Une coulée verte sur la bonne voie
Jean-François Coffin
Quelle belle destinée pour une voie ferrée désaffectée : la « Coulée verte René Dumont » emprunte le trajet du chemin de fer qui reliait la gare de la Bastille à Paris, démolie pour laisser place à l’Opéra, jusqu’à La Varenne Saint-Maur (Val-de-Marne). Aujourd’hui, les rails ont été remplacés par une promenade plantée[1]. Ses jardiniers l’entretiennent avec passion…
A dix mètres de haut, sur un viaduc restauré, dépassent des végétaux de toute sorte qui vous invitent à les rejoindre. C’est le début de la Coulée verte René Dumont qui se divise en trois portions sur 4,5 km. La première, sur le « Viaduc des Arts », de Bastille au jardin de Reuilly-Paul Pernin. Puis se succèdent deux autres parties sous forme de jardins successifs jusqu’au boulevard périphérique.
Intéressons nous à la partie viaduc qui longe l’avenue Daumesnil.
Respecter et optimiser
Après plus de vingt années de plantations, comment les jardiniers gèrent-ils cette partie de la coulée verte qui s’étend sur 1,4 km ? Doivent-ils suivre scrupuleusement un cahier des charges et respecter la conception initiale de l’architecte ou ont-ils une certaine liberté d’aménagement en fonction de l’évolution du temps ?
« Nous nous contentons de respecter et d’optimiser par la taille, le désherbage, l’arrosage et, s’il y a lieu, de remplacer les végétaux », explique le jardinier Pascal Closier qui ajoute que l’entretien prend déjà énormément de temps. En effet, seulement deux jardiniers et un homme de nettoyage assurent l’entretien de cette partie du jardin.
Pas d’intrants chimiques
Le jardin a connu en fait deux périodes : « celle initiale où l’on taillait régulièrement, où l’on désherbait, traitait comme on apprenait à l’époque dans les écoles d’horticulture, et celle depuis 2007, où une prise de conscience de la gestion écologique des jardins est apparue, où l’on accepte les herbes indésirables, où l’on ne bêche plus à tout va, où on ne taille plus régulièrement, au cordeau », souligne Éric Berlouin, responsable du pôle horticole de l’arrondissement (12e).
Aujourd’hui, les phytos et engrais chimiques sont exclus des espaces verts de la Ville de Paris, seuls les engrais organiques étant autorisés.
Des plantes régionales
Le choix des végétaux n’est pas figé, il évolue aussi. Ceux mal adaptés ou qui périssent doivent être renouvelés. Il faut tenir compte de l’évolution du jardin, comme le développement de la végétation qui crée des ombrages sous lesquels les plantes originelles doivent être remplacées par certaines plus adaptées comme les fougères.
« Au niveau plantes, nous développons l’utilisation des plantes régionales (ne pas dire indigènes …). Les pépiniéristes en produisent de plus en plus et la Ville de Paris propose un catalogue dans lequel on peut puiser. »
La plupart des végétaux sont d’origine, ce qui montre que le jardin a été bien conçu. On en recense environ 150 espèces ou variétés.
Les grands arbres ont été plantés dans les piles des ponts, ce qui leur permet une certaine profondeur de terre, soit 1,60 m. Sur les arcades, l’épaisseur de terre est d’environ 1,10 m.
Certains rosiers datent du début de la création. « En cas de nécessité, comme les attaques de maladies, on les remplace par des variétés plus résistantes ou par des plantes vivaces. Nous avons quand-même une certaine liberté de choix dans ce domaine », indique le jardinier Pascal Andrzejewski.
Créer la surprise
Au départ de la conception, il fallait garder de grandes trouées sur les bords du parapet pour avoir des perspectives sur l’environnement extérieur, notamment les avenues ou certains éléments d’architecture remarquables. « L’idée est conservée mais le viaduc étant bordé d’immeubles, il a fallu planter à certains endroits des arbustes défensifs, comme des Ilex, afin de décourager les personnes mal intentionnées… »
L’idée de surprise doit aussi être conservée grâce à la nature et l’emplacement des végétaux : à chaque pas on découvre quelque chose de nouveau.
« Cette promenade plantée est comme un tunnel vert, une énergie qui rentre dans Paris mais aussi qui s’en échappe. On n’imagine pas les millions (milliards ?) d’insectes qui y transitent. Au niveau faune, outre les pigeons ou les moineaux, on rencontre des canards, des geais. On a même aperçu une fouine ! »
Un jardin à vivre
On vient sur la promenade plantée pour faire du sport, marcher, se reposer ou lire un livre. « C’est un jardin à partager, à vivre. Ce n’est pas un jardin plan-plan. Il y a beaucoup de passage », précise Pascal Closier. La fréquentation a évolué. Des habitants se sont approprié les lieux, de même que ceux qui travaillent dans le quartier.
« Il faut savoir accueillir », ajoute Pascal qui connait une grande partie des habitués qu’il salue. Il utilise la diplomatie pour faire comprendre aux gens de respecter la propreté des lieux, pour modérer les joggers qui vocifèrent contre les passants qui gênent leurs élans alors que c’est à eux de les respecter comme l’indiquent des panneaux apposés dans ce but. « Autrefois, on créait des jardins à voir. Aujourd’hui, on parle de jardins à vivre. On accepte ici les pique-niques, même si cela entraine des déchets. »
Un matériel adapté
Le revers de la médaille est l’entretien supplémentaire qu’entraîne cette fréquentation. « Auparavant, on passait nettoyer environ tous les deux jours. Aujourd’hui, c’est chaque jour, voire plusieurs fois par jour ! Et on a du ajouter des poubelles ! »
Du fait de l’âge des installations (plus de 20 ans), il y a des éléments qui vieillissent comme le circuit d’arrosage qu’il faut remplacer, ce qui est classique. Au niveau matériel, il a fallu trouver un petit van électrique qui permet de circuler dans l’étroitesse des lieux. « D’ailleurs, on utilise de plus en plus de matériel électrique, comme les taille haies et les souffleuses à feuilles par respect pour l’environnement et le bien être des utilisateurs et des promeneurs. »
Admirateurs du monde entier
Pascal Closier parle avec amour et fierté de « son » jardin. « J’ai été séduit par ce lieu et me suis aussitôt proposé pour y travailler. » Il s’agissait d’une conception innovante pour l’époque. Des architectes et paysagistes viennent du monde entier, du Canada, de Floride, de Singapour, d’Allemagne, … « Même New-York s’en est inspiré pour créer sa « High line » !
Alors si vous ne connaissez pas encore la Coulée verte René Dumont, rendez-lui visite. Vous risquez d’être « scotché », selon les termes de Pascal.
[1] La Promenade plantée est créée à partir de 1988 par le paysagiste Jacques Vergely et l’architecte Philippe Mathieux. Elle est inaugurée en 1993.