Carottes sauvages et cultivées : sources d'une diversification annoncée

Noëlle Dorion

 

L’un des légumes racines les plus consommés dans le monde, la carotte, présente une grande diversité de variétés cultivées.Violettes, rouges, blanches, jaunes, oranges… rondes, cylindriques, courtes ou longues… Que recherche-t-on ? La création variétale actuelle s’oriente vers la diversification en matière de couleur, de saveur, d’une meilleure qualité industrielle. La résistance aux ravageurs et pathogènes ou encore à la sécheresse sont aussi d’actualité. Qui dit mieux !

Variation de couleurs chez la carotte - © E. Geoffriau


La carotte (Daucus carota, famille des Apiaceae) est consommée depuis plus de 2 000 ans, d’abord comme plante médicinale puis comme légume. La racine de la sous-espèce cultivé (Daucus carota ssp. sativus), que l’on produit et l’on conserve couramment, a été pendant longtemps, même avant l’introduction des pommes de terre, une ressource glucidique importante pour les populations européennes. Ainsi Charlemagne demandait-il que les carottes soient cultivées dans les fermes impériales (Capitulaire de Villis). La carotte orange est également réputée pour sa teneur en carotène que le corps humain transforme en vitamine A.

BIOLOGIE

Plante bisanuelle, la carotte cultivée produit au printemps et en été de la première année une rosette de feuilles grâce auxquelles la racine accumule des réserves (tubérisation) qui seront utilisées l’année suivante, après l’hiver, pour la floraison et la production de graines. Une période de froid est en effet nécessaire pour préparer cette floraison : la vernalisation.

 



Un peu d’histoire…

La carotte existe à l’état sauvage, dans toutes les régions d’Europe et d’Asie et se caractérise par de petites racines  blanchâtres ou jaunes, à saveur douce ou acre. Le nom de la carotte sauvage est Daucus carota ssp carota.Elle coexiste avec la carotte cultivée mais personne n’a encore pu établir une filiation directe entre les deux types. Les premières carottes cultivées sont originaires d’Orient (Iran, Afghanistan, Pakistan), considéré comme le premier centre de diversification. Les racines étaient de couleurs violette ou jaune, généralement fourchues. La Turquie a été identifiée comme un centre de diversification plus tardif. Les carottes qui en sont issues avaient des racines orange. Ces types domestiqués se sont répandus à partir du XIe siècle dans toute l’Europe, les régions méditerranéennes et l’Asie où elles pourraient s’être hybridées avec les types sauvages locaux. Le type orange a remplacé les types violet et jaune au XVIIe siècle en Europe et dans les régions méditerranéennes. La carotte orange serait apparue en France à la fin du XVIIIe siècle, probablement en provenance de Hollande. Elle est à l’origine des variétés modernes.

 

Les chercheurs s’attachent aujourd’hui avant tout à connaître, gérer et utiliser la diversité génétique des carottes sauvages et cultivées et à établir les bases génétiques, moléculaires et éco - physiologiques, de caractères d’intérêt comme l’accumulation de caroténoïdes et la résistance à l’alternariose, maladie foliaire causée par le champignon Alternaria dauci… Récolte des racines de la collection française  © Equipe Carotte Agrocampus OuestPréserver les ressources génétiques

Il existe chez la carotte une grande diversité de variétés cultivées et notamment de couleurs de la racine même si le type orange domine sur le marché. Afin de pouvoir utiliser les caractéristiques intéressantes de toutes ces variétés dans des programmes de diversification, les chercheurs de par le monde ont établi des collections de ressources génétiques, généralement sous forme de graines qu’ils sèment et cultivent régulièrement pour être sûrs de conserver la totalité de la diversité génétique. Ainsi, il existe par exemple des collections aux USA, au Royaume-Uni, au Brésil, en Allemagne, en Corée, en Pologne et en France. Les ressources génétiques patrimoniales constituent non seulement du matériel important pour la recherche, mais relèvent aussi d’engagements internationaux. Ainsi, l’équipe d’enseignants- chercheurs d’Agrocampus Ouest d’Angers, membre de l’Unité mixte de recherche GenHort, assure dans le cadre d’un CRB (Centre de Ressources Biologiques) la coordination du réseau national de ressources génétiques " Carotte et autres Daucus ". La collection comporte 235 populations de carotte cultivée et 190 populations de carotte sauvage. Ce réseau comprend des entreprises semencières (Vilmorin, Clause, Rijk Zwaan), le Geves, l’interprofession (Ctifl, Pôle Légumes Région Nord), et une société experte en taxonomie des Apiacées (Via Apia). Le travail en réseau permet de mutualiser l’effort de conservation, de rassembler les expertises sur cette espèce, et assi d’authentifier le matériel conservé.

