Château-Neuf de Saint-Germain-en-Laye Les renaissances des pièces d’eau du Jardin des Canaux
Au début du XVIIe siècle, à la disparition d’Henri IV, le domaine royal du Château-Neuf de Saint-Germain-en-Laye, avec ses terrasses, était considéré comme exceptionnel : « Ces cinq merveilles de la France, outre tant d’autres qu’il a fait faire de son règne, savoir les galeries pour joindre le Louvre aux Tuileries, le Pont-Neuf, le Parc Royal, les bâtiments de Saint-Germain et de Fontainebleau, sont des témoignages à la postérité de sa magnificence.1 » Ève Golomer nous raconte l’histoire complexe des pièces d’eau, un des points remarquables de ce domaine royal.
Les pièces d’eau étaient peu nombreuses sur l’ensemble du domaine du Château-Neuf de Saint-Germain-en-Laye, du fait d’un acheminement difficile de l’eau par l’aqueduc de Grand Cours captant les sources à l’ouest d’Orgeval. Après avoir circulé au niveau des terrasses supérieures, l’eau descendait vers le Troisième Jardin, dit aussi Jardin des Canaux. Elle était répartie au sein de six pièces d’eau harmonieusement architecturées.
Un réseau hydraulique très étudié
Ingénieur des fontaines et grottes du roi, Tommaso Francini était chargé de concevoir toute l’hydraulique des jardins en terrasses2. Il avait réalisé un réseau composé d’un réservoir principal dissimulé sous la fontaine du Mercure, au centre de l’escalier en hémicycle de la deuxième terrasse.
Ensuite, l’eau était distribuée à de plus petits réservoirs situés au-dessus de chacune des grottes afin d’assurer leur autonomie durant le jeu de leurs féeriques automates installés au sein de deux galeries : la galerie Dorique, ouverte sur les jardins de la troisième terrasse, et la Toscane sur la quatrième.
Le rôle du Jardin des Canaux, sur la terrasse proche de la Seine, est celui d’un jardin d’eau3 faisant office à la fois de jardin de drainage et de bassin de décharge pour l’eau descendant des niveaux supérieurs.
Le meilleur point de vue paysager sur les pièces d’eau du Château- Neuf aurait été celui de leur contemplation d’en haut depuis le château, alors que les artistes graveurs représentaient, depuis la Seine, la façade des terrasses et de leurs rampes descendantes.
Le Jardin des Canaux est inspiré par la Renaissance italienne
Le Jardin des Canaux était conçu en grille d’eau avec six bassins entourés de parterres disposés en damiers évoquant le jardin de la villa Lante, réalisé à la fin du XVIe siècle à Bagnaia, près de Viterbe dans le nord du Latium en Italie2.
Le choix de cadrer cette vue paysagère contemporaine depuis la terrasse supérieure du site permet de nous imaginer regardant les bassins comme si nous étions sur le belvédère de l’avancée de la sixième terrasse du domaine du Château-Neuf de Saint-Germain.
La septième terrasse en bande végétale serait alors située juste en dessous, tandis que les parterres en broderies longeant les pièces d’eau ressembleraient à ceux en damier (Figure n° 1), à l’ouest du Jardin des Canaux.
Ce jardin construit à la Renaissance, vers 1570, est classé parmi les Grandi Giardini Italiani. Les quatre pièces d’eau centrales du Jardin des Canaux, même si de dimensions supérieures, avaient les mêmes passerelles en croix menant à la fontaine. De plus, le jardin inférieur de la villa Lante est proche d’une porte comme celle côté Seine du Jardin des Canaux.
Ayant traversé les siècles, cette pièce d’eau italienne permet d’imaginer, dans les trois dimensions de l’espace, le Jardin des Canaux et ses quatre miroirs d’eau entourés de parterres dessinés en damier. Au Château-Neuf, cette architecture aurait été réalisée par Étienne Dupérac grâce à ses séjours en Italie4.
De nouvelles pièces d’eau dans le Jardin des Canaux
La Société d’horticulture de Saint-Germain-en-Laye5, créée en 1851, fait des émules, chez les propriétaires du pavillon Sully (ancien pavillon du Jardinier) et de ses terrasses avec leurs jardiniers passionnés pour mieux connaître les plantes cultivées.
Le beau plateau sud-ouest du Jardin des Canaux, après avoir eu divers propriétaires, sera acquis par Eugène Bertrand, directeur de l’Opéra de Paris, le 20 juin 1897 (AD78). Dès cette date, deux bassins ovales furent installés en lien avec la source haute proche du pavillon Sully pour irriguer les cultures mais également agrémenter le domaine selon l’art d’un jardin à la française6. Un bassin existe encore dans le jardin d’une propriété privée.
L’Espagne et l’art de l’eau aux jardins de la mairie du Pecq
Une fontaine représente à elle seule les pièces d’eau qui magnifiaient le Jardin des Canaux dans la première partie du XVIIe siècle (Figure n° 4). Elle est placée face à la première mairie du Pecq, bâtiment construit en 1895 sur l’axe historique architectural sud du Château-Neuf partant de l’ancienne chapelle de la reine.
Le blason d’Aranjuez est sculpté sur la face de la fontaine tournée vers la mairie car elle a été offerte à la ville du Pecq par la cité royale castillane d’Aranjuez, avec laquelle elle est jumelée depuis 1978. Cette province de Madrid a été classée par l’Unesco en 2001 au patrimoine mondial de l’humanité.
Ève Golomer
PhD HDR* sciences et arts de l’espace, théoricienne en arts des jardins, ancienne élève et stagiaire ENSP Versailles
(*Docteure habilitée à diriger des recherches)
1 Le Mercure français ou la suite de l’histoire de la Paix, 1619, t. I, p. 485.
2 Emmanuel Lurin, (sous la direction de) Le Château-Neuf de Saint- Germain-en-Laye, Les Presses Franciliennes (collection « Histoire »), 2010.
3 Françoise Boudon, Jardins d’eau et jardins de pente dans la France de la Renaissance dans Architecture, jardin, paysage : l’environnement du château et de la villa aux XVe et XVIe siècles, Colloque, Tours, France 1er-4 juin 1992, publié sous la direction de Jean Guillaume, Paris, Picard, 1999, vol. 8, p. 137-183.
4 Emmanuel Lurin, Étienne Dupérac, graveur, peintre et architecte (vers 1535 ? – 1604) : Un artiste-antiquaire entre l’Italie et la France, Paris, thèse Sorbonne Paris IV, 2006.
5 Bulletins de la Société d’horticulture de Saint-Germain-en-Laye, publiés de 1868 à 1935 (Département Sciences et Techniques), 8-5- 1469, Bibliothèque nationale de France, Gallica.
6 Ève Golomer, Art des jardins en terrasse et sciences du relief et du climat au Château-Neuf de Saint-Germain-en-Laye, article de 23 pages, publié en ligne le 8 novembre 2023 dans la revue Arts et Sciences, éditions ISTE, Londres, Open Sciences : https://www. openscience.fr/Art-des-jardins-en-terrasse-et-sciences-du-relief-et-du-climat-au-Chateau-Neuf