Cayeux, le prestige de l’iris
Jean-François Coffin
« Petit iris diploïde blanc aux bords bleu-violet » : telle est la description de ‘Ma Mie’, premier iris commercialisé par l’entreprise Cayeux en 1906. « Disparu de France, je l’ai retrouvé en République Tchèque puis multiplié et remis au catalogue, précise Richard Cayeux qui dirige aujourd’hui l’entreprise. C’est son arrière grand père Ferdinand qui l’a créé.
Sorti major de l’école d’horticulture de Versailles, Ferdinand reprend en 1898 les Ets Forgeot, grainetiers au 8 quai de la Mégisserie, à Paris. Il édite un premier catalogue de graines diverses où apparaissent déjà des iris aux côtés des haricots, cannas, dahlias ou roses. Ce n’était pas la principale production mais il la développera par la suite dans l’exploitation horticole qu’il a installée au Petit Vitry (Vitry-sur-Seine) où elle se maintiendra jusqu’aux années 60.
Un patrimoine sauvegardé
Lors de la seconde guerre mondiale, l’entreprise, dirigée alors par René le grand père de Richard, privilégie naturellement les productions de semences potagères. « Heureusement, René prend cependant soin de conserver tous les iris créés par son père ! », explique Richard.
« C’est à la fin de la guerre que mon père Jean entre dans l’entreprise. Peu de temps après, en 1948, son grand-père décède. »
Soulignons que le frère de Ferdinand, Louis, créa aussi de nombreuses plantes horticoles comme les Hydrangea ‘Merveille Sanguine’ et ‘Mousmée’ ou le rosier ‘Belle Portugaise’ (1903), variétés encore commercialisées.
En 1960, à 34 ans (Richard est âgé de 2 ans), Jean vole de ses propres ailes et décide de s’installer à Poilly-Lez-Gien (Loiret) près de Gien. Il développe rapidement la production d’iris qu’il a reprise. Gien a l’avantage de ne pas être trop loin de Paris et de posséder un bureau de poste permettant d’absorber la vente par correspondance.
De l’agro au terrain
« Mon frère ainé ne souhaitant pas succéder à notre père à la tête de l’entreprise, j’ai alors accepté de prendre la relève. J’ai suivi une prépa Agro, passé les concours de l’Agro et des Écoles Vétérinaires, puis intégré l’École Nationale Supérieure Agronomique de Montpellier, en sortant avec une spécialisation en cytogénétique. »
Après un service militaire dans la cavalerie, Richard rejoint l’entreprise en 1983 et se forme à l’hybridation avec son père : « comme mon arrière grand père a pu transmettre à mon père son savoir, ce dernier m’a formé à la création variétale alors que je n’avais suivi que des cours théoriques en école agronomique. »
Créer, encore créer
En s’installant, le souhait de Jean était de rattraper le retard en matière de création variétale par rapport aux Américains. Avant la guerre, les Françaiss étaient les créateurs d’iris les plus importants dont Vilmorin et Cayeux. Une grande partie des iris vendus provenaient des recherches faites en France mais d’autres variétés étaient importées des États-Unis puis multipliées et commercialisées. « Dès 1965, mon père se rend aux USA pour étudier de plus près les progrès en matière d’obtention de nouveaux cultivars. Moi-même j’y vais tous les cinq ans. Nous continuons d’importer des variétés américaines (environ 50 variétés par an) pour les cultiver, les tester mais aussi pour utiliser leur patrimoine génétique en les croisant avec les nôtres. »
Intensifier les programmes de création a toujours été un objectif de Richard Cayeux. « Du temps de mon père, on créait entre 4 et 6 variétés par an. Aujourd’hui, on en sort de 10 à 16, la vente nécessitant un renouvellement de la gamme important. Nous commercialisons 650 variétés mais nous en avons 1 300 en culture (dont 650 à l’essai). »
Le succès étant au rendez-vous, la superficie de l’exploitation passe d’un quart d’hectare à 14 entre 1960 et 1985. En 1995, la surface atteignait 20 hectares. Aujourd’hui Richard ne souhaite plus l’augmenter, mais ajuster celle-ci à la demande.
Des milliers de semis
Si l’été est une période intense en matière de récolte et de commercialisation, l’hiver plus calme permet à Richard d’élaborer des plans de croisements. Les critères recherchés portent sur la couleur, la forme, la durée de floraison, la résistance aux maladies. Près de 400 croisements sont effectués par an, réitérés entre trois et dix fois pour une réussite d’environ 50 %.
En général, 15 semis pour 1 000 sont conservés ! Un des résultats récents qui fait la fierté de Richard : l’obtention d’un iris aux pétales blancs et aux sépales verts qui a vu le jour en 2015, après plus de 10 ans de recherche.
Succès international
La réputation mondiale qu’a acquise la maison Cayeux est due à l’esprit d’ouverture de ses dirigeants et à la participation à de nombreuses expositions nationales et internationales. Entre 1928 et 1938, elle a obtenu dix fois la médaille Dykes, récompense la plus prestigieuse en matière d’iris. Dès 1935, un catalogue spécial iris est édité et traduit en anglais.
« Depuis 1997, je participe à des concours internationaux : États-Unis, Florence (le plus important en Europe), Munich, Paris» souligne Richard. « Nous sommes présents au Chelsea Flower Show depuis 12 ans où nous sommes pratiquement les seuls Français. Notre iris ‘Domino Noir’ a obtenu la 2ème place du concours ‘Plant of the Year’ en 2014. » En mai 2015 et 2016, le stand « Iris Cayeux » s’est vu décerné une médaille d’or pour la qualité de ses obtentions et leur présentation.
Protection difficile
« L’avenir est à l’export. A l’époque de mon père, le marché français suffisait. L’export représente actuellement plus de 40 % de notre chiffre d’affaires. Nous avons eu un bureau de liaison en Allemagne, mais exportons désormais tout de France vers l’Allemagne l’Angleterre, la Russie, l’Italie et l’Espagne, principaux pays de destination de nos iris ».
Reste le problème de la protection. « Je suis allé exposer quatre jours à Moscou en septembre. J’y ai vu des Russes qui vendent nos variétés alors qu’ils ne nous les ont pas achetées ! J’ai été contacté par des Chinois mais, là aussi, il pourrait y avoir des problèmes ».
Passer le flambeau
Richard a toujours l’objectif de se développer mais les temps sont difficiles pour l’horticulture, surtout en France. « Cette année a été catastrophique. Les plantes pourrissaient sur pied. Je n’ai jamais vu ça en 33 ans ».
La fleur d’iris peut encore évoluer. « A la fin du XIXe siècle ont croyait que c’était abouti mais il reste un bel avenir pour le XXIe siècle. »
Le contexte a beaucoup changé. « Le marché potentiel existe et j’ai de l’espoir pour la cinquième génération. J’espère que mes enfants prendront la relève. »
A 58 ans, Richard compte sur deux de ses quatre enfants pour lui succéder : une fille en École Nationale Supérieure Agronomique et un fils étudiant en biologie et Droit rural.
Une entreprise qui vaut le détour
Richard Cayeux, par ailleurs botaniste, se dit plutôt secret et bosseur, parle Anglais, Allemand, un peu l’Italien mais pas le Russe. « Je me fais plaisir en voyageant et en faisant voyager mes plantes. Il ne faut pas toujours rester la tête dans le guidon ».
S’il vous faut encore des preuves de la variété et de la beauté des iris Cayeux, allez visiter l’exploitation. En mai, elle s’ouvre au public au meilleur moment de la floraison. Richard vous recevra avec plaisir et passion.
Cayeux S.A. en chiffres
– Personnel : six permanents, 30 employés temporaire en juillet
– 850 000 euros de CA
– 80 ha dont 20 en iris qui restent 2 ans sur la même parcelle. Les autres ha se répartissent en céréales (maïs, blé), en prairies et en engrais verts
– Un atelier de conditionnement
– Un catalogue VPC réalisé entièrement par Richard
– Un site Internet en 5 langues
CAYEUX S.A
La Carcaudière
45500 POILLY-LEZ- GIEN