 

Cages d'isolement pour autofécondation © Equipe carotte Agrocampus ouestCréation variétale

Une diversification en matière de couleur, de saveur et de qualité industrielle, une adaptation à la culture biologique, une meilleure résistance aux ravageurs comme la mouche de la carotte et les nématodes, et aux agents pathogènes (Alternaria dauci, Erwinia carotovora…)… c’est vers cela que s’orientent les travaux de recherche et la création variétale actuelle. La résistance à la montaison ainsi que la résistance aux températures élevées et à la sécheresse sont aussi d’actualité.
La carotte est une plante allogame, donc à fécondation croisée, et entomophile, pollinisée par les insectes. De ce fait, la création variétale se heurte à plusieurs obstacles. Ainsi, la notion d’isolement des cultures est très importante pour que du pollen non désiré, venant notamment d’espèces sauvages, ne vienne pas polluer les productions de semences. Il s’agira d’un isolement géographique simple pour une production de semences en fécondation libre ou d’un isolement plante à plante, dans des cages d’isolement lors de croisements contrôlés ou d’autofécondations. Dans ce cas, les pollinisateurs devront être introduits (pupes de mouches) dans les cages d’isolement. De même, la création des lignées nécessaires à l’hybridation est difficile du fait d’une perte de vigueur très importante observée généralement dès la troisième génération d’autofécondation. De ce fait, pendant très longtemps on s’est contenté de sélectionner (sélection massale) des races locales ou des populations obtenues par fécondation libre. C’est ainsi qu’a été sélectionné initialement le type Nantais. Depuis 1977 il existe sous forme d’hybrides dont les deux premiers commercialisés sont ‘Tancar’ pour les productions de printemps et ‘Nandor’ pour les cultures d’automne et d’hiver. Leur obtention a été rendue possible grâce à l’existence de lignées femelles (sans étamines fonctionnelles) permettant ainsi la fécondation par un pollen choisi. Il est aussi possible de réaliser des hybrides lorsque la stérilité mâle n’existe pas, en utilisant le décalage naturel entre maturité du pollen et réceptivité du stade femelle. Ce procédé est plus délicat à mettre en oeuvre. Les hybrides sont plus homogènes à la récolte que les variétés population. Les deux plus grands sélectionneurs français de carottes sont Vilmorin depuis 1742 et Clause depuis 1890. Les professionnels disposent aujourd’hui de méthodes de biologie moléculaire leur permettant d’identifier et/ou localiser les gènes d’intérêt sur les chromosomes de la carotte. Le sélectionneur pourra ainsi identifier les parents intéressants pour les croisements et trier les plantes intéressantes dans les descendances.

Fleurs de carotte, la polinisation manuelle © Equipe carotte Agrocampus ouest

 


La recherche en France... où en sommes nous ?

Les travaux de l’équipe d’enseignants-chercheurs du centre d’Angers d’Agrocampus Ouest portent sur « la qualité et la résistance aux bioagresseurs chez la carotte ». Réalisés dans le cadre de l’UMR GenHort, ils s’attachent avant tout à connaître, gérer et utiliser la diversité génétique des carottes sauvages et cultivées et à établir les bases génétiques, moléculaires et écophysiologiques de caractères d’intérêt comme la résistance à la maladie foliaire Alternaria dauci et l’accumulation de caroténoïdes. Les travaux du premier axe permettent notamment de mieux connaître l’histoire évolutive de l’espèce. Les ressources génétiques sont évaluées pour la résistance à  Alternaria  dauci  et pour la teneur en caroténoïdes. Concernant le second axe, les travaux portent sur la complémentarité des méthodes de reconnaissance morphologique et moléculaire.
Plusieurs projets ont été labellisés et soutenus par le pôle de compétitivité VEGEPOLYS, avec deux objectifs majeurs : connaître le déterminisme et identifier dans la collection de carottes les gènes impliqués, d’une part dans la résistance à Alternaria dauci, et d’autre part, dans la couleur et la qualité organoleptique de la racine. Ces travaux ont permis de trouver des marqueurs moléculaires qui permettront ensuite de réaliser des sélections assistées par marqueurs.
Les travaux présentés ci-dessus, sont menés par l’équipe de chercheurs d’Agrocampus Ouest.
 

L’auteure remercie vivement Emmanuel Geoffriau et Valérie Le Clerc-Michel de lui avoir fourni les nombreux éléments oraux ou écrits ici réunis et d’avoir corrigé cet article.

 
Hybride de type nantais © Equipe carotte Agrocalpus ouest
UN LEGUME TRES CONSOMME

L’un des légumes racines les plus consommés dans le monde, la production mondiale de carotte augmente mais les équilibres entre pays évoluent rapidement. En dix ans, de 1989 à 1999, la Chine est devenue le premier producteur mondial. Sa production est passée de 4,8 millions de tonnes en 1999 à 15,2 millions de tonnes en 2009. En deuxième position, les États-Unis ont une production en baisse : 1,3 millions de tonnes, d’après les statistiques FAO 2009. La France a conservé pendant longtemps le septième rang mondial mais sa production est en baisse même si le pays reste en troisième position en Europe, derrière la Pologne et le Royaume Uni, avec 0,54 millions de tonnes (Eurostat 2010).

Bibliographie

  • Stolarczyk J. & Janick J. (2011). Carrot : History an Iconography. Chronica  Horticulturae 51, 13-18.
  • Simon P. et al. (2008) Carrot in Handbook of Plant Breeding, Vegetables II, Pohens & Nuez ed., 327-357.
  • Statistiques FAO (www.fao.org)
  • Statistiques européennes (http://epp.eurostat.ec.europa.eu)

 

 

 

1 thoughts on “Carottes sauvages et cultivées : sources d'une diversification annoncée”

  1. Pouvez-vous m’indiquer l’année de publication de cet article : Carottes sauvages et cultivées : sources d’une diversification annoncée. Merci

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