnelles de concombre (Cucumis sativus) sont très majoritairement monoïques comme les formes sauvages. Les fleurs mâles apparaissent en premier sur la tige principale. Dans une deuxième phase, il y a une alternance de fleurs femelles et mâles, puis, dans une troisième phase, les fleurs femelles sont très majoritaires. Il existe aussi de rares variétés andromonoïques comme « White lemon », petit concombre à fruit rond. Quelques plantes gynoïques existaient dans des variétés originaires d’Extrême-Orient (Japon, Corée) en mélange dans des variétés pour lesquelles la majorité des plantes étaient monoïques. Ces plantes gynoïques ont été autofécondées ce qui a permis d’obtenir des lignées fixées gynoïques. Mais comment peut-on autoféconder des plantes qui n’ont que des fleurs femelles ?
L’effet de l’éthylène
Des facteurs externes (non génétiques) peuvent intervenir dans l’expression de la biologie florale. Ainsi, des longueurs de jour élevées, de fortes intensités lumineuses, des hautes températures de nuit, des traitements à l’acide gibbérellique[1] ont tendance à « masculiniser » les plantes. Inversement, les traitements avec des auxines ont tendance à « féminiser » les plantes. L’une des particularités des Cucurbitacées est l’effet très marqué d’une autre substance de croissance, l’éthylène : le traitement avec des précurseurs de l’éthylène comme l’éthéphon fait disparaître les fleurs mâles alors que des inhibiteurs de l’éthylène, comme le nitrate d’argent ou le thiosulfate d’argent, font apparaître des étamines dans les fleurs femelles. Ces effets sont temporaires, de l’ordre de deux à trois semaines. Un généticien-sélectionneur peut ainsi autoféconder des plantes femelles et obtenir des lignées fixées homogènes génétiquement femelles. Ce type de variété ne peut évidemment pas se maintenir dans les conditions naturelles.
Parthénocarpie cumulée avec gynoécie
En pratique, le coût d’obtention des graines d’une lignée gynoïque est relativement élevé. Les variétés commerciales sont des hybrides F1 entre une lignée gynoïque et une lignée monoïque qui est le parent mâle. L’hybride F1 n’a que des fleurs femelles car la gynoécie est dominante chez le concombre. L’intérêt pratique d’une plante gynoïque par rapport à une plante monoïque, c’est-à-dire du remplacement des fleurs mâles par des fleurs femelles à chaque nœud de la tige, est évidemment l’augmentation du nombre de fruits par plante. Les premières variétés gynoïques de concombre ou de cornichon avaient besoin d’un pollinisateur. Quelques plantes monoïques (environ 5 %) étaient plantées en mélange avec la variété gynoïque. Aujourd’hui la parthénocarpie[2] a été cumulée avec la gynoécie et les variétés de concombre ou de cornichon gynoïques parthénocarpiques représentent une part importante du marché.
Le melon se distingue
La situation est assez différente chez le melon (Cucumis melo). Les formes sauvages sont également monoïques mais environ les 2/3 des variétés cultivées dans le monde sont andromonoïques et 1/3 est monoïque. La répartition des fleurs femelles et mâles est différente de celle observée chez le concombre. Sur la tige principale on ne trouve que des bouquets de fleurs mâles. Les fleurs femelles ou bisexuées sont localisées aux deux ou trois premiers nœuds des tiges secondaires ou tertiaires et sont suivies de bouquets de fleurs mâles aux nœuds suivants. D’où l’importance de la taille pour favoriser les ramifications et l’apparition de fleurs femelles ou bisexuées. Quelques très rares variétés hermaphrodites sont traditionnellement cultivées dans le nord de la Chine. Dans des descendances de croisements entre ces variétés hermaphrodites et des variétés monoïques, les généticiens ont pu sélectionner des lignées gynoïques qui sont reproduites de la même manière que chez le concombre c’est-à-dire par traitement avec du nitrate d’argent qui fait apparaître des étamines dans les fleurs femelles.
La monoécie de plus en plus utilisée
La gynoécie n’est pas utilisée aujourd’hui dans des variétés commerciales mais la monoécie est de plus en plus utilisée. Les anciennes variétés de melon de type Charentais sont andromonoïques. La production de semences de variétés hybrides F1 nécessite la castration des fleurs bisexuées avant leur pollinisation par le parent mâle. Si la lignée utilisée comme parent femelle est monoïque, la castration est inutile. La monoécie étant dominante, l’hybride F1 est lui-même monoïque. C’est le cas de la très grande majorité des variétés de type Charentais depuis les années 1980-1990. Mais la présence ou l’absence d’étamines dans les fleurs femelles a un effet sur le fruit : en l’absence d’étamines (fleurs femelles), les fruits sont plus allongés et plus gros que lorsque des étamines sont présentes (fleurs bisexuées). Les sélectionneurs doivent en tenir compte pour créer des variétés monoïques de type Charentais avec des fruits ronds et de taille moyenne (environ 800 à 1200 g).
Un contrôle génétique simple
Les formes sauvages et cultivées des différentes courges (courgette, pâtisson, citrouille, potiron…) sont monoïques. Chez les autres Cucurbitacées cultivées comme la pastèque, Luffa, Lagenaria, Momordica les formes sauvages et les variétés cultivées sont également monoïques sauf quelques très rares variétés. La répartition des fleurs femelles et mâles sur les tiges principales et secondaires est semblable à celle du concombre.
Le contrôle génétique de cette biologie florale est en général assez simple. Un gène est responsable de la présence ou de l’absence d’étamines dans les fleurs femelles. L’andromonoécie est récessive et la monoécie dominante chez la plupart des espèces (concombre, melon, Lagenaria…). Une andromonoécie dominante a été récemment mise en évidence chez le melon. Un deuxième gène contrôle la présence d’un seul type de fleurs ou de deux types de fleurs sur une plante. Ce gène est dominant chez le concombre et récessif chez le melon ou Momordica.
Une intervention inexpliquée de l’homme
Les variétés traditionnelles de la plupart des espèces de Cucurbitacées cultivées sont monoïques à l’exception du melon. Pourquoi l’homme a-t-il privilégié l’andromonoécie chez le melon au cours des siècles de sélection qui ont suivi la domestication ? Et pas chez le concombre ou la pastèque où l’andromonoécie n’est présente que dans quelques variétés ? Il n’y a pas de réponse claire.
[1] Voir Hormones végétales, régulateurs de croissance et horticulture par N. Dorion, Jardins de France, partie I (Nov-Déc. 2013) et partie II (Janv-Fév 2014)
[2] Voir La parthénocarpie : des fruits sans graines par M. Pitrat, Jardins de France, Janv-Fév 2